CHRONIQUE C'est pas faux de Nicolas Balmet

« Au Japon, le pourboire est considéré comme une insulte »

Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un chroniqueur fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.

«Chou, on laisse un pourboire ou non? De combien? Qu’est-ce qu’ils disent dans le Lonely Planet?» Pas plus tard que cet été, la question a forcément été posée des millions de fois à travers le globe, au même titre que le terrifiant «Au fait, t’as bien pris la carte d’identité du p’tit?»

Un débat vieux comme un échafaudage du palais de Justice bruxellois, qui a toutefois le mérite de débouler sur des réflexions passionnantes sur la culture de la nation visitée – après tout, si ce n’est pas l’objectif maître d’un voyage, à quoi bon avoir la bougeotte?

En France, à l’heure où certaines enseignes de Saint-Tropez sont accusées de blacklister les clients un brin trop chiches sur le bakchich, on se demande si on ne serait pas en train de vivre une époque fort minable. Chez nous? Le pourboire tire clairement la langue, jeté dans les cordes par le sacro-saint paiement électronique qui étrille pièces et billets.

Depuis l’été 2022, c’est même devenu une loi que nul n’est censé ignorer: chaque consommateur a le droit de revendiquer un recours à ses fidèles cartes de banque ou à l’ultramoderne Payconiq. Traduction? A part quelques résistants – les mêmes qui planquent encore des biffetons sous leur matelas ou qui vident leur porte-monnaie à la caisse du Delhaize pour payer leur Suze –, plus personne n’a de monnaie en poche.

Une évolution qui embête à la fois le personnel de l’horeca, les taximans ou même les musiciens de rue qui se retrouvent également à court de liquidités pour payer leur Gordon – non, je ne dis pas que tout le monde est alcoolique, mais quand même un peu.

Remplacer les pièces par un joli sourire? C’est sympa, mais c’est rapiat. Dès lors, la solution se trouve peut-être ailleurs. Certainement pas aux Etats-Unis, où les employeurs estiment que ce n’est pas à eux de payer leurs serveurs, mais bien aux… clients, priés de s’acquitter d’un pourboire allant jusqu’à 20% de la note finale s’ils ne veulent pas faire l’objet d’une enquête du FBI ou, plus simplement, d’une balle de fusil semi-automatique entre les deux yeux.

Non, je veux parler du Japon, où le pourboire est considéré comme un manque de respect, voire comme une véritable insulte. N’essayez surtout pas, là-bas, de glisser quelques piécettes dans la main de la personne qui vous a servi vos gyozas: c’est un o-soto-gari en bonne et due forme qui vous sera prodigué en guise de réplique.

La raison est simple. Pour les Japonais, si vous avez déjà payé pour un service qui, de surcroît, a été qualitatif, il n’y a aucune raison de devoir ajouter un bonus. Un bon service, selon eux, c’est normal. Et le fait de proposer de l’argent supplémentaire sera pris comme un signe de pitié de votre part, sorte de «allez, ce n’est pas grave, tu n’es pas très compétent, mais je t’aime bien quand même».

La grossièreté suprême pour un Japonais qui, dans la plupart des cas, refusera donc votre geste, aussi bien dans les restaurants que dans les hôtels ou les taxis. Le vrai respect? Il s’appelle simplement «merci», voire «arigato gozaimasu» (merci beaucoup) si vous voulez vraiment montrer que la méthode Assimil n’a aucun secret pour vous.

Je ne dis pas que le Japon est un modèle à suivre, bien sûr. Ce n’est pas parce qu’il a inventé à la fois Goldorak et Hayao Miyazaki qu’on lui doit un respect absolu et immuable: rappelons quand même que le karaoké, c’est lui aussi. Par contre, je me permets de constater que le seul pourboire que je continue à donner, c’est après avoir commandé des pizzas sur Uber. Une rawette ni très humaine, ni très chaleureuse qui, léguée depuis mon canapé, me ramène chaque fois à la même question: pourquoi donc suis-je en train de récompenser mon livreur de pizzas, alors que mon facteur, mon épicier, mon ostéopathe, ma prof de bowling (mais nan, je rigole), mon garagiste et ma pharmacienne n’exigent, eux, aucun supplément? A quel moment a-t-on décidé que les chauffeurs Uber méritaient une prime citoyenne, et que tous les autres pouvaient aller se dorer la meringue à Capri? Mystère et boule de glace (sans Chantilly, merci). Et, non, je ne crois pas avoir été Japonais dans une autre vie.

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