Safia Kessas a rejoint Bozar en janvier dernier © Laetitia Bicca

Pour la journaliste Safia Kessas, “les femmes portent les failles collectives de la société »

Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

La journaliste Safia Kessas qui pilote la plateforme féministe Les Grenades à la RTBF signe un nouveau documentaire sur la place des femmes dans la science. Elle se dévoile pour nous en 7 mots.

Diversité

Quand on vient de la diversité, on a tendance à se faire discret. Mes parents, Tayeb et Aziza, ont quitté la Kabylie pour la Belgique, où on les a rebaptisés de prénoms européens. Je suis la cadette d’une fratrie de cinq enfants. Ils nous ont transmis à mes quatre frères et moi la nécessité de ne pas se faire remarquer.

Etre issue de la diversité invite à rester dans l’ombre. Mais j’ai voulu aller à contre-courant de ça, asseoir ma légitimité et ne m’excuser de rien. Etre journaliste ne faisait pas partie des codes du capital social dont j’ai hérité. Alors je suis venue aux médias une mission à la fois, après avoir commencé ma carrière dans le secteur des relations internationales.

Art

L’art est un antidote à la noirceur. Ma collaboration avec Bozar (NDLR: Safia a rejoint en janvier l’équipe Writers & Thinkers qui pilote les grands entretiens proposés par l’institution) est une parenthèse enchantée qui me nourrit.

J’ai des goûts très éclectiques, qui vont des surréalistes – que l’on pourra apprécier en février lors d’une grande expo Histoire de ne pas rire. Le Surréalisme en Belgique – à l’art vivant. Mais quel que soit le medium, l’art est une fenêtre de méditation qui permet de se ressourcer.

Il invite à travailler une forme d’intériorité dans un monde qui n’arrête pas de nous solliciter. L’art est un lieu où on n’a pas à s’expliquer, où on peut simplement être touché, dans une forme de solitude.


Visibilité

L’intime est politique. Ce sont les femmes qui portent les failles collectives de la société. Des problèmes de places en crèche aux soins aux personnes âgées, elles remplissent les interstices des endroits abandonnés socialement, au détriment de leur propre épanouissement personnel.

Dès l’enfance, on les éduque à prendre soin des autres et à s’effacer. Avec Femmes de Science, je veux leur rendre la place qu’elles méritent. Et mettre en avant des profils de femmes accessibles à toutes, pas seulement des superwomans à qui tout réussit.

A la notion de sororité, je préfère celle de solidarité, qui implique de visibiliser toutes les femmes qui n’ont pas la chance d’être dans la lumière, quels que soient leur âge et leur parcours.

Identité

Prêter attention aux étiquettes qu’on vous colle revient à accepter la narration de l’autre. On a dit de moi que je « représentais la diversité ». Mais aussi que j’étais « trop blanche » … La responsabilité de ces propos ne m’échoit pas. Elle revient à ceux qui les tiennent, et c’est eux qu’il faut interroger à ce sujet.

Dès qu’on est un peu visible, les autres le voient comme une invitation à projeter leurs frustrations et leurs peurs. Mais je sais que mon identité est multiple. Et qu’il n’y a qu’une seule personne qui puisse la définir : moi.

‘Les femmes seront toujours « trop » pour la société.’

Humour

L’humour est une discipline exigeante. La vie n’est qu’une grande pièce de théâtre, qu’il ne faut pas trop prendre au sérieux. L’humour est une manière de remettre les choses en place. D’ailleurs, le meilleur compliment qu’on peut me faire, c’est me dire que je suis drôle.

Si la personne en face de moi en prend conscience, ça veut dire qu’on a dépassé une formalité dont on pourrait bien se passer. Même si, aujourd’hui encore, le fait d’être femme et drôle n’est pas toujours évident.

Le film en bref

Elles sont chercheuses, mathématiciennes, des as de la tech ou ingénieures. Elles, ce sont des profils dit “féminins” que ce documentaire a pour ambition de mettre en avant aux quatre coins de l’Europe. Il raconte les chemins par lesquels elles sont passées pour arriver là où elles sont.

En arrière-plan de ces success stories, ce documentaire évoque aussi l’effacement des femmes qui les ont précédées dans l’histoire du progrès scientifique. Car les chiffres sont là et ils donnent le vertige. Seuls deux scientifiques et ingénieurs sur cinq sont des femmes.

Moins de 30% de chercheurs dans le monde sont des femmes. Aux États-Unis, la proportion de femmes ayant suivi des cours d’informatique et de sciences de l’information a diminué de 10 % depuis 1990. 

Pour Safia Kessas, il était plus que de temps de se poser les bonnes questions : pourquoi les femmes scientifiques ont souvent été oubliées, voire spoliées de leurs découvertes? Est-ce que cet effacement historique des femmes résonne encore dans le parcours des femmes scientifiques d’aujourd’hui?

Et comment ces femmes resteront-elles à leur tour dans l’histoire des sciences et des inventions qui changent nos vies ? Des réponses à découvrir dans la galerie de portraits qui compose le documentaire.

Stéréotype

Les stéréotypes sont descriptifs et prescriptifs. Ils disent ce que l’on doit être, et ce qui nous est interdit. C’est important de se situer dans le monde en prenant cette réalité en compte : évidemment que ça alourdit encore la charge mentale. Mais ça permet aussi de savoir comment on va être regardé, et d’éviter une série d’écueils potentiels.

Par contre, c’est important de réaliser qu’en tant que femme, on sera toujours « trop » pour la société : trop grosse, trop mince, trop jeune, trop vieille… Quand on prend conscience de ça, et du fait qu’on n’a pas besoin d’être validée par qui que ce soit, c’est follement libérateur.

Transmission

Il n’y a pas de plus bel héritage que la transmission. J’adore cette phrase de l’essayiste Frantz Fanon : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission, la remplir ou la trahir. »

On s’inscrit tous dans une continuité, par rapport aux anciens et à ceux qui arrivent, et qu’il s’agisse des Grenades ou du podcast documentaire dédié à ma famille, Au nom de Safia, je veille à une transmission de la parole silenciée. J’aimerais qu’on se souvienne de moi comme quelqu’un grâce à qui des personnes se sentant plus légitimes ont pu raconter leur histoire ou se lancer.

« Electrons libres, ces femmes de science qui changent nos vies » sera diffusé sur la Trois le 12 février, pour la journée ONU des femmes et filles de science.

Lire aussi : en science, les stéréotypes de genre ont des conséquences

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