Se réconcilier, se décider, se recentrer: 4 récits sur les bienfaits du confinement

© Joris Casaer

Si le confinement du printemps fut une épreuve pour la plupart d’entre nous, certains en sortent gagnants. Cette période à huis clos leur a permis de reprendre pied, de se poser les bonnes questions et même de prendre de grandes décisions. Une leçon d’optimisme, à l’heure où l’on en a tous besoin.

Colette Vanhelleputte, dite Minou (69 ans), pédiatre désormais à la retraite.

« J’étais chef de service à l’hôpital du Tivoli à la Louvière où, pendant quarante ans, j’ai soigné des enfants, les enfants de ces enfants et même leurs petits-enfants. J’aurais dû prendre ma retraite il y a quatre ans, mais je n’avais pas du tout envie d’arrêter. J’ai donc continué à travailler, en diminuant mon horaire. Je me sentais encore jeune, je n’avais pas l’intention de décrocher, j’avais peur du vide. Et je trouvais que je pouvais encore être utile. J’étais dans cette dynamique-là quand le confinement a débuté. Je comptais participer à la solidarité générale des soignants mais mes jeunes collègues m’ont conseillé de rester chez moi, il était hors de questions que je monte au front puisque je suis dans la tranche d’âge à risque. J’ai pris vingt ans en deux jours, je n’étais plus cette jeune pédiatre qui courait au feu…

Colette Vanhelleputte
Colette Vanhelleputte© Joris Casaer

Du jour au lendemain, moi qui suis toujours en train d’organiser, de planifier, de prévoir tout trois mois à l’avance, je ne savais plus le faire, j’ai dû lâcher prise, ce qui ne m’arrive jamais. Je me suis dit que cela allait passer, que tout recommencerait un mois plus tard, mais ce ne fut pas le cas. Et je me suis rendu compte que ce serait compliqué de revenir travailler après des mois d’absence, je trouvais que par rapport à mes collègues, ce n’était pas correct de les laisser en plan pendant la période difficile et puis, de réapparaître quand tout va bien, de même vis-à-vis des enfants que je suivais… J’ai beaucoup hésité et puis j’ai pris ma décision début mai et j’ai démissionné. Cela a été extrêmement brutal mais j’ai pris conscience que l’on pouvait vivre autrement, plus lentement, mon rapport au temps a changé, je commence à apprendre le lâcher-prise. La coupure fut douloureuse mais quand je regarderai dans le rétro, je pourrai me dire que cela m’a permis de réfléchir sur moi-même, de me poser les questions que je ne prenais jamais le temps de me poser et de tourner cette page proprement.  »

Giorgia Morero (49 ans), chargée de projet chez WBDM, a découvert la formidable capacité de résilience de sa fille Clara (13 ans).

« Clara n’a jamais été une ado à problème, même s’il y avait des crises, qu’on n’était pas toujours d’accord, qu’on s’énervait. Nous avons toutes les deux un tempérament un peu volcanique… Elle est passée d’une vie entourée de ses amis à un confinement 24 heures sur 24 avec son père et moi. Au début, on essayait de garder les rythmes d’avant. Je tentais de mettre tout le monde au travail à 8 heures du matin, j’étais assez stricte sur les horaires de télé ou l’usage du smartphone… Du coup, il y avait des tensions. Je me suis rendu compte que cela n’avait pas de sens de conserver les mêmes structures. Dès que j’ai lâché prise, ce qui n’est pas tout à fait dans mes cordes, tout s’est placé de manière organique. Cela a même été magique. Ma fille s’est remise à être créative, elle l’était enfant mais elle avait tout arrêté. « La vie est trop fatigante en temps normal », me souffle-t-elle.

Giorgia Morero & Clara
Giorgia Morero & Clara© Joris Casaer

C’est vrai que les adolescents sont soumis à des rythmes frénétiques. Elle a donc recommencé à peindre, dessiner, broder, customiser des vêtements, son téléphone n’était plus le centre de son temps libre, il était soudain moins intrusif. Et j’ai été étonnée par sa capacité à être résiliente. Je ne l’ai jamais entendue se plaindre de la situation. J’ai lu que les ados ont généralement réagi de manière très responsable. On les dit fainéants mais j’ai découvert que ce n’était pas le cas, qu’ils sont capables de prendre leurs responsabilités. Clara nous a aidés à garder le moral, elle nous jouait du piano le soir, elle était de bonne humeur, c’était agréable de passer ce temps avec elle, sans stress, en étant enfermés. Elle était aussi plus patiente avec nous. Elle partageait ses réflexions, intéressantes, et j’ai compris que les ados sont des forces de la nature face à ce qui nous attend, soit, comme le dit le sociologue du design Ezio Manzini, le plus gros chantier d’innovations sociales planétaire depuis la Seconde Guerre mondiale. J’ai appris à voir ma fille autrement, comme une personne à part entière avec qui j’ai partagé la même expérience dans un même lieu au même moment, c’est rare. »

Valerie Gerard (33 ans) est illustratrice et artiste. Le confinement l’a aidée à comprendre comment surmonter sa dépression et son anxiété.

« J’ai toujours été quelqu’un d’angoissé. Enfant, je m’inquiétais pour les autres, pour le monde et l’avenir, et mes parents devaient souvent me rassurer. A l’école, j’ai subi beaucoup de harcèlement, ce qui n’a fait qu’aggraver mon anxiété. Il y a cinq ans, tout s’est accéléré. Les médecins ont diagnostiqué la sclérose en plaques à mon papa, dont l’état s’est vite détérioré, et ma compagne a été admise à l’hôpital pour un certain temps. Je suis issue d’une famille pour qui les problèmes ne sont que temporaires, qui considère qu’il y a toujours une solution. Mais les maladies graves, c’est une autre histoire. J’avais l’impression d’avoir perdu le contrôle des événements, j’ai arrêté de manger et mes pensées étaient de plus en plus sombres. J’ai aussi arrêté de travailler pour m’occuper de mon père. Il est décédé durant l’été 2016 et ma vie semblait être une succession d’échecs. Je me suis isolée et je me suis enfoncée dans une profonde dépression.

Valerie Gerard
Valerie Gerard© Joris Casaer

Depuis, je me relève avec patience. La guérison n’est pas linéaire, elle a été rythmée d’hospitalisations en unité psychiatrique et de suivis en hôpital de jour. Travailler à temps plein reste stressant, cela réveille mes inquiétudes. Depuis cette année, j’ai commencé une thérapie de groupe, alors que le contact avec d’autres personnes reste très compliqué. Le ralentissement imposé par le confinement m’a donc offert le temps de respirer : tout d’un coup, les obligations, les séances et tous les autres soucis sont tombés à l’eau et je me suis retrouvée seule pour plusieurs semaines. J’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir et me détendre, et aujourd’hui, je comprends mieux ce qui déclenche mon anxiété. M’isoler complètement n’est pas la solution, mais je dois garder mes limites à l’oeil et m’accorder le temps de ralentir.

Je n’ai pas besoin de me replonger dans la vie normale trop rapidement. Sinon, la pression de la société et de la participation à des activités sociales va à nouveau augmenter, alors que je dois surtout m’écouter. Les semaines dernières, j’ai compris à quel point ma vie de famille, m’occuper de mon fils de 13 mois et de mon atelier m’apportent de la satisfaction. Je dois me concentrer sur ça, pas sur les autres et leurs attentes. »

Philippe Decraene (41 ans) est schizophrène et dépend donc souvent des autres, mais, pendant la quarantaine, il s’est occupé de ses parents.

« J’avais 18 ans quand le diagnostic est tombé. J’interprétais les événements différemment des personnes de mon entourage, j’entendais des voix et j’avais des hallucinations très réalistes. Aujourd’hui encore, je disparais parfois des journées entières dans mon petit monde. J’écris alors des poèmes et je joue du piano ou de la trompette, mais je suis dans une sorte de cocon, un monde solitaire, sans la moindre forme de contact social. J’habite maintenant à Bruxelles, seul avec une assistance, et je m’y sens bien. Mais cela me pèse énormément de savoir que je dépends de l’aide des autres. Je reçois beaucoup de respect et d’admiration de la part de mes proches et de mon club de surf, mais je ne pourrai jamais envisager de trouver un emploi, par exemple. Ma confiance en moi et mon estime personnelle en sont touchées. En fait, j’ai toujours cette crainte que les gens se disent « quel pauvre type ».

Philippe Decraene
Philippe Decraene© Joris Casaer

Apprendre à vivre avec la schizophrénie n’est pas de tout repos, mais ces dernières semaines, mon expérience s’est révélée utile. Ma maman vient de subir une lourde opération de la hanche et a donc dû suivre son programme de rééducation à la maison, suite au confinement, alors que mon papa a développé le coronavirus fin mars et a dû s’isoler. Je les ai donc aidés, en faisant les courses par exemple, mais c’est surtout sur le plan émotionnel et moral que j’ai pu être présent. Je sais ce que c’est de devoir mordre sur sa chique et ne pas se décourager, je sais à quel point c’est compliqué quand personne, pas même le personnel médical, ne peut expliquer ce qu’il nous arrive, et je connais aussi la solitude qui va de pair avec le confinement: j’ai très vite trouvé les mots dont ils avaient besoin.

En psychiatrie, tout tourne souvent autour du gain d’autonomie, mais ici, j’ai pu m’occuper des autres, de ma propre famille, de surcroît. Au lieu d’être malade et dépendant, j’ai pu prendre mes responsabilités en tant que fils, et j’ai surtout pu donner de moi-même, en retour pour tout ce que j’ai reçu. Maintenant, je sais que j’en suis capable et que je ne devrai pas hésiter quand quelqu’un aura besoin de mon aide à l’avenir. »

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