Master of sex serie
Michael Sheen alias Dr. William Masters et Lizzy Caplan alias Virginia Johnson, héros de la série Masters of Sex © SDP / SHOWTIME

Quand les séries (re)font notre éducation sexuelle

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Il n’y a pas si longtemps de ça, l’image du sexe projetée sur les écrans était tout sauf réaliste. Mais ça, c’était avant une nouvelle vague de séries dont l’approche des rapports sexuels se veut la plus proche possible de la réalité. Quitte à combler les lacunes d’une éducation sexuelle tellement centrée sur la prévention qu’elle en oublie le plaisir.

En janvier 1997, la journaliste Nancy Haas tirait la sonnette d’alarme dans les pages du New York Times: les séries n’avaient plus que « ça » en tête. Et de pointer, chiffres à l’appui, que 75% des séries diffusées entre 20 et 21h, créneau auquel les familles se réunissent traditionnellement devant leur écran, comportaient désormais scènes et mentions de sexe, soit une proportion quatre fois plus élevée que vingt ans auparavant. Et un peu plus de vingt ans plus tard, la tendance ne s’est pas inversée, au contraire. Le sexe est même devenu le fil rouge de nombre de programmes, qu’il s’agisse de « Sex Education », « Masters of Sex », « The Sex Lives of College Girls » ou encore « Sex/Life ». Et si leur titre ne trahit pas d’emblée ce qui se trame dans les épisodes, le succès de séries telles que « Bridgerton », « Normal People », « Fleabag » ou « Elite » repose en partie sur leur approche franche et décomplexée des rapports charnels.

Un mouvement amorcé il y a une dizaine d’années par « Girls », dont le regard (parfois brutalement) honnête sur la vie sexuelle des Millenials a contribué à changer celui qu’on porte sur ce qui se passe dans nos lits. Et à modifier la manière dont le sexe est montré à l’écran. Qu’on aime ou qu’on déteste Lena Dunham, et qu’on ait adoré (ou évité de) suivre ses (més)aventures et celles de sa bande de copines dysfonctionnelles dans la série, fans et détracteurs sont d’accord sur le principe: « Girls » a bousculé notre manière de parler du sexe et du plaisir. Ou plutôt, mis fin à la version aussi idéalisée qu’irréaliste qui en était montrée jusque là. Finie, l’ère des corps ultra mince et épilés montrés en plein ballet élégant nimbé d’un clair-obscur flatteur à souhait qui ne voyait jamais la protagoniste se défaire de son soutien-gorge. Les girls de Lena Dunham, elle, mettaient leurs vêtements (et leurs cheveux) sens dessus dessous, transpiraient, adoptaient parfois des positions tout sauf flatteuses, parce que là où il y a de la gêne, il ne peut y avoir de plaisir, et surtout, montraient ledit plaisir dans tout ce qu’il a de libéré, libérateur et parfois gênant ou inconfortable aussi. Une approche audacieuse, qui a ouvert la voie à d’autres voix sur un sujet dont on a trop longtemps peu ou mal parlé.

Sexe en séries

Flash-forward 11 ans après la sortie du premier épisode de ce qui a été qualifié d’anti-« Sex & the City » et l’extase vécue par une génération surprise et ravie de voir une représentation réaliste de son rapport au sexe sur les écrans a laissé place chez la Gen Y et autres Zoomers à un rapport blasé tout ce qu’il y a de plus sain aux séries d’aujourd’hui: qu’elles montrent une image véridique du sexe est la norme et non plus l’exception. Ainsi que le soulignait le critique télé Mo Ryan il y a quelques années de ça au Huffington Post, « c’est merveilleux de retrouver des personnages qui naviguent toute la complexité des rapports sexuels. Bien sûr, la pornographie fait du bien et peut remplir certains besoins, mais les gens ont aussi besoin de voir leurs propres vies sexuelles reflétées à l’écran, dans toute leur splendeur mais aussi avec toutes leurs erreurs ». Et d’appeler à l’organisation de funérailles factices pour la scène de sexe d’antan, répétée ad nauseam, entre lumière et corps parfaits et pudeur à outrance, à mille lieues de « l’imagerie viscérale » d’aujourd’hui.

Une imagerie qui va au-delà de l’effet miroir et sert même d’éducation sexuelle au jeune public de séries telles que « Sex Education », « I Am Not Okay With This », « The End of the F*****g World » ou encore « Never Have I Ever ». Leur point commun: un abandon salutaire de toute forme de censure, et une approche sincère du sexe qui ne passe pas sous silence à quel point sa pratique peut parfois être compliquée ou gênante à l’adolescence. Une manière de décomplexer les jeunes spectateurs qui font l’apprentissage de leurs corps et de leurs envies en même temps que les personnages de leur série préférées, dont les déboires contribuent à dédramatiser leur vécu. Et la Dr Shayna Skakoon-Sparling, spécialiste de la santé sexuelle, de souligner qu’une série comme « Sex Education » contribue à détricoter nombre d’idées reçues rétrogrades voire même parfois dommageables autour de la sexualité.

Là où trop longtemps, séries et films n’ont traité les scènes de sexe que comme des interludes, les productions actuelles osent en faire une trame narrative, voire même, le fil rouge du programme tout entier. Une bonne chose, salue la sexologue bruxelloise Valérie L’Heureux, pour qui le rôle éducatif de ces séries est salutaire.

Cela permet de dédramatiser le sujet, mais aussi d’ouvrir la discussion grâce à une forme de triangulation qui libère la parole. Plutôt que de parler de lui ou de ses proches, le jeune va pouvoir dire « ah tu as vu ce qui s’est passé dans tel épisode », et ce faisant donner son avis et aborder des sujets potentiellement plus sensibles sans parler de lui. Cela ouvre le champ sans prise de risques, parce qu’à l’adolescence, parler de sa santé sexuelle, en pleine construction avec tout ce que ça implique de mauvaises expériences, est parfois périlleux » décrypte Valérie L’Heureux.

Et de rassurer les parents et autres autorités concernées qui y verraient une banalisation dangereuse des rapports charnels: « Ces séries ne banalisent pas, elles ouvrent le débat ». Et si Valérie L’Heureux loue leur approche honnête, elle insiste toutefois sur l’importance de trouver un juste milieu entre « des scènes plus idéalisées et des représentations plus réalistes. C’est libérateur de voir des personnes gênées, qui traversent les mêmes doutes et inconforts que nous, mais on a aussi besoin de rêver, se dire qu’on va vivre une belle histoire et fantasmer devant des actes sexuels idéalisés. Si on ne montre que des choses un peu crues et pas très esthétisantes, cela peut avoir un effet décourageant ». Cachez (un peu, parfois, à l’aide d’une lumière flatteuse) ce sein que je ne saurais voir? Disons plutôt qu’à trop dévoiler sans gêne, il ne faudrait pas en oublier le plaisir.

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