Photojournalisme aujourd’hui : où sont les femmes ?

Jean-François Leroy, "patron" du festival Visa pour l'image. A ses côtés, Sylvie Grumbach, fondatrice du 2e bureau, agence de relations publiques. A perpignan, le 6 septembre © AFP

Les femmes photoreporters ont écrit quelques unes des plus belles pages du métier et s’affirment de plus en plus, mais les chiffres en témoignent: elles restent très minoritaires.

Pour le prestigieux World Press Photo, qui récompense chaque année les meilleurs clichés dans le monde, le nombre de candidates a tourné ces trois dernières années autour de 15%.

En 2012, le chiffre avait atteint péniblement les 17,5%. Comme le reconnaît l’organisation, « accroître la diversité du genre constitue un objectif stratégique ».

Et qu’en est-il à Visa pour l’image, présenté comme le plus important festival de photojournalisme dans le monde et dont la 30ème édition bat son plein à Perpignan, dans le sud de la France, jusqu’au 16 septembre?

La question, souvent posée, a l’art d’agacer le directeur et co-fondateur Jean-François Leroy, connu pour son franc-parler: « Je reçois 4.500 propositions par an, je regarde les photos et si elles me plaisent, je les retiens. Je ne regarde jamais si c’est un mec, une femme, un black, un blanc, un asiatique », assure-t-il à l’AFP.

Véronique de la Viguerie
Véronique de la Viguerie© AFP

« Historiquement, les femmes ont toujours eu une grande place dans le photojournalisme. Mais qu’on ne me demande pas de privilégier le boulot moyen d’une femme au détriment d’un bon boulot d’un mec parce que c’est un homme. C’est de la discrimination », lance-t-il.

« L’an dernier, sur 4.500 propositions, on a reçu 22% de dossiers féminins. La proportion (des photographes femmes exposées) est à la hauteur de ce que je reçois », conclut-il. Parmi les quatre finalistes au prestigieux Visa d’or News 2018, une seule femme, Véronique de Viguerie.

Mais « c’est un très bon moment pour se lancer dans le photojournalisme si vous êtes une jeune femme photographe », assure à l’AFP Hilary Roberts, conservatrice de l’Imperial War Museum de Londres, qui a animé une table ronde sur ce sujet à Visa. « La prise de conscience de ce que peuvent apporter les femmes à la photographie s’améliore, je suis optimiste », souligne-t-elle. Pour elle, cet apport peut être notamment une certaine « empathie », même s' »il est difficile de généraliser ».

« La sensibilité n’est pas le domaine des femmes par excellence. Le courage n’est pas le domaine des hommes par excellence. Et ce qu’on appelle la sensibilité féminine, un homme peut l’avoir », tranche la Franco-Espagnole Catalina Martin-Chico, lauréate du prix Canon de la femme photojournaliste en 2017.

« Tu dois te battre »

« Je n’ai pas eu de problèmes en tant que femme mais toujours des avantages. Notamment parce que je peux raconter des histoires de femmes dans des pays conservateurs, traditionnels, au Moyen-Orient par exemple », affirme aussi cette reporter pleine d’énergie.

Catalina Martin-Chico, lauréate du prix Canon de la femme photojournaliste en 2017.
Catalina Martin-Chico, lauréate du prix Canon de la femme photojournaliste en 2017.© AFP

En Colombie, pour un sujet sur la maternité des anciennes combattantes des FARC, « j’ai apporté ce petit plus de pouvoir dormir dans leur lit, d’être dans leur chambre, de pouvoir discuter des détails de l’avortement dans la jungle. Des choses qu’elles auraient raconté différemment ou pas raconté du tout à un homme », raconte-t-elle.

Pas facile toutefois d’être photojournaliste au féminin dans certains pays. Au Pakistan, très peu de femmes sont photoreporters car « le secteur est tellement dominé par les hommes » et, en plus, la société est très conservatrice, explique à l’AFP Sara Farid, qui a dû quitter son pays avec son mari journaliste. Le couple vit maintenant à Paris avec le statut de réfugié politique.

Elle a été journaliste pendant 15 ans, dont 7 comme photographe: « C’était possible mais tu dois beaucoup te battre, te battre contre ta famille, contre la société avec des gens qui te disent de te couvrir la tête ou de ne pas être ici ». En plus, « il est fréquent d’être agressée sexuellement ».

« Les tentatives d’attouchement, c’est toujours désagréable, confirme la reporter française Laurence Geai, car cela nous met dans une situation de vulnérabilité ».

Et le sexisme? « Avec mes patrons, aucun problème », répond Laurence Geai. « Mais avec certains confrères masculins, notre réussite est rarement justifiée par notre travail mais par des raisons difficiles à entendre. Et puis il y a les petites phrases comme: « ne prends pas le travail des autres » ou alors « pourquoi t’envoyer toi (en reportage)? ». Ce n’est pas grave mais c’est blessant ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content