Charles Pépin, philosophe: « On vit les choses et en même temps, on les pense. Cela intensifie la vie »
Avec ses essais, ses romans, ses podcasts, ses BD, avec La confiance en soi et Les vertus de l’échec, La Joie et La planète des sages, notamment, Charles Pépin prône une philosophie pratique et « porteuse de conséquences concrètes ». Pari tenu dans son tout dernier ouvrage, Vivre avec son passé, une philosophie pour aller de l’avant.
On ne peut tout oublier
Le passé ne passe pas, c’est même sa définition, il persiste, il est là dans nos corps, nos inconscients, nos réflexes, nos valeurs. Quand Jacques Brel chante « tout peut s’oublier », il chante au fond l’impossible oubli, c’est un chant désespéré, comme une supplique d’autant plus belle que lui-même n’y croit pas. On ne peut vivre au présent ni aller de l’avant sans avoir tout son passé avec soi.
La philosophie sert à vivre doublement
On vit les choses et en même temps, on les pense et cela intensifie la vie. Même si parfois cette intensification peut être angoissante. Je suis tombé dedans jeune. Je lisais Jack London ou Stephen King et il y avait déjà une dimension philosophique avec, dans L’appel de la forêt, la question de la nature et de la sauvagerie et chez King, la question du réel : qu’est-ce qui l’est ou pas ? Puis j’ai découvert L’Etranger de Camus à 15 ans et j’ai rencontré mon prof de philo Bernard Clerté dans la cour de mon lycée parisien. Il nous parlait autant de philosophie que de tennis et de Bourgogne – pour lui, elle ne s’arrêtait pas à la porte de l’université, elle embrassait toute la vie.
‘On ne peut vivre au présent sans avoir tout son passé avec soi.’
Sans amitié, la vie est moins douce
C’est ce que disait le philosophe italien Giorgio Agamben et j’aime sa définition, il s’oppose à Aristote qui disait qu’un ami, c’est quelqu’un qui vous rend meilleur, tandis que pour lui, l’ami ne permet parfois pas de nous améliorer mais sa simple présence suffit à rendre la vie plus douce. Guillaume Allary est mon éditeur depuis plus de 30 ans et mon ami depuis plus encore. Cette amitié est solide, elle n’est pas dépendante des circonstances. Et je sais qu’il veut le meilleur pour moi et qu’il privilégierait mon intérêt d’auteur à celui de la maison – si j’ai envie d’écrire un livre qui me tient à cœur mais qui risque de moins marcher que les précédents, il m’encouragera à l’écrire.
Je trempe ma plume dans l’effroi que rien n’ait de sens
C’est cela le désespoir fondamental : peut-être que la vie humaine est un accident qui a jailli dans l’évolution sans raison. Le philosophe donne du sens, mais s’il le fait, c’est parce qu’il a peur qu’il n’y en ait pas. Je suis plutôt un humaniste, cependant, une part de moi se demande si finalement tout cela n’a pas aucun sens et n’est pas complètement absurde. Cette absurdité n’empêche pas l’émerveillement, le mystère, l’amour… Et si rien n’a de sens mais qu’on est capable de s’aimer, c’est encore plus miraculeux.
La beauté produit parfois des effets miraculeux
En écoutant de la musique, devant un paysage ou une peinture… quelque chose est là devant nos yeux qui nous réconcilie avec la vie, nous sauve de notre petite individualité étriquée et nous laisse entrevoir qu’il y a quelque chose de beau, d’éternel et de vrai. J’essaie de multiplier les occasions de rencontre avec cette beauté. Il y a une possibilité de sortir de soi dans l’expérience esthétique et finalement de se rencontrer au moment même où on sort de soi.
Tous les grands gestes de l’existence sont philosophiques
Une déclaration d’amour, le courage de rompre ou pardonner… Il y a tant de beaux gestes. Je me souviens d’un joueur de foot devant marquer un tir au but. Le public l’acclamait. Mais il savait que l’arbitre et ses collègues venaient de tricher et il a eu le courage de tirer à côté. Il n’était pas prêt à tout pour gagner. Il a privilégié l’élégance à la victoire.
J’ai failli devenir analyste
J’y ai renoncé en pensant que ce n’était pas pour moi. Mais c’est vrai que cette pratique du divan, cette fréquentation de l’inconscient m’a nourri. La psychanalyse est décriée mais je la trouve salutaire comme lieu où on arrête de se mentir à soi-même, comme manière de vivre, comme sagesse en fait. Elle a été décisive dans mon parcours et m’a fait écrire la philosophie différemment, avec mon corps et de manière plus sensible.
L’échec a des vertus
La réception mitigée de mes romans fut un échec vertueux qui m’a conduit vers l’écriture philosophique. J’ai rencontré un public et accepté ce retour du réel. Mais la dimension littéraire persiste. Je n’ai pas dit mon dernier mot.
Vivre avec son passé, Une philosophie pour aller de l’avant, par Charles Pépin,
Allary Editions. charlespepin.fr
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