Rencontre avec Maryse Burgot, « grand reporter et fille de paysans »

Maryse Burgot photographiée en Ukraine par Sasha Maslov
Maryse Burgot photographiée en Ukraine par Sasha Maslov
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

De retour de cinq semaines au Proche-Orient pour couvrir l’escalade du conflit israélo-palestinien, Maryse Burgot fête cette année ses 30 ans en tant que grand reporter, et publie chez Fayard Loin de chez moi: Grand reporter et fille de paysans, le récit d’une vie passée sur le front de l’actualité.

« Sur une route du Donbass, nous venons d’essuyer un tir d’obus. C’est un miracle que nous soyons en vie. Nous roulons, pied au plancher, pour échapper à une nouvelle attaque. Mon téléphone sonne. Il est dans la poche de mon gilet pare-balles. Impossible de ne pas répondre. C’est l’un de mes fils. Je décroche. Il s’agit d’un problème de cuisson de riz. J’explique ma méthode. Je ne parle pas trop fort, j’ai peur que les membres de mon équipe me prennent pour une folle. Mais ce soir, le riz sera bon à la maison ». Cette anecdote, partagée en 4e de couverture de son autobiographie qui se lit comme le plus passionnant des romans, en dit long sur Maryse Burgot.

Connue de millions de téléspectateurs pour sa rigueur journaliste, sa maîtrise même lorsqu’elle rapporte l’actualité en pleine zone de conflit, et ce timbre de voix particulier qui a eu un écho surprenant sur sa carrière, la Bretonne, d’ordinaire plutôt encline à partager les histoires des autres, se raconte autant qu’elle donne à voir les coulisses d’un métier qui continue de la passionner.

À peine de retour de plus d’un mois de reportage en Israël, elle s’est livrée lors d’un long entretien sans filtre, où il a autant été question de son approche du métier de journaliste que de son rapport à son milieu d’origine. Morceaux choisis.

Sur ses origines (et celle de sa carrière)

« Je n’aime pas l’expression «transfuge de classe». Cela semble dire qu’on vient d’un milieu pas très enviable, alors que je suis très fière du milieu agricole rural et âpre dans lequel j’ai grandi. Même si ce n’était pas facile de faire mes études en venant d’un milieu qui ne soit pas intellectuel. Il a fallu que j’aille chercher moi-même les livres, la culture. D’ailleurs il m’arrive encore souvent de me sentir très inculte: il y a des domaines que je maîtrise et d’autres où j’ai l’impression de ne rien savoir.

Je remarque qu’autour de moi, les gens ne semblent pas avoir en permanence ce sentiment qu’il leur manque quelque chose, mais c’est aussi ma force. Cela veut dire que je ne serai jamais quelqu’un de suffisant ou de prétentieux.

J’ai été animée très jeune par l’envie d’écrire. Je n’ai pas grandi dans une famille où il y avait des journalistes. Mais petite, je regardais mes parents lire Ouest-France, que je me suis donc mise à lire aussi, et je me disais que j’adorerais écrire des articles comme ceux-là. Je viens d’un milieu paysan, où on ne s’autorise pas forcément à penser qu’on peut devenir tout ce qu’on rêve d’être, donc j’ai mis ce projet de côté pendant un moment. Et puis à 20 ans, j’ai quand même décidé de tenter le concours des écoles de journalisme, j’ai travaillé comme une damnée, et j’ai réussi. Je ne m’imaginais pas du tout journaliste de télévision, jusqu’au jour où un professeur m’a dit que j’avais une très mauvaise voix qui ne passerait jamais à l’écran et que j’ai décidé de lui prouver le contraire ».

De l’art de jongler son rôle de mère et celui de grand reporter

« Les femmes doivent suivre leur instinct. J’étais certaine de pouvoir mener carrière et maternité de front. Et je l’ai d’ailleurs fait un temps quand mes fils étaient très petits. Jusqu’au jour où un des deux a eu une varicelle carabinée alors que j’étais au fin fond de l’Irak et que j’ai réalisé que ce n’était plus possible de combiner les deux. Je suis alors devenue correspondante permanente, d’abord à Londres puis à Washington, et je ne regrette rien. Ces années ont été magnifiques, familiales, nourries d’un bonheur qu’on ne partage pas sur les zones de conflit puisqu’on y part seul.

Quand on est mère, il ne faut écouter personne, surtout pas ceux qui donnent des leçons de morale. On les a portés dans notre ventre ces enfants, c’est viscéral. Donc il faut agir en fonction de son ressenti, sans états d’âme ni regrets.

En tant que parent, on a parfois le sentiment de parler dans le vide, mais ce n’est jamais le cas. Il y a un moment où tous les petits cailloux qu’on sème prennent une forme concrète, même si on avait l’impression de ne pas être écoutés sur le moment: des années plus tard, quelque chose se produit et on se rappelle que c’est nous qui avons dit ces choses-là. Tout à coup, vous avez des adultes devant vous, et vous réalisé qu’ils sont en partie le résultat de ce que vous avez semé.

J’ai tenté de transmettre à mes fils la force, mais aussi la réalisation que l’échec est permis. Tout n’est pas perdu parce qu’on échoue: on peut construire là-dessus et le transformer en quelque chose d’autre. Le rôle des parents est d’aider leurs enfants à transformer cet échec, même si c’est dur, parce qu’on projette forcément la réussite sur sa progéniture. La parentalité n’est pas un long fleuve tranquille… »

Sur (les exigences de) son métier

« La curiosité est tout sauf un vilain défaut. Cela implique d’être ouvert à ce qui nous entoure, et c’est une qualité nécessaire pour être un bon journaliste. Il faut être animé par l’envie de voir le monde, pas forcément en traversant des frontières, mais aussi en allant au coin de la rue à la rencontre des gens. Parfois, j’arrive au bureau le matin et on me demande si je peux partir le lendemain dans un pays lointain… Qu’y a-t-il comme plus beau métier que le mien?

D’autant que quand on cherche, on trouve toujours de la lumière dans la pénombre. Même dans le désastre, elle est là. Je rentre de cinq semaines en Israël, donc forcément, je porte un regard un peu inquiet sur le futur. Ce qui se passe au Liban, en Cisjordanie et à Gaza est très inquiétant, entre la disproportion de la riposte, la riposte de la riposte… Mais je ne m’autorise pas pour autant à être pessimiste.

Quand je suis en reportage, je suis là pour montrer que tout est possible, qu’on peut s’en sortir. Il n’y a pas de temps pour la négativité.

Quand j’étais en Ukraine, j’avais fait le portrait d’une vieille femme qui avait pris des risques insensés pour cacher un soldat torturé par les Russes. Ça rappelle que même au milieu de l’horreur, il y a toujours de l’espoir.

Mais pour en prendre la mesure, il faut toujours dire « oui ». Même si c’est compliqué, même si ça demande des ajustements, mon métier exige une capacité à être disponible parce que si je ne suis jamais là au bon moment, ça ne marche pas. J’ai bcp de défauts, mais je suis quelqu’un qui ne renonce jamais. J’essaie jusqu’au bout de mener ma mission à terme, même si cela me demande de gravir des montagnes ou de louper l’anniversaire de mon fils : je me mets dans des situations impossibles pour réussir. Le renoncement n’est pas quelque chose que j’aime beaucoup ».

Loin de chez elle, oui, mais…

« Etre casanier n’est pas un gros mot. J’adore être chez moi, et ça se combine très bien avec mon métier: quel bonheur quand je rentre! C’est parce que je suis casanière que je pars, pour être tellement heureuse quand je reviens à la maison.

Etre casanier, ça veut dire qu’on se construit un univers à soi et qu’on s’y sent bien. C’est ça aussi, se construire soi-même.

Quand je suis chez moi, je lis beaucoup, et puis surtout, j’ai des enfants extraordinaires. Je passe ma vie à leur demander comment ils vont: je ne leur raconte pas mes guerres, on parle d’eux, de leur quotidien… Quelle chance d’avoir une famille, c’est une richesse extraordinaire. C’est mon moteur, ce qui me fait me lever le matin, je ne serais rien sans eux. Je n’aurais plus l’envie de partir si je ne savais pas qu’il y a ces retrouvailles qui m’attendent quand je rentre.

Le lien est fondamental. J’aimerais qu’on se souvienne de moi comme d’une mère attentive, une amie marrante, une collègue super pro. Quand on sera au seuil de la mort, c’est ça qui viendra dans notre esprit: ceux qui ont compté, les personnes qu’on a aimées… Ce ne sera pas l’argent sur notre compte en banque ou notre maison, ce qui restera, ce sont les autres, il n’y a que ça qui compte ».

Loin de chez moi: Grand reporter et fille de paysans, par Maryse Burgot, éditions Fayard.

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