À Copenhague, sur les traces de l’architecte danois Arne Jacobsen

Jacobsen a conçu cette villa fonctionnaliste en 1929 et y a vécu lui-même jusqu’en 1951. © SDP / PER MUNKGAARD-THORSEN & LARS DENGBOL. AND US – REALDANIA BY & BYG.

Souvent copiées et toujours acclamées, les créations du designer et architecte danois Arne Jacobsen possèdent une classe sans âge. Mais son héritage ne se limite pas à quelques chaises iconiques. La preuve à travers cette balade dans sa ville natale de Copenhague, où un théâtre, une station-service, une banque et un hôtel portent sa griffe.

Les enfants qui griffonnent sur les murs, tout le monde connaît. Et à ce jeu-là, le tout jeune Arne a un jour décidé de badigeonner de blanc l’exubérant papier peint victorien de sa chambre à coucher. Un acte qui peut sembler banal aujourd’hui, mais un désir de calme et de sérénité révolutionnaire pour l’époque. Visionnaire, le gaillard? C’est peu dire que l’architecte a souvent été en avance sur son temps…

Qu’il s’agisse d’un projet complexe comme le SAS Royal Hotel ou d’un simple set de couverts aux lignes futuristes, les créations intemporelles d’Arne Jacobsen (1902-1971) lui ont valu une reconnaissance quasi universelle. Dans sa ville natale de Copenhague, où beaucoup de ses réalisations ont été conservées, le «roi du fonctionnalisme» reste même une figure très importante. Mais derrière les façades, selon l’archiviste et expert ès design danois Henrik-Lund Larsen, ce sont surtout les intérieurs de Jacobsen qui ont marqué l’histoire. «Son attention au moindre détail est vraiment remarquable. L’hôtel de ville de Rudersdal en offre un bon exemple: absolument tout a été imaginé sur mesure par Jacobsen lui-même, des armatures aux chaises en passant par la typographie, les horloges et les poignées de portes. C’était une personnalité unique. Qui, contrairement à la plupart de ses contemporains, voyait généralement ses bâtiments comme le point de départ d’un concept total.»

Arne Jacobsen
Arne Jacobsen © JØRGEN STRÜWING

La force de l’âge

La liste des classiques imaginés spécialement pour le SAS Royal Hotel – les chaises Swan, Egg, Drop, Pot et Giraffe, le canapé Series 3300 ou les lampes AJ et Royal, pour n’en citer que quelques-uns – est impressionnante à elle seule. Comme bien d’autres, ces pièces sont toujours en production, abondamment imitées et très appréciées en dépit de leur âge vénérable. «Alors que beaucoup de créations design sont aujourd’hui réinterprétées, celles d’Arne Jacobsen ont une telle force qu’elle n’ont pas besoin d’être adaptées à l’air du temps», estime Els Van Hoorebeeck, Head of Design chez &Tradition, un label danois dont les collections font la part belle à Verner Panton, Jorn Utzon ou… Jacobsen. L’entreprise a récemment réédité la lampe Bellevue, un modèle presque centenaire arborant au bout d’un bras flexible un abat-jour conique. «Lorsqu’un concept définit une nouvelle manière d’utiliser l’objet, il acquiert un caractère intemporel qui lui permet de conserver toute sa modernité un siècle plus tard.»

Autant dire qu’aujourd’hui, l’exploration des bâtiments qui ont vu naître ces pièces à l’aura puissante se révèle une promenade passionnante. «Jacobsen a été fonctionnaliste avec les maisons blanches de Bellavista, moderniste avec le SAS Royal Hotel, brutaliste avec la banque nationale… S’il avait vécu quelques années de plus, il aurait clairement trouvé le moyen d’être postmoderniste», résume Henrik-Lund Larsen.

10 spots incontournables

1—CHARLOTTENLUND (1929)

Derrière sa sobre façade moderne, la maison privée qu’Arne Jacobsen s’est fait construire dans le nord de la ville repose en réalité sur une structure en briques tout ce qu’il y a de plus traditionnel. C’est dans sa cave aménagée en atelier que l’architecte a imaginé ses plus célèbres créations design. Gotfred Rodes Vej, 2

Charlottenlund
Charlottenlund © SDP / PER MUNKGAARD-THORSEN & LARS DENGBOL. AND US – REALDANIA BY & BYG.

2—LE LOTISSEMENT DE BELLAVISTA (1934)

Parfois surnommé «la Ville Blanche d’Arne Jacobsen», ce quartier résidentiel aux façades blanchies à la chaux repose sur une architecture franche et fonctionnelle qui fait la part belle aux toits plats, aux angles arrondis et aux grandes baies vitrées conçues pour assurer à chaque logement un maximum de lumière et une vue imprenable sur la mer. Strandvejen, 419

Le lotissement de Bellavista
Le lotissement de Bellavista © SDP / ASTRID KBH

3—LE THÉÂTRE BELLEVUE (1936)

Le théâtre d’été est l’une des œuvres de jeunesse les plus notoires d’Arne Jacobsen et témoigne déjà de cette volonté à concevoir lui-même le moindre détail qui allait devenir de plus en plus marquée au fil de sa carrière. L’auditorium s’inscrit dans le prolongement de l’environnement côtier, avec ses rangées de sièges évoquant le mouvement des vagues et ses murs décorés des mêmes rayures bleu et blanc que les tours des maîtres-nageurs sur la plage toute proche. Autre particularité: un toit rétractable – un must pour l’architecte, qui voulait ainsi laisser entrer le parfum de la mer et des bois avoisinants. Strandvejen, 451

Le théâtre Bellevue
Le théâtre Bellevue © SDP / ASTRID KBH

4—LA STATION-SERVICE DE BELLEVUE (1937)

Cette construction futuriste habillée de carreaux immaculés conserve à ce jour sa fonction première et, à l’exception des pompes, elle est restée complètement inchangée. Rapidement surnommé Paddehatten (champignon) en raison de son auvent elliptique, ce prototype aurait dû devenir la station-service standard… mais il n’a hélas été réalisé qu’une fois. Kystvejen, 24

La station-service de Bellevue
La station-service de Bellevue © SDP

5—LA PLAGE DE BELLEVUE (1938)

Bellevue est l’une des plages les plus populaires des environs de Copenhague avec ses 700 mètres de sable fin flanqués de pelouses et d’arbres, et évidemment, ses iconiques tours de surveillance à rayures bleu et blanc. Ici aussi, Arne Jacobsen a imaginé chaque détail du concept, des cabines de plage aux uniformes portés à l’époque par les maîtres-nageurs. Strandvejen, 340

La plage de Bellevue
La plage de Bellevue © SDP / PER SØGAARD

6—KLAMPENBORG (1934-1938)

En 1932, Arne Jacobsen décroche un contrat pour la création d’une nouvelle station balnéaire qui va complètement métamorphoser la banlieue de Klampenborg, au nord de Copenhague. Concrétisé en l’espace d’une dizaine d’années, ce projet de grande envergure ayant pour ambition de rapprocher la nature de l’homme recouvre le théâtre, la plage et la station-service de Bellevue, mais aussi le quartier résidentiel de Bellavista.

7—STELLINGS HUS (1937)

Avec ce bâtiment moderniste de six étages planté au cœur du centre de Copenhague, Arne Jacobsen a réussi le pari d’une construction à la fois contemporaine et parfaitement intégrée à son cadre historique. La structure en acier vert qui habille le rez-de-chaussée et les carreaux gris des étages confèrent à l’immeuble un style subtil et élégant. Gammeltorv, 6

Stellings Hus
Stellings Hus © SDP

8—L’HÔTEL DE VILLE DE RUDERSDAL (1942)

Ce bâtiment cubiste tout en marbre a été conçu par Arne Jacobsen en collaboration avec Flemming Lassen. Fait pratiquement inédit pour l’époque: il n’arbore aucun symbole de pouvoir conventionnel, privilégiant une atmosphère accueillante. Les deux architectes ont également choisi d’omettre la tour qui flanque traditionnellement ce type de construction. Malgré le sombre contexte historique, l’ensemble est esthétique et harmonieux. L’intérieur, en particulier, témoigne d’un souci constant du savoir-faire et de la qualité des matériaux. Un bel exemple d’une finition sur mesure, avec notamment des tissus imprimés créés par Jonna Møller, future épouse de Jacobsen. Øverødvej, 2, à Holte

L’hôtel de ville de Rudersdal
L’hôtel de ville de Rudersdal © SDP / TORBEN ESKEROD

9—LA NATIONALBANKEN (1971)

Moderne et monumental, l’immeuble de la banque nationale danoise est la dernière œuvre majeure de l’architecte: bâtiment, intérieur et jardins géométriques ont été achevés en 1971, juste avant sa mort. Les colonnes en marbre cubistes qui composent la façade symbolisent le rôle de «gardien des finances» de l’institution. L’intérieur s’articule autour d’un immense hall ouvert sur toute la hauteur d’un bâtiment également vêtu de marbre et doté d’un remarquable escalier en verre et métal. Havnegade, 5

La Nationalbanken
La Nationalbanken © SDP / DANMARKS NATIONALBANK

10—SAS ROYAL HOTEL (1960)

Indissociable de l’horizon urbain de Copenhague, le SAS Royal Hotel (aujourd’hui Radisson Collection Royal Hotel) est considéré comme l’une des plus importantes œuvres architecturales d’Arne Jacobsen. Premier gratte-ciel de la ville, dans les années 60, ce bâtiment design minimaliste faisait office à la fois d’hôtel, mais aussi de terminal pour la compagnie d’aviation scandinave SAS. Les fenêtres qui reflètent les nuages sont l’un de ses éléments phares. Egalement conçu avec minutie par l’architecte, l’intérieur tout en élégance, formes organiques et couleurs chaudes offre un contraste saisissant avec la relative sobriété de la façade. Le lobby a conservé une bonne partie de son décor original (dont les chaises Egg et Swan conçues spécialement pour ce projet, le bar, l’éclairage et le spectaculaire escalier), et les créations de Jacobsen sont omniprésentes un peu partout dans l’hôtel. Y loger au moins une nuit est un must absolu.

SAS Royal Hotel
SAS Royal Hotel © SDP / MELLANIE GANDØ

La chambre 606. Inchangée depuis l’inauguration, en juillet 1960, la chambre 606 du Radisson Collection Royal Hotel est la seule à avoir été intégralement conservée dans son état d’origine. De quoi s’offrir un petit voyage dans le temps pour découvrir le modernisme danois des sixties via le décor bleu-vert et brun wengé imaginé par Jacobsen. Ouverte aux visiteurs, elle peut aussi être réservée (à prix d’or) le temps d’une nuitée. Envie d’un cadre un rien plus contemporain? Direction la chambre 506, aménagée par le créateur espagnol Jaime Hayon en hommage à son idole. Hammerichsgade, 1

La chambre 606
La chambre 606 © SDP / MELLANIE GANDØ

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