Lisette Lombé
Secoue ton passé avec délicatesse puis inspire lentement…
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
Il est presque 20 heures. Je suis garée face à des sapins. Comme d’autres parents, j’attends la fin de l’entraînement de foot dans ma voiture car la buvette du club est fermée. Nos visages sont penchés sur nos téléphones et nimbés par la lumière bleutée des écrans. Il fait trop moche et trop sombre pour entreprendre une marche aux alentours du stade. Un spot éclaire l’écorce des arbres.
Je repense à un éditeur qui me mettait en garde contre l’éblouissement du milieu littéraire parisien et je souris à cette lumière puissante et directe qui éclaire les jeunes sur la pelouse. Je me sens tellement peu concernée par les miroirs aux alouettes et les paillettes. Je reste blessée qu’il ait pu penser que ce type de vie branchée me fasse fantasmer.
« Fermez les yeux, inspirez, ouvrez bien grand vos narines en direction du passé et laissez remonter vos souvenirs olfactifs »
A travers les gouttes qui ruissellent sur mon pare-brise, j’observe les branches des sapins secouées par le vent. J’ai l’impression que des yeux ont été tracés au canif tout le long des troncs. On dirait des totems indiens. Les papas en bord de terrain, capuche sur la tête, mains en poche, de dos, me font aussi penser à des arbres alignés. Un petit footballeur vient rechercher en courant une gourde dans la camionnette de son père. Vareuse jaune fluo assortie aux chaussures. Collants noirs. Gants de keeper. Bien au chaud dans ma voiture, j’oublie les contraintes de la maman-taxi et je savoure cette simplicité-là du foot, école de la vie et du fair-play. Chapeau aux entraîneurs qui éduquent nos enfants à l’intelligence corporelle!
Mon volant devient bureau d’écriture. La feuille de papier et le stylo sont remplacés par le téléphone. Je suis tranquille: j’ai désormais deux chroniques d’avance. J’ai trouvé le rythme qui me convient et me permet de rester dans le plaisir du partage. Du coup, lorsque vous lirez ces mots, nous serons déjà aux portes du printemps. L’hiver qui ressemble de moins à moins aux hivers de mon enfance sera déjà dans notre dos. Cette perspective de douceur, de bourgeons, de journées qui s’allongent et de retour des couleurs pastel dans les rayons des magasins me fait sourire dans le noir.
Je n’avais pas imaginé consacrer autant de lignes au football dans cette chronique mais comme d’habitude, le lieu guide ma plume et j’entends de la justesse dans ce mécanisme. Au départ, je voulais parler du sens de l’odorat que je sollicite trop peu en tant que poétesse et en tant que marcheuse-glaneuse. Parfois, une odeur singulière, de l’herbe fraîchement coupée, l’eau de Cologne d’un passant, l’ail des ours au printemps, une crotte de chien, un parterre de tulipes, le pétrichor, la sueur d’un joggeur, des champignons, une benne à ordures entrouverte, un étal avec des fraises du pays, un détail me rappelle que j’ai un nez, mais je dois bien avouer que mon œil, mon regard prennent largement le dessus sur mes autres sens.
Cet après-midi, alors que je profitais d’une éclaircie pour aller prendre l’air dans les bois près de chez moi, j’ai été tirée de ma rêverie par une puissante odeur de feu. J’ai imaginé une personne habitant l’une des maisons adjacentes, brûlant des branches dans son jardin. Je me souviens de quelques films policiers ou thrillers dans lesquels les criminels se débarrassent de preuves accablantes en improvisant un feu à l’abri des regards indiscrets, à l’arrière de leur propriété. Ce feu, ici, ne m’inspire rien d’inquiétant, juste un passage de saison, une épure des lieux, un tranquille crépitement au cœur d’un quotidien.
Je décide de lister des odeurs de feu qui ont marqué ma mémoire. Je vous invite d’ailleurs, vous aussi, à tenter l’exercice. Fermez les yeux, inspirez, ouvrez bien grand vos narines en direction du passé et laissez remonter vos souvenirs olfactifs.
Moi, je sens des pneus brûlés dans une décharge sauvage. Je sens les braseros de Kinshasa et le charbon de bois et le poisson grillé. Je sens la peau roussie du pouce de mon fils jouant avec l’allume-cigare de notre ancienne voiture. Tiens, il n’y en a pas dans celle-ci. Je n’avais pas remarqué. Comme je n’avais pas remarqué non plus l’odeur de ma transpiration. Je pense au mot musc. Je pianote sur mon téléphone: Comment muscler l’estime de soi dès le plus jeune âge?
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