Has been le numérique ? La photographie argentique s’offre un retour en force dans nos valises

le retour de la photo analogique
© Sebastiaan Bedaux

Y a pas photo: les appareils analogiques reviennent à la mode. C’est le constat dressé par l’un de nos journalistes voyage qui, des îles grecques aux villes portugaises, a vécu une année 2024 en mode vintage.

«Bien qu’on ne me donne pas plus de 25 ans, du moins sur une photo analogique surexposée, pleine de fuites de lumière et de grain, il y a vingt-cinq ans, j’étudiais dans une université où les cours de photo se déroulaient dans des salles obscures et sous un brouillard de produits chimiques. Le concept de «numérique» avait déjà vu le jour.

Par exemple, en 1998, Sony avait lancé le Mavica FD-71, un appareil qui stockait les images sur des disquettes – aujourd’hui, celles-ci gisent dans les oubliettes de la technologie à côté des cassettes Betamax, des modems d’accès à distance et des minidisques. Un an plus tard, son concurrent Nikon présentait le D1, le tout premier appareil photo numérique au monde qui soit abordable pour les photographes professionnels. La carte mémoire ne contenait que 64 mégaoctets, soit 16 photos au format RAW. C’est peu, mais l’alternative analogique n’était guère plus impressionnante: 36 photos sur un rouleau de 35 mm, 10 à 16 clichés sur un film de 120 mm. De plus, la commodité du numérique s’est avérée être un facteur à ne pas sous-estimer. Pas de développement fastidieux, pas de coûts exorbitants pour des photos sous-exposées ou floues. J’en étais sûr: l’ère de la photo analogique était révolue…

La folie du rétro

Zoom avant jusqu’en octobre 2024. Dans le quartier hédoniste de Temple Bar, à Dublin, un jeune homme branché m’adresse la parole alors que j’installe mon Lubitel 2 – un appareil photo reflex à double objectif de fabrication russe indestructible, vieux de 60 ans et acheté pour 40 euros – pour immortaliser un graffiti local. Mon reportage voyage est alors terminé, et je peux m’adonner sans limites à ma passion.

Le jeune homme a autour du cou un appareil photo Olympus, au look typique des années 90 – une décennie qui n’est pas la plus stylée, même dans le domaine de la photographie. Il me montre mon appareil et je sais exactement ce qui va suivre – j’ai déjà eu cette conversation, il n’y a pas si longtemps, à Porto, à Tromsø, en Turquie et en Australie: une conversation «entre experts» au sujet de la photographie analogique. Je suis maintenant persuadé qu’un appareil photo vintage fait le même effet qu’un carlin au bout d’une laisse en diamant. Les conversations se lancent d’elles-mêmes. 

Le retour des rouleaux de pellicule et des appareils photo vintage se reflète également dans les statistiques. Kodak a vu la demande de pellicules doubler ces dernières années, et le marché mondial des appareils photo à pellicule a enregistré une hausse de 30% cette année. La valeur totale du marché des analogiques est estimée à 365 millions d’euros d’ici à 2030, contre 280 millions en 2023, selon une étude du cabinet Cognitive Market Research. Cela a incité le fabricant japonais d’appareils photo Pentax à lancer un appareil remarquable, le Pentax 17, le premier nouvel appareil photo analogique depuis… plus de vingt ans. L’entreprise a même dû faire revenir certains ingénieurs de leur retraite pour mener ce projet à bien.

Au bonheur de la Gen Z

Dans les vitrines des boutiques spécialisées, aujourd’hui, les nouveaux appareils jetables et réutilisables tels que le Ilford Sprite ou le Kodak M35, disponibles bien sûr dans de nombreuses couleurs, brillent de mille feux. Lorsque je viens déposer mes rouleaux, je me retrouve souvent dans une file d’attente remplie de membres de la Gen Z et de Millennials qui, influencés par les nombreuses célébrités exhibant un appareil photo vintage sur les réseaux sociaux, doivent faire un choix déchirant entre, par exemple, le Kodak Portra et l’Ilford Delta. Même sur Oldcam.co.uk, qui organise des ventes aux enchères en ligne d’appareils photo anciens, on trouve des offres pour des Leica, Mamiya, Hasselblad et Rolleiflex vintage, à des prix fous.

Mon avis? Même avec un appareil à 40, 100 ou 300 euros, il y a de quoi s’amuser. Sporadiquement, juste avant un voyage à l’étranger, je charge un rouleau de film dans mon Holga 120N, à peu près l’appareil photo moyen format le moins cher du monde, dont la production s’est arrêtée en 2015 mais a été relancée en 2017. Cet appareil en plastique a tout du low-cost: si vous le sortez neuf de sa boîte, il vaut mieux en scotcher immédiatement tous les bords pour éviter les fuites de lumière. Les résultats sont pour le moins imparfaits, mais c’est justement ce qui fait son charme…

Ode à l’anticipation

Pour les plus de 40 ans, l’amour de la photo analogique est souvent ancré dans la nostalgie: vieil appareil photo, résultat vintage, chargement des rouleaux, son délicat d’un obturateur à l’ancienne, etc. Mais pour la jeune génération, bardée d’appareils vintage ou jetables peu importe l’endroit du monde, l’engouement pour l’analogique est principalement lié à une quête d’authenticité et à une lutte contre la perfection imposée par les réseaux sociaux.

Dans un feed Instagram lisse et brillant, un cliché analogique a plus de chances d’être remarqué. Et pour la génération Z, c’est aussi agréable de (temporairement) ne pas être collé à un écran. Quoi qu’il en soit, c’est un objet qui oblige le photographe à ralentir et à réfléchir au résultat. C’est l’antithèse de la «gratification instantanée» et, en même temps, une ode à l’anticipation qui commence déjà avec le choix de l’appareil photo et de la pellicule, juste avant de partir en voyage.

Sachant pertinemment que le résultat laisse souvent à désirer, personnellement, il m’arrive de sortir de mon réfrigérateur une pellicule périmée (j’ai acheté une fois une grande boîte de Kodak Gold dont la date de péremption se situe quelque part en 1989), dans l’espoir d’obtenir un résultat vintage qui soit aussi éloigné que possible de la perfection numérique. Même si je dois me contenter de trois ou quatre photos acceptables, je m’en réjouis.»

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