Coming out au féminin: « La femme lesbienne est moins considérée que l’homme gay »
Si à l’heure actuelle, l’homosexualité n’est (heureusement) plus tabou, en plein patriarcat, vivre et assumer sa sexualité serait plus simple pour les gays que pour les lesbiennes.
Aujourd’hui en couple depuis huit ans, Pascale, 62 ans, aura attendu ses 36 ans avant de faire son coming out. Et pourtant, ainsi qu’elle l’affirme en souriant, elle est « tombée dans la marmite quand elle était petite » et n’a jamais eu la moindre relation hétéro, préférant vivre ses amours en secret avant de se sentir suffisamment à l’aise pour annoncer à ses proches qu’elle était lesbienne. C’est que dans les années 80, « ce n’était pas évident », se souvient-elle.
« Si, à l’époque, il était de bon ton dans certains milieux d’avoir un gay à sa table, il n’en allait pas de même pour les lesbiennes. Ça ne faisait fantasmer personne, à part peut-être certains hommes qui rêvaient d’avoir deux femmes dans leur lit »
Et il en allait de même dans le milieu professionnel: « Les hommes gays étaient synonymes de bon goût, d’une forme de sensibilité artistique, et on en retrouvait beaucoup dans les métiers créatifs, mais pour les femmes, c’était différent. Déjà parce qu’elles n’avaient pas accès à autant de professions qu’aujourd’hui à l’époque, mais aussi parce qu’on n’aurait jamais pu imaginer une lesbienne enseignante ou infirmière: elle aurait risqué de perdre son métier ».
C’est ainsi qu’à l’âge de 25 ans, Pascale s’est retrouvée à acheter une maison avec sa compagne de l’époque… Et à la diviser en deux logements, dont un pensé uniquement pour servir de couverture en cas de visite de membres de la famille, durant lesquelles sa « colocataire » filait à l’étage dans « son appartement » en attendant que la voie soit à nouveau libre.
Lire aussi: « Les lesbiennes font du monde un endroit meilleur »
La lesbienne, une femme (déconsidérée) comme les autres
Une situation semblant tout droit sortie d’une pièce de vaudeville, à laquelle Pascale a mis fin suite à leur rupture, en confiant les raisons de son mal-être à ses parents. « Entre temps, fin des années 90, les mentalités avaient fort changé, mais c’était tout de même plus difficile de dire ‘je suis lesbienne’ plutôt que ‘je suis gay' ». Un constat qui reste malheureusement d’actualité vingt ans plus tard, regrette Élise Goldfarb. Quand on demande à la Parisienne, moitié du duo à l’origine du podcast Coming Out, si faire ce dernier reste plus compliqué pour les lesbiennes, elle n’hésite pas une seconde avant de répondre par l’affirmative. Et de mettre le blâme sur le patriarcat.
« Depuis la nuit des temps, on ne demande pas au femmes si elles ont du plaisir sexuellement, c’est tabou. En patriarcat, on n’apprend pas aux femmes, qu’elles soient hétéro ou non, à questionner leur bonheur et l’équilibre au sein de leur couple. Autrement dit, une lesbienne peut rester toute sa vie avec un homme en étant malheureuse mais en se convainquant que la vie, c’est ça »
Élise Goldfarb
D’autant que dans une société patriarcale, « les femmes ont moins de facilités à accepter qui elles sont, prendre la parole et prendre des risques, parce que de base, elles vont toujours beaucoup plus se faire défoncer que les hommes » dénonce encore la Parisienne, qui pointe que « c’est beaucoup plus difficile pour nous de recueillir des témoignages de femmes que d’hommes pour le podcast, parce qu’elles ne se sentent pas légitimes, alors que les mecs, eux, ne se posent pas de questions ».
« C’est un problème qui n’est pas propre aux lesbiennes: les femmes ont beaucoup moins le droit à l’erreur, leur parole est moins libre et elles sont plus discriminées. C’est propre à la condition des femmes dans le patriarcat ».
Élise Goldfarb
Lequel n’est qu’une des raisons qui font que pour nombre de lesbiennes, vivre leur sexualité de manière épanouissante semble moins aisé que pour les gays.
Phase à phase
Car si la plupart des gens s’imaginent mal demander à un homme qui aime les hommes si c’est parce qu’il n’a « pas rencontré la bonne », la réciproque n’est malheureusement pas vraie. « Souvent, la réaction quand une femme annonce son homosexualité, c’est de dire qu’elle a sûrement dû être déçue. Les gens ne s’imaginent pas qu’en tant que femme, on n’ait pas envie d’avoir un homme dans son lit, sauf si on est tombée sur la mauvaise personne et qu’il nous a dégoûté des autres » épingle Pascale, qui a toujours veillé à répondre avec humour à ceux qui lui disaient qu’elle n’avait juste « pas trouvé le bon ».
« L’acte sexuel entre hommes est tellement définitif qu’il n’y a pas de retour en arrière possible, alors que chez des femmes, on va dire qu’elles font joujou entre copines »
Élise Goldfarb
Et la co-créatrice de Coming Out de confier que même au sein de son entourage proche, les variations de « là tu kiffes mais à un moment tu vas quand même arrêter et te marier avec un mec » sont légion, « comme si j’avais le choix ».
D’égale à égal
Mais pourquoi cette obsession pour le retour vers un pseudo-droit chemin au tracé arbitraire? Pour la jeune femme, ce serait la peur qui motiverait ces injonctions à « chercher le bon ». « Une femme lesbienne s’émancipe du regard de l’homme. Il n’y a aucun rapport de séduction potentiel, et il le sait d’entrée de jeu, ce qui veut dire que les échanges ont forcément lieu d’égal à égal, et ça leur fait très peur ».
« Si on n’a aucun intérêt sexuel envers les hommes, on les ramène à l’égalité et c’est très compliqué pour eux. La femme lesbienne est bien moins considérée que l’homme gay, parce que déjà on ne la croit pas, on dit que ça va changer, et puis en plus elle n’est plus une femme aux yeux des hommes »
Élise Goldfarb
« On est dans une société où les hommes sont supérieurs aux femmes socialement, donc c’est déjà relou d’être une femme, mais quand on est lesbienne, on descend encore dans la hiérarchie. il y a les hommes, puis les femmes, puis les femmes lesbiennes, puis les femmes lesbiennes racisées » dénonce celle qui a fait son coming out à 27 ans, et épingle l’impact du porno sur la difficulté de certaines femmes, elle la première, à reconnaître leur orientation sexuelle et l’assumer.
L’amour et la violence
« Quand j’avais douze ans, j’ai tapé le mot ‘lesbienne’ sur Google pour comprendre ce qui se passait, et je ne suis tombée que sur des sites pornographiques. Ce n’était pas réel, comme si être lesbienne n’impliquait que du sexe et pas de l’amour » se souvient Élise.
« Dès l’enfance, on m’a fait comprendre que l’homosexualité était quelque chose de sexuel, ce qui m’a fait peur d’en parler à mes parents. Je me disais qu’ils allaient directement m’imaginer au lit avec une meuf, alors que ce n’est pas ça, être lesbienne, c’est la possibilité de tomber amoureuse d’une autre femme »
Élise Goldfarb
Et si la podcasteuse souligne à quel point il est « difficile d’accepter sa sexualité quand elle est ramenée à une catégorie porno, comme si on n’était pas des personnes dignes d’amour », elle confie pour sa part ne jamais regarder de porno lesbien, qu’elle qualifie de « mascarade faite par des hétéros pour des hétéros. C’est hilarant, parce que ça ne ressemble pas du tout à ça le sexe entre femmes. Le porno lesbien est à des milliers de kilomètres de la réalité ».
Lire aussi: Quand les séries (re)font notre éducation sexuelle
Tandis que Pascale, elle, confirme que les lesbiennes « restent un fantasme pour les hommes », confiant avoir été abordée à de nombreuses reprises par « des hommes ou des femmes mariés qui m’approchaient dans l’idée de pimenter leur vie sexuelle. Je répliquais toujours aux femmes que je n’étais pas le jouet sexuel de leur mari, et aux hommes, qu’ils devaient se méfier que je tombe amoureuse de leur femme », rit-elle.
Oser être soi-même
« Qu’on soit un homme ou une femme, cela reste tout aussi difficile de faire son coming out. C’est juste qu’en tant que termes de représentation et de présence, il y a moins de femmes », synthétise Élise, qui a lancé Coming Out justement parce qu’avec son acolyte, Julia, « on a grandi sans aucune représentation, alors qu’on en avait besoin, donc on a eu envie d’offrir à des personnalités une plateforme où raconter leur coming out ». Et de rappeler que celui-ci n’est pas un passage obligé, surtout si la personne n’évolue pas au sein d’un environnement sécurisant.
« Le plus important est de se demander si on vit la vie qu’on a envie de vivre. On ne fait de mal à personne en s’aimant, et il faut absolument que les femmes osent, en amour comme dans d’autres aspects de la société où elles sont bridées ».
Élise Goldfarb
« Il faut être soi-même. C’est la seule chose qui importe. Cela peut prendre du temps pour faire accepter qui on est à nos proches, mais faire son coming out en vaut la peine, parce que si on ne respecte pas qui on est, on ne peut pas attendre que les autres nous respecte », conseille encore Pascale. Et Élise de conclure: « être heureux, c’est aimer et être aimé. Et ça vaut aussi pour les homosexuels ».
Lire aussi: Portrait de celles et ceux qui s’engagent auprès de la communauté LGBTQIA+
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici