Zen, soyons zen (ou pas): du bon usage de la médiation

© Lucia Biancalana
Kathleen Wuyard

Nimbée d’un halo de wellness et d’accomplissement personnel, la méditation, bien qu’ancestrale, est une des pratiques les plus prisées de ceux que le rythme actuel lessive. Lesquels se retrouvent parfois fort dépourvus une fois le «vide» venu, car celui-ci a tendance à s’accompagner de pensées qu’on préférerait chasser.

Mais pourquoi donc est-il si compliqué de se mettre à méditer, alors même que la pratique est vantée par monts et par vaux et que les convaincus nous abreuvent de ses bienfaits? La faute, ainsi que s’en convainquent beaucoup de déçus, pétris des mythes de notre société de la performance, à un mental défectueux ou une faute de caractère, peut-être? A moins qu’il ne s’agisse simplement là d’une preuve irrémédiable (et arrivée dès les prémices de la première séance, cela va sans dire) que la méditation n’est pas ce qui leur correspond? Pas forcément.

La première règle de la pleine conscience est en réalité d’apprendre à se détacher de ses ressentis parasites et à ramener son attention sur l’instant présent. Et surtout, ainsi que le martèle Jacques Splaingaire, instructeur en pleine conscience et, du haut de ses 70 ans, fort de cinquante années de pratique, il faut arrêter de se convaincre que la méditation est la clé du bonheur, dont le chemin est forcément pavé de pensées positives, car «il n’y a pas de recette pour être heureux». Si celui qui a rencontré le zen «par hasard», à l’époque où il appartenait à l’équipe nationale belge de judo, en a progressivement fait son métier, il affirme en effet refuser le prosélytisme et se méfier des marchands de bonheur. Qui sont pourtant nombreux à rôder en marge de ce qu’on appelle désormais aussi en français la «mindfulness», la traduction anglaise ayant servi à présenter une discipline ancestrale comme une solution actuelle à des problèmes modernes.

Il faut arrêter avec notre vision photoshoppée de la vie, on a le droit de ne pas toujours aller bien.

Pas de chance, cette approche qui appelle à faire le vide et à repartir d’une page blanche, léger et apaisé, contribue justement à la première expérience négative que peuvent faire certains de la discipline. «Il faut bien se rappeler que la pleine conscience n’est pas la cause des pensées négatives qui peuvent assaillir, mais bien la raison pour laquelle les gens décident de méditer, rappelle Jacques Splaingaire. C’est un entraînement à être attentif à tout ce que nous pensons, ressentons, au sens que nous donnons aux choses et à la charge émotionnelle que nous accordons à nos pensées, dans le but de se diriger vers un état de conscience accrue. C’est vrai que quand on s’entraîne à être attentif, on voit des choses qu’on ne remarquait même pas avant, et le rôle de l’instructeur est de bien faire comprendre aux personnes que c’est normal.»

Accepter la difficulté

Forte aujourd’hui de sa participation à deux retraites Vipassana, Rachel Haché, trentenaire canadienne installée à Bruxelles, a pourtant eu l’impression que les pensées qui la parasitaient lors de sa première immersion étaient tout sauf normales. Et certainement pas bienvenues, en tout cas. «Je me suis initiée à la méditation de manière extrême via une retraite Vipassana, qui implique de vivre comme un moine durant dix jours complets. Soit en méditant dix heures et demie par jour, dans le silence, et sans écrire, lire ni faire du sport, aucune distraction en bref. A part quelques méditations lors de ma pratique du yoga, j’étais très inexpérimentée mais des collègues et un proche qui avaient vécu cette expérience en étaient revenus transformés. Donc j’abordais ça comme un challenge. Presque comme quelqu’un qui s’inscrit pour un semi-marathon sans jamais avoir couru plus de trois kilomètres», raconte-t-elle. Première surprise: la réalisation de la physicalité demandée par une pratique aussi intensive, ainsi que de la discipline nécessaire pour recentrer son esprit en permanence, et ce, plus de dix heures d’affilée. Autre déconvenue: la négativité charriée par ces frustrations. «Ce qui m’a le plus choquée en me plongeant dans la pratique, c’est d’entendre mes pensées, et de réaliser à quel point elles pouvaient être négatives, entre jugement des autres, frustration de ne pas pouvoir rester concentrée et rumination de situations que je n’avais pas encore acceptées», se souvient Rachel. Profitant d’un des créneaux de cinq minutes de parole alloués, la jeune femme fait part de la honte que ces pensées lui inspirent à la professeure qui les encadre, pour s’entendre répondre que c’est «tout à fait normal que l’esprit réagisse ainsi». Fort bien, mais cela veut-il dire que chaque séance de méditation est donc appelée à se transformer en douloureuse spirale de négativité?

Vivre avec ses pensées

Certainement pas, rassure la Liégeoise Chloé Dujardin, professeure de yoga et instructrice en cycles de réduction du stress par pleine conscience. Bien sûr, concède celle qui officie dans son propre institut, Yoga Samana, «la méditation peut parfois être confrontante, parce qu’elle nous ouvre à un éventail d’expériences qui vont au-delà du simple fait d’être détendu. Parfois c’est agréable, parfois pas, comme la vie finalement, et il s’agit d’apprendre comment vivre avec ça. On n’utilise pas la pleine conscience pour rendre la vie entièrement agréable, c’est impossible.» Et c’est justement en accueillant les éventuelles pensées parasites avec bienveillance, plutôt qu’en les rejetant, voire en décidant d’abandonner la méditation, que l’on parvient à atteindre l’apaisement recherché. Lequel, souligne en souriant Chloé Dujardin, «ne correspond pas à l’image du bouddha bienheureux qu’on s’en fait». Et s’apparente plutôt à une manière de pratiquer comment se relier à ce qui est là plutôt que de vouloir changer ses sentiments. «On a tendance à tenter de les gérer en les évitant, alors qu’il faut apprendre à vivre avec», assure la Liégeoise. Pour elle, «c’est important d’accueillir ces pensées parce qu’elles font partie de notre humanité. Souvent, quand on reste avec elles et qu’on les verbalise, une petite ligne de compassion arrive tout doucement. Parfois, on réalise aussi avec la pratique qu’en permettant à ces pensées d’exister, au lieu de les croire d’emblée, on les voit comme une création et non quelque chose qui nous définit». Et de rappeler que la première raison d’apprendre à vivre avec ces pensées négatives est qu’elles sont impermanentes.

© Lucia Biancalana

Choisir son moment

«Heureusement», sourit Sabrina, venue à la méditation durant un premier confinement qui s’est apparenté pour elle à une crise personnelle, plus rien de ce qu’elle avait construit jusque-là ne trouvant écho en elle. C’est lors d’un live Facebook qu’elle découvre la méditation Metta, axée sur la bienveillance et l’amour, et dont elle finit la séance «heureuse et en larmes de joie». Et pourtant, jusqu’alors, la jeune femme était tout sauf convaincue par les bienfaits d’une discipline pour laquelle elle pensait n’avoir ni la patience ni la volonté de pratiquer. «Or la méditation, ce n’est absolument pas rester immobile en ne pensant à rien, rappelle-t-elle. On peut absolument méditer en marchant, se poser pour écouter le chant des oiseaux, méditer en silence ou en musique, durant trois ou vingt minutes… Il s’agit juste de laisser aller ses pensées et de se concentrer sur l’instant présent.» Et apprendre à déterminer si celui-ci est adapté ou non à la pratique de la méditation. «Les pensées parasites peuvent être violentes ou désagréables, surtout au début, quand on ne sait pas quoi en faire», concède Sabrina. Qui a elle-même déjà dû arrêter une méditation car un événement douloureux se rappelait à elle et la parasitait. «Dans ce cas, c’est simplement qu’on n’est pas réceptif à ce moment précis, car l’objectif de la méditation est justement de ne pas laisser les émotions prendre le dessus.»

Rester dans le présent

Et Jacques Splaingaire d’évoquer Descartes et son célèbre «je pense donc je suis» pour aider à mieux comprendre les craintes associées à la pleine conscience. «On est en pleine confusion entre la pensée et la notion d’existence, mais ce qu’il faut savoir, c’est que la méditation, le zen et toutes les autres tendances contemplatives s’attachent essentiellement à la charge émotionnelle des pensées. Autrement dit, la difficulté de la personne ne relève pas de ce qu’elle pense, mais bien de la charge émotionnelle qu’elle y attache.» Une charge que la pratique régulière de la méditation peut contribuer à alléger: «Cela va apporter la capacité à ne pas confondre émotions et pensées, et encore moins pensée et faits. Si on a peur de ne pas tenir la distance lors d’une séance de méditation, par exemple, on a une émotion qui est la peur, une pensée qui est la durée, mais la réalité est que la peur n’est pas correcte parce qu’on peut arrêter la séance de méditation à tout moment. En le réalisant, on enlève la charge émotionnelle de la pensée et on revient à la réalité», décrypte celui pour qui on a tendance à construire tellement de scénarios catastrophe qu’on finit par les confondre avec la réalité.

Initiée à la méditation par sa maman après un accident de voiture, Lola confie pour sa part avoir d’abord tenté de chasser ses émotions négatives, persuadée qu’il fallait se concentrer uniquement sur le positif. Avant que sa mère ne lui inculque l’importance de les laisser venir, mais aussi et surtout, de les déculpabiliser: «Elle m’a fait comprendre qu’on ne devrait jamais avoir honte de nos émotions. Il faut arrêter avec notre vision photoshoppée de la vie, on a le droit de ne pas toujours aller bien.» Sabrina, elle, assure qu’au gré de la pratique, «on apprend à ne plus se focaliser sur les pensées et encore moins sur les «idées noires». Elles arrivent, on les laisse passer. On peut se laisser distraire, mais alors on revient à son corps, à sa respiration, à sa présence. On retient que rien n’est grave, que tout passe. Que hier n’existe plus, et donc on lâche toute cette culpabilité, ces questionnements, ces doutes. Que demain n’existe pas encore, et que tout est donc possible. La seule chose qu’on maîtrise, c’est le moment présent Même si, rappelle Chloé Dujardin, «pour les personnes qui vivent des choses très traumatisantes, la méditation peut être difficile parce qu’elle réveille des choses douloureuses. Méditer n’est pas du tout anodin: l’industrie du bien-être le montre de manière très superficielle, en mode «assieds-toi, respire, et tu vas te sentir mieux», mais ce n’est pas toujours ça qui se passe». D’où l’importance pour la jeune femme de se lancer dans la discipline de manière accompagnée. Et Rachel d’enjoindre tout qui craindrait d’essayer à commencer sa pratique méditative graduellement, louant les effets obtenus par ceux qui persévèrent et parviennent selon elle à «se libérer de leurs blessures et à atteindre un bonheur réel en acceptant la réalité du moment présent». Avant de souligner dans un éclat de rire le côté «mielleux» de sa déclaration, même si, promet-elle, «c’est tellement libérateur et vrai!». A méditer…

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Envie d’en savoir plus? De vous y mettre? De franchir les premiers obstacles? Le Vif Weekend lance cet été, dès ce 30 juin, un nouveau podcast, «7 clés pour méditer», en compagnie du neurologue belge Steven Laureys. En prime, un exercice à la fin de chaque épisode. C’est le moment ou jamais d’oser!

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