La beauté comme philosophie

Le mannequin Tao Okamoto, le plus familier des visages nippons sur les podiums internationaux. © John Edouard Anderson/Corbis

Eloge de l’imperfection, prééminence absolue du kawaii, imaginaire occidental fantasmé : la féminité au pays du Soleil- Levant reste hypnotisante et se révèle plus complexe que les clichés. Explications.

Par Marta Represa

Les visages peints en blanc et les coiffures fleuries des geishas, les allures manga-lolitesques des Sailor Moon, les Harajuku Girls et leurs cheveux aux couleurs hallucinogènes… En Occident, on contemple la beauté japonaise à travers un kaléidoscope de clichés qui occultent une réalité plus simple : l’Extrême-Orient reste un mystère aux yeux des Occidentaux. D’autant que la philosophie qui sous-tend l’esthétique nippone se révèle en perpétuelle évolution.

 » Les femmes ici dépensent beaucoup plus d’argent en produits de beauté que dans le reste du monde. En moyenne, elles utilisent sept produits pour la peau chaque jour, et autant pour le maquillage. Elles utilisent même un terme pour se reconnaître entre elles : « beauty maniacs » « , explique la maquilleuse japonaise Noriko Okubo. Mais …/ il ne s’agit pas d’un simple surconsumérisme.  » Un /… vieil adage dit que le coeur est le deuxième cerveau et la peau le troisième. Il résume parfaitement l’importance de la beauté dans notre société « , explique Toru Sakura, membre de l’équipe de recherche scientifique de la maison Shiseido. Au Japon, l’identité – individuelle et collective – se construit à travers les choix de beauté.

Dans son livre Kawaii Shokogun ( » Le Syndrome Kawaii « ), le sociologue Soichi Masubuchi explique que le goût du raffinement au Japon est remplacé, depuis les années 1960, par un culte voué à tout ce qui est mignon. Selon Noriko Hokubo,  » kawaii est un mot magique qui englobe toutes les qualités désirables chez les Japonaises. Pour être attrayante aux yeux d’un homme, une fille doit être kawaii. En étant mignonne, délicate et douce, elle donne l’impression d’être fragile et d’avoir besoin d’une protection masculine. Même si cette fragilité n’est qu’illusoire !  » D’où le blush kabuki rose bonbon, le lip gloss couleur cerise (même si les ventes de rouges à lèvres fuchsia et corail augmentent, seules quelques intrépides ultramodernes osent le bordeaux ou le pourpre) ou le trait d’eye-liner tiré vers le bas.

Si les différences sémiotiques de la beauté entre le Japon et l’Europe sont indéniables, les Japonaises restent fascinées par le look occidental.

La preuve ? Quelques années après avoir fondé la compagnie Shiseido en 1872, Arinobu Fukuhara voyage aux Etats-Unis et rapporte un soda-fountain. La boutique du quartier de Ginza devient alors l’endroit le plus à la mode de Tokyo. Et les influences occidentales sont dès lors la marque de fabrique de la maison, qui ne cesse de grandir.

Aujourd’hui, Shiseido est le plus grand groupe de beauté au Japon, avec 20 marques et des supermarchés dans presque toutes les villes du pays.  » Même si notre philosophie reste très japonaise, presque confucéenne (« Shiseido » veut dire « éloge des vertus de la terre qui nourrissent la vie »), nos produits sont au croisement des valeurs nippones et européennes, ce que les clients apprécient aussi bien à Paris qu’à Tokyo « , raconte Fukuko Kadowaki, du département marketing de la maison. Les Japonaises sont certes influencées par la culture de l’Ouest, mais les Occidentales passent aussi sous un filtre nippon. Sur les campagnes de la ligne de produits blanchisseurs Blanc de Perle de Guerlain qui décorent les murs du grand magasin Mitsukoshi, une Natalia Vodianova méconnaissable troque son look  » terracotté  » et sensuel contre un teint de lis, des lèvres maquillées au gloss et des yeux scintillants et malicieux aux proportions manga. Une image de la beauté globalisée, mêlant tradition japonaise et lubie du kawaii.

Découvrez l’intégralité de cette article dans Le Vif Weekend de ce vendredi 02 janvier 2015.

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