Nicolas Balmet

On se serre la main pour montrer à l’autre qu’on n’est pas armé

Nicolas Balmet Journaliste

Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.

Tous les films historiques le montrent : au Moyen Age, on avait un peu de mal à faire confiance à autrui. Quand on croisait quelqu’un en rue, on passait d’office un mauvais quart d’heure, face à un individu (forcément) alcoolisé et (bien sûr) belliqueux, qui chantonnait à tue-tête sur les pavés après avoir écumé les auberges et les maisons closes du quartier. Même quand on se rendait à un mariage, on ne pouvait jamais être certain que tous les invités soient épargnés par la famille d’en face : je ne reviendrai pas sur l’épisode 9 de la saison 3 de Game of Thrones, inutile de remuer le couteau dans les plaies. 

En ces prémices de l’an de grâce 2024, mon humble mission est intacte : continuer à remettre quelques églises au milieu des villages. Dans ce cas-ci, je me dois de rétablir une vérité trop souvent bafouée : non, le Moyen Age n’était pas une sinistre période d’obscurantisme et de violence incessante, où le sang coulait à flots sur les champs de bataille tandis que les femmes et les enfants agonisaient de la peste dans leurs froides chaumières. Non : il était moins terrifiant qu’on veut bien le dire, comportant à la fois des périodes de paix, d’essor économique ou d’élans artistiques qui apportaient un brin de gaieté sur les visages entre deux croisades. Il faut rappeler que le Moyen Age s’étend sur plus de mille ans : vous imaginez bien que si les êtres humains avaient passé dix siècles d’affilée à se distribuer des gnons et à s’égorger les uns les autres, il n’y aurait plus eu grand-monde pour mettre un peu d’ambiance à la Renaissance !   

Cette mise au point faite, il faut bien sûr raison garder : la période avait ses petits défauts (l’émancipation féminine, par exemple, n’était pas très en vogue) et ce n’est pas un hasard si deux coutumes éloquentes, encore en vigueur aujourd’hui, datent de cette époque contrastée. La première : le fait de se serrer la main. De nos jours, le geste peut sembler anodin. Or, jadis, quand on dévoilait sa paume à autrui, il s’agissait surtout de montrer que l’on n’avait pas d’arme en main, ni de poignard caché dans sa manche. On se serrait donc la pince pour dire « T’inquiète, je n’ai pas prévu de faire jaillir les intestins de ton ventre… enfin, pas aujourd’hui. » Un symbole de paix et de confiance qui serait né dans l’Antiquité grecque, mais que les chevaliers du Moyen Age ont « popularisé » avant de dégainer leurs épées à tout-va. Durant les décennies suivantes, le poignée de main prendra évidemment d’autres sens, en devenant par exemple une sorte de « tope-là mon pote » au moment de conclure des affaires sur les marchés paysans…

Santé!

Une deuxième tradition héritée du Moyen Age ? Le fait de trinquer. Là encore, de nos jours, le vigoureux entrechoc de verres s’apparente à un geste aussi joyeux qu’amical. Au Moyen Age, c’était surtout le moment où, en acceptant que les breuvages se cognent et que, dès lors, des gouttes puissent passer d’un contenant à l’autre, on prouvait qu’on n’avait pas mis de poison dedans. Traduction : « Ah ah, t’as de la chance, je devais passer chercher de la mort-aux-rats à la pharmacie, mais elle était fermée ! » La coutume allait même plus loin : pour montrer de manière définitive à son congénère qu’on n’était pas venu au bistrot pour casser l’ambiance, il fallait se regarder dans les yeux au moment d’entrechoquer les verres de bon cœur, pour être certain que l’autre ne vérifie pas si, oui ou non, des gouttes avaient virevolté jusqu’à son verre. 

Retour à notre époque bénie où les fiestas sont (généralement) un brin plus chaleureuses. C’est l’heure de l’apéro, le gamin vient de se brûler la langue parce que les petits-fours sont trop chauds, mais tant pis. Les bouchons sautent et les bulles se déversent dans les coupes. Vous connaissez clairement ce moment, chers lecteurs, où quelqu’un vous supplie de le fixer droit dans les mirettes au moment de trinquer. Bonne nouvelle : maintenant que vous connaissez l’origine de cette requête, vous avez le droit de traiter cette personne de rustre, de vilain ou de gueux, c’était quelque chose de très convivial à l’époque. Qu’est-ce qu’on dit ?

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