Indul-gens

Dans son roman, Les gens, Philippe Labro se penche sur trois destins qui n’ont rien en commun, si ce n’est la solitude et le besoin de se réinventer. La lumière de Maria et la reconstruction de Caroline s’opposent à la noirceur de Marcus Titus, tycoon des médias. Labro étudie ces vies avec la véracité des sentiments qui lui sert de gouvernail.

Que reste-t-il, en vous, du petit garçon que vous étiez ?
Tout. La curiosité, le sens des valeurs transmises par mes parents, une fidélité à mes frères et à ma famille, un amour immodéré pour la nature et le rugby, une envie de voyager et d’aller vers le monde. Et enfin un goût précis pour construire et raconter des histoires. Mes trois frères aînés se souviennent de moi comme un enfant-conteur.

Qui vous a donné le goût de la curiosité ?
J’en ai hérité comme de la couleur de mes yeux. Il y a une dose extraordinaire d’inné. Aux dires de Kipling, « il y a ceux qui voyagent et ceux qui ne voyagent pas. » Mes parents, mes professeurs et mes lectures m’ont encouragé à rester éveillé aux autres.

L’écriture est-elle un voyage ?
Bien entendu. Un romancier imagine des situations, des personnages et des décors qui lui permettent de s’évader, mais c’est aussi une introspection. Outre le voyage réel en territoire inconnu, il existe un voyage imaginaire, où l’on reste assis. L’écriture est une passion et une nécessité, sinon je m’étiole.

Vous affirmez que « même s’il n’écrit pas les mêmes livres, un écrivain avance sur le même chemin ». Quel est votre voie ?
Celui de la connaissance des êtres humains. J’aime qu’il y ait une dose d’irrationnel, d’imprévu, de précaire… l’éphémère des choses qui mène vers un semblant de sagesse.

Qu’en est-il de la nostalgie ?
La nostalgie est un sentiment positif. Il s’agit d’un bonheur passé, qu’on se remémore sans regrets ni remords. J’ai beaucoup travaillé le passé dans mes romans, parce qu’il incarne un trésor, dans lequel je puise en permanence. Alors que le romancier grappille le passé, le journaliste aborde notre époque.

Où écrivez-vous ?
Chez moi dans un petit bureau, tard le soir. Le week-end dans une maison, en Normandie. Une fois que j’entre dans un livre, je peux écrire partout. Ce roman a été écrit à bord d’un bateau, dans une maisonnette près de l’Atlantique et au coeur d’une vallée perdue en Suisse. Ce dont j’ai besoin, c’est d’une pièce silencieuse et noire. La notion de nuit est essentielle.

Que vous évoque le terme Les gens ?
Cette expression courante est digne de la formule « sésame ouvre-toi ». Elle me permet de sortir de l’aspect autobiographique. Ici, je livre ma comédie humaine. A travers ce regard sur le monde, je capte le « bruit » des gens, leur humanité. Que ce soit en littérature ou dans la vie, j’aime l’originalité de ceux qui ne ressemblent pas aux « gens ».

Qui sont les personnes que vous admirez ?
Les grands créateurs, les grands peintres, Bach, Mozart ou Beethoven pour la musique symphonique classique ; les écrivains de l’école du roman français du XIXe siècle (Maupassant, Zola, Stendhal) et les auteurs américains pour le XXe siècle. J’admire aussi ceux qui disent non – comme Churchill ou De Gaulle qui étaient également écrivains – et ceux qui se détachent du lot en nous renvoyant au coeur des choses, comme Gandhi ou Martin Luther King. Enfin, il y a mes parents et mes enfants, pour la façon dont ils évoluent.

Ce roman présente trois facettes de la solitude. Est-ce le mal de l’homme contemporain ?
Pas forcément contemporain… On a beau la briser, la transformer ou s’en accommoder, on est et on meurt seul. Il en va de la définition essentielle de l’homme. Etre face à soi-même peut être enrichissant et fructueux. Mais la solitude est génératrice de douleur lorsqu’elle est extrême et constante.

Comment vous arrangez-vous avec la solitude ?
En frottant ma cervelle à celle des autres, en butinant toutes les fleurs de la vie, en ouvrant les yeux et les oreilles. On est tout et son contraire… Une partie de mes romans parle de quelqu’un qui se croit exclu des cercles, or une fois intégré, il est insatisfait.

Pourquoi capter vos héros au moment où ils se sentent des « colis du néant » ?
Ces moments, où leurs contradictions se rencontrent, sont décisifs. Ils donnent lieu à des morceaux de bravoure, des choses inattendues qui les confrontent à des choix. Cela les pousse à se remettre en question. C’est alors que la vérité des êtres apparaît.

L’expérience de la dépression vous a-t-elle permis d’aborder différemment les brisures et les renaissances de vos héros ?
Oui, même si je prétends que ce n’est pas autobiographique, tout l’est. Cela s’inscrit toutefois dans un mouvement. « What’s next ? » Cette suspension m’intrigue. Quels sont les moteurs qui les font chuter et progresser ? On se découvre à partir d’épreuves, de douleurs, de rencontres ou de mains tendues. Façonné par les événements, on cherche en soi les éléments qui nous feront progresser.

Avez-vous déjà « aimé à en perdre l’équilibre » ?
Bien sûr, mais c’est justement ça l’amour. En tous cas dans un premier temps, puis ça évolue de façon bénéfique.

Pourquoi avez-vous une telle passion de la vérité ?
Je déteste l’imposture, la comédie, les masques. Or, dans la vie, on est parfois si peu armé, qu’on doit se protéger en créant des barrières. Ce qui compte, c’est d’être soi-même. J’aime la vérité, mais il n’y a rien de plus dur à saisir. Y’a-t-il « une » vérité et si oui, quelle est-elle ?

Dans un roman est-il facile d’être dans la peau d’une femme…
Tel est le privilège du romancier. J’aime me déguiser sur papier. Vivant dans un monde de femmes (ndlr : Philippe Labro est le père de trois filles), j’essaie de les connaître tant elles me passionnent. C’est un plaisir autant qu’un défi. Mon intérêt provient d’une curiosité permanente : les femmes sont autres parce qu’elles donnent la vie.

Que symbolise pour vous votre côté cravate dénouée ?
C’est ma façon de me distinguer, de sortir de la routine. J’adore ce côté provocateur. Ça m’amuse d’être dedans et dehors, convenable et marginal. Je suis plein de contradictions, je suis pluriel.

Les couleurs qui vous parlent.
J’aime toutes les nuances de bleu, mais l’ensemble des couleurs sont belles car elles parlent de la terre, ce miracle que nous ignorons tous les jours. J’aime songer au poème de Walt Whitman, qui nous rappelle que le moindre brin d’herbe et la plus petite abeille sont un miracle. Or l’homme s’habitue à tout.

Pour vous, être libre c’est…
Respirer, choisir, décider sans être dominé ni domestiqué.

Etes-vous conforme à l’image de l’homme que vous imaginiez devenir ?

Le petit garçon, qui a fait l’apprentissage de ses expériences, croit à l’acquis et à l’inné. Quand je repense à mes 10 ans, mes 20 ans et mes 30 ans, j’ai l’impression d’être quelqu’un d’autre. Je me reconnais en regardant en arrière, mais c’est plutôt à l’instar des couches géologique ou du fruit qu’on pèle pour arriver au noyau dur, qui s’est formé au fil des années.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm ?

Les gens, par Philippe Labro, Gallimard, 452 pages.

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