Les vertus de l’échec: trois personnalités belges se confient sur leur revers du passé et ses leçons

Stefan Jacobs, chef du restaurant Hords-Champs
Stefan Jacobs, chef du restaurant Hords-Champs © Nathan Mbouebe

Echouer n’est pas forcément un mal. Cela peut même s’avérer salvateur. Trois personnalités publiques ont accepté de nous livrer leur « plus bel échec », qu’elles considèrent aujourd’hui comme une importante leçon de vie.

Il et elles évoquent leur(s) échec(s), et l’enseignement qu’ils en ont tiré:

  • Lisette Lombé, poétesse et écrivaine: « Ce caniveau est un endroit que je chéris »
  • Cathy Pill, ex-créatrice, désormais CEO d’une agence d’influence: « Personne ne traverse sa vie sans échec »
  • Stefan Jacobs, chef du restaurant Hors Champs à Gembloux: « Il faut sans cesse se renouveler »

La poétesse et slameuse Lisette Lombé a vécu deux burn out dans sa carrière précédente: « Ce caniveau est un endroit que je chéris »

Lisette Lombé
Lisette Lombé © Nathan Mbouebe

Début 2015, Lisette Lombé, travailleuse sociale, plonge pour la première fois en plein burn out. «Je restais affalée sur mon canapé, en larmes, incapable de bouger ou de faire quoi que ce soit…», se souvient-elle. A la même époque pourtant, elle est invitée sur la scène de Bozar, à Bruxelles, afin d’y déclamer un texte en hommage à Patrice Lumumba.

«C’était ma première montée sur les planches, j’avais 36 ans. Sans le savoir, il y avait dans la salle toutes les belles futures collaborations artistiques qui m’attendaient ». Notamment celle avec une metteuse en scène qui, deux jours plus tard, la contactera pour le concours de slam Les paroles urbaines. «Ça a changé ma vie. En début de burn out, il y avait cette braise, sous les cendres, qui était en train de renaître ». L’occasion de revenir à l’écriture, l’un de ses rêves d’enfant. «Ce n’était pas des envies artistiques à cet instant, mais avant tout un endroit de réparation», insiste-t-elle.

« Quand on s’accorde vraiment le temps de cette réflexion, je pense qu’on ne peut pas récidiver dans le burn out »

La machine est lancée, mais s’enraye à nouveau – «En tant qu’artistes, on ne compte pas nos heures, nous sommes emportés par nos élans créatifs ». Ce rythme infernal entraînera une nouvelle rechute à peine un an plus tard. Aujourd’hui, l’autrice, qui signe la chronique «Trottoirs philosophes» dans notre magazine, a retrouvé la sérénité: «Je sais que je n’en ferai plus car je n’étais pas allée jusqu’au bout de ma compréhension du mécanisme, explique-t-elle. Quand on s’accorde vraiment le temps de cette réflexion, je pense qu’on ne peut pas récidiver dans le burn out. Je suis en capacité de dire stop, de dire non, de faire des pauses. Ce que je n’étais pas capable de faire en 2015, car je n’étais pas encore bien établie dans ma carrière artistique ».

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Et de conclure: «Je ne souhaite à personne de vivre ça. Mais en même temps, cette fosse, ce caniveau, c’est un endroit que je chéris car on y apprend la dépossession, la nudité, l’humilité, la honte parfois, mais aussi la renaissance et la résilience ». C’est finalement cet apprentissage qui permettra à la petite fille qu’était Lisette Lombé devant sa machine à écrire, de renouer avec sa plus grande passion. Elle a lancé ce mois-ci l’album vinyle de son spectacle Brûler-Danser, un slam sur l’émancipation féminine en duo avec la musicienne Cloé du Trèfle.

La cofondatrice et CEO de l’agence Stellar Cathy Pill a mis un terme à sa carrière de créatrice de mode: « Personne ne traverse sa vie sans échec »

Cathy Pill
Cathy Pill © Nathan Mbouebe

Dès son adolescence, Cathy Pill désire entrer à La Cambre et y suivre des études de mode. Après avoir remporté plusieurs concours internationaux et s’être formée auprès des plus grands comme Alexander McQueen ou Vivienne Westwood, elle lance sa première collection de prêt-à-porter pendant la Fashion Week de Paris, en octobre 2005. A 23-24 ans, la jeune créatrice revendique déjà une centaine de points de vente à travers le monde.

«Je me suis laissé emporter par tout ça, je courais après tout. Ça a duré dix années formidables mais le rythme était très intense. Créer une collection, c’est ce qu’on apprend, mais monter une boîte et la faire tourner, c’est autre chose ». Si la crise financière de 2008 lui inflige un premier coup, c’est en 2012 qu’elle craque: «Je faisais déjà quatre ou six collections par an. Entre-temps je me suis mariée, j’ai eu mon premier enfant… Tout devenait plus chargé, je n’arrivais plus à suivre et j’ai donc décidé de me poser, de prendre un peu de recul ». C’est au sommet de sa carrière que Cathy Pill finit par s’accorder une pause ; une décision accueillie non sans incompréhension. «Ça a été très difficile à expliquer à mon entourage, au milieu de la mode et à la presse, j’avais déjà du mal à comprendre moi-même ce que je traversais…» Elle profite néanmoins de ce passage à vide pour se renseigner sur l’univers du digital et de l’influence.

«J’ai très vite compris le rôle et le pouvoir des influenceuses. Quand l’une d’entre elles portait une de mes robes, on me téléphonait pour me demander où il était possible de se la procurer ».

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C’est suite à cette période compliquée que l’entrepreneuse cofonde Stellar, agence spécialisée dans le marketing d’influence. Deux ans après sa création, la société devient rentable. C’est désormais une référence dans le milieu. «Personne ne traverse sa vie sans échec, même si on préfère parler de nos réussites, conclut-elle. C’est un apprentissage pour construire de nouvelles choses sur des bases encore plus solides.»

Le chef de Hors-Champs Stefan Jacobs a dû fermer son tout premier restaurant: « Il faut sans cesse se renouveler »

Stefan Jacobs © Nathan Mbouebe

Alors qu’il n’a qu’une vingtaine d’années, le jeune chef Stefan Jacobs s’associe à deux autres professionnels de la gastronomie pour ouvrir le Va Doux Vent à Uccle. «Nous venions tous d’établissements étoilés dans lesquels nous avions un cadre et une structure. Mais quand on se lance comme jeune entrepreneur, on se rend vite compte que ce n’est pas aussi facile», confie-t-il aujourd’hui. Après un succès fulgurant, les couverts se font peu à peu moins nombreux. Et lorsque l’un des trois associés décide d’arrêter, les deux autres prennent la douloureuse décision de fermer.

« Je pense qu’il faut se casser la gueule au moins une fois pour pouvoir mieux appréhender les potentiels obstacles »

«Je l’ai vécu difficilement, nous avoue Stefan Jacobs. Nous avions reçu une étoile Michelin assez rapidement et à 23 ans, c’était un signe de reconnaissance remarquable. Il fallait tout recommencer à zéro, retrouver l’énergie, l’endroit…» Durant quatre ans, il multiplie les projets éphémères, comme le menu en solo pour la brasserie de Bertinchamps, à Gembloux, ou sa collaboration avec le Château de Bioul.

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«Ça m’a permis de remettre le pied à l’étrier dans ma région, de me rendre compte que la proximité avec les producteurs locaux était centrale dans mon travail», dit-il. Peu à peu, le chef se fait une idée plus précise de son prochain défi. Il enchaîne les visites pour trouver l’endroit parfait pour accueillir ses nouveaux clients.

C’est en mars 2017 qu’il déniche la perle rare: une majestueuse ferme, alors en ruine, du côté d’Ernage. «Il y avait déjà des curseurs positivement activés en regard de ma première expérience, notamment la position géographique qui était idéale et l’espace immense qu’offrait le lieu ». Il faudra néanmoins trois ans de travaux, de recherches de financements et de préparation pour que Hors-Champs puisse enfin voir le jour. Mais fort de sa précédente affaire, le chef affiche un tout autre état d’esprit. «Quand il y a une dynamique un peu moins vive sur les réservations, il y a ce petit rappel qui me dit qu’il faut sans cesse se renouveler. Je pense qu’il faut se casser la gueule au moins une fois pour pouvoir mieux appréhender les potentiels obstacles et difficultés qui peuvent se dresser sur notre route ».

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