Balade perchée sur les toits de Paris

Levez les yeux. On vous emmène à la rencontre de l’un des patrimoines les plus emblématiques de la capitale française. Un Paris mêlant héritage haussmannien, savoir-faire, design et enjeux climatiques. Et qui prend de la hauteur pour penser à demain. Il est zinc heures, Paris s’élève!

Il suffit de grimper un peu, sur une butte, un rooftop ou un simple immeuble un peu plus élevé que les autres pour se retrouver face à cette étendue de toits à la Mansart sur lesquels le soleil s’amuse. Au même titre que la tour Eiffel, ces toits sont l’essence de la skyline parisienne.

«C’est une mer de zinc. Lors de la golden hour, cette marée grise devient dorée, rougeoyante; c’est sublimissime et unique au monde», s’émerveille Olivier Boileau Descamps. Cela fait dix ans que le passionné se démène avec le photographe Gilles Mermet pour que les toits, ou plutôt le savoir-faire de ceux qui les couvrent, soient reconnus par l’Unesco. Le dossier n’a jamais été si près du but: les juges internationaux se baladent actuellement sur le zinc pour l’étudier et rendront leur verdict début décembre.

Un patrimoine Unesco?

C’est lors de grands travaux d’Haussmann – le baron qui transforma le visage de la ville – qu’a surgi cette singularité parisienne. «Sous Napoléon III, les promoteurs immobiliers avaient les mêmes préoccupations que ceux d’aujourd’hui et le zinc offre deux grands avantages: il est léger et il n’est pas cher!», résume Olivier Boileau Descamps. Avec l’utilisation de ce matériau arrivent ces toits à mansardes qui permettent de rehausser le logement et d’augmenter la surface habitable en multipliant ce que l’on surnomme «les chambres de bonnes».

«On a envie de valoriser ce patrimoine, remettre à l’honneur le travail de la main, donner envie aux jeunes de devenir couvreur-zingueur ou ornemaniste en intégrant bien sûr les avancées du génie climatique. La dernière chose que l’on veut avec cette candidature, c’est mettre Paris sous cloche», rassure le porteur du projet.

Il ne s’agit pas d’inscrire les toits de Paris sur la même liste classée que le château de Versailles ou le Machu Picchu, mais bien de faire reconnaître un savoir-faire sur la liste du patrimoine immatériel. Et ça tombe bien, car avec le changement climatique, la nécessaire mue des toits a déjà commencé. Au cœur de Paris, sur le toit d’un bâtiment de l’Hôtel de Ville, des vignes s’épanouissent.

Surprenant? Pas tant que ça! «Paris était autrefois le vignoble le plus important de France», rappelle Virginie Dulucq, directrice d’UrbAgri. Plus que le clin d’œil historique, ce qui intéresse cette vigneronne de cinquième génération, ce sont les conditions de culture: «On a déjà fait deux vinifications et les conditions sont vraiment favorables sur la toiture: il y a du vent, un ensoleillement important, un effet de chaleur avec les façades autour; la vigne sèche vite, ce qui fait que les maladies se développent peu.»

La ville motrice par excellence

Réduction des îlots de chaleur, favorisation de la biodiversité, culture vivrière d’appoint, socialisation dans de nouveaux espaces verts ou encore possibilités de formation; l’agriculture urbaine a su convaincre citoyens et élus avec ses arguments de taille. Virginie Dulucq a senti un tournant au milieu des années 2010: «Les habitants s’y sont de plus en plus intéressés. Les collectivités ont vu des intérêts sociaux, environnementaux, et économiques dans une moindre mesure. De nombreux appels à projets ont suivi.»

Même constat chez Nicolas Bel, un des fondateurs de Topager qui mêle notamment conception-réalisation de paysages urbains comestibles et recherche scientifique sur la ville résiliente. «On s’est lancés en 2012 et très vite, l’agriculture urbaine est passée de quelque chose qui était complètement nouveau et très difficile à faire passer à quasiment un must-do des opérations.» Au point que Paris est désormais, selon l’expert, la ville de référence en la matière: «Avant, c’était plutôt New York et Montréal qui étaient les villes motrices, mais la dynamique lancée par Réinventer Paris, les Parisculteurs, etc. a fait naître une diversité d’acteurs et de pratiques assez incroyable.»

Une vraie révolution verte

Parmi les multiples projets de l’entreprise, on trouve la végétalisation de la toiture et de la façade de l’Opéra Bastille. Houblon, fraises et autres produits frais poussent désormais par-dessus les notes de Verdi. Au sommet du Bon Marché, grand magasin de la Rive gauche, Topager a implanté un jardin partagé pour le personnel, mais aussi une parcelle de culture maraîchère qui alimente le restaurant de La Grande Epicerie en jeunes pousses, fleurs comestibles…

«La plus grande évolution par rapport aux débuts de l’agriculture urbaine, c’est la perspective sur les usages. Au début, tout le monde imaginait que ça allait être comme l’agriculture professionnelle, qu’on allait produire sur les toits comme dans les champs. Sauf que c’est compliqué d’être rentable. Aujourd’hui, on diversifie.» Aménagement d’espaces verts pour les entreprises, création de jardins familiaux sur le toit de logements sociaux ou encore visites payantes pour le grand public font désormais partie du modèle économique.

Acheter un morceau d’histoire

Habitants et touristes sont au rendez-vous pour ces visites insolites. «Grâce aux films, aux séries et à l’art en général, cette image des toitures en zinc est ancrée dans l’imaginaire, de la même manière que des millions de touristes vont à la tour Eiffel», analyse Constance Fichet-Schulz. Avec sa maman, Béatrice Fichet – designer graphique qui travaille entre autres sur le projet du nouveau QG de La Défense belge –, elle a créé la marque Toit de Paris (toitdeparis.com).

«Quand j’étais enfant, mes parents m’avaient rapporté un morceau du mur de Berlin. C’est un objet qui m’a marquée, que j’ai gardé à travers les années. J’avais envie de créer des souvenirs qui auraient un sens par rapport à la ville, son urbanisme, son histoire plutôt que des goodies made in China que l’on retrouve à l’identique à travers le monde. Et le zinc de ces toitures emblématiques s’est imposé à moi.»

Constance a ainsi décidé de concevoir des objets design upcyclant le zinc récupéré auprès des couvreurs qui réalisent des rénovations. Plans de la ville ou de quartiers et monuments vedettes de Paris sont sérigraphiés sur ce que la créatrice définit comme des «morceaux de la ville qui ont vécu un demi-siècle et mettent en lumière son histoire».

Un enjeu vital pour la capitale

La matière première ne risque pas de lui manquer puisqu’il est estimé qu’entre 70 et 80% des toits de la ville sont couverts de zinc. Ils affichent généralement cette ligne pentue caractéristique, brisée en deux. Une inclinaison qui imposera une limite au développement de la végétalisation et de l’agriculture urbaine qui aime les surfaces planes? Pas d’après Roofscapes. Cette entreprise parisienne a conçu un système de structure réversible en bois, qui vient se poser sur une partie du toit, permettant de créer des jardins suspendus et d’ombrager le zinc.

Eytan Levi est l’un des trois fondateurs de la start-up, lancée au MIT à Boston. «On s’est demandé comment les villes peuvent s’adapter à un climat qui change et qui sera de moins en moins celui pour lequel elles ont été construites.» Les jeunes architectes ont décidé de prendre le problème par les toits, qui recouvrent environ 30% de Paris. Car le charme de sa couverture zinc est désormais aussi source de défis singuliers: «Le matériau marchait bien autrefois d’un point de vue thermique, mais aujourd’hui s’il fait 40°C à l’ombre, la température de surface d’un toit en zinc peut atteindre 80°C, annonce Eytan Levi.

Une étude publiée l’an dernier dans The Lancet désignait Paris comme la capitale européenne où le risque de mourir de chaud est le plus élevé. Bien sûr, on isole également mieux aujourd’hui qu’au XIXe siècle, mais si les vagues de chaleur s’allongent, la chaleur finira par entrer dans les bâtiments. Il est donc essentiel de créer de l’ombre, et si possible de végétaliser.»

© Getty Images

Le modèle suivi: Venise

Pour créer ses structures, le trio s’est inspiré de ce qui se fait ailleurs en Europe: «A Venise, on trouve les «altane». Ces structures sur les toits permettent aux habitants d’avoir accès à l’air libre. A Zurich, le terrasson – la partie supérieure du toit à la Mansart – est souvent plat, ce qui fait que dès le XIXe, les gens sont allés sur le toit pour faire sécher le linge. Beaucoup de bâtiments ont désormais aménagé cet espace pour avoir un endroit commun à l’échelle de la copropriété. Cet aspect convivial est aussi essentiel pour nous.»

Entre les différentes contraintes de protection du patrimoine qui s’appliquent à la quasi-totalité des bâtiments à Paris, le projet ne devrait pas recouvrir de suite les toits de la capitale française. Mais Roofscapes reçoit de plus en plus de demandes de renseignements et surtout, la start-up a récemment pu commencer l’installation d’une structure pilote sur le bâtiment de l’Académie du Climat (à quelques pas des vignes d’UrbAgri), pour mesurer l’impact de son dispositif en conditions réelles. Peut-être qu’un jour, la végétalisation de toits, tout historiques soient-ils, nous paraîtra aussi naturelle que l’électricité et le wi-fi dans les châteaux forts médiévaux.

4 expériences perchées

Pour contempler la mer de zinc:

1) Réservez une visite des vignes d’UrbAgri ou du toit de l’Opéra 
Bastille végétalisé par Topager en vous rendant sur exploreparis.com. Des ateliers de jardinage sur le toit sont également organisés via la plateforme WeCanDoo.

2) Située à proximité de l’Hôtel de Ville, la tour Saint-Jacques offre un panorama inédit sur la ville et ses toits, une fois ses 300 marches 
gravies. Les visites reprendront le 17 mai, réservation sur boutique. toursaintjacques.fr

3) Dernière chance: empruntez les escalators du Centre Pompidou avant sa fermeture pour travaux de 2025 à 2030 et profitez de la vue rasante sur les toits, entre deux expos. Ou prenez-vous simplement un café ou un repas au Restaurant Georges à son sommet (accès gratuit au niveau 6 par l’ascenseur dédié).

4) Liez shopping et balades dans les cimes. Les grands magasins du boulevard Haussmann offrent un accès à des jolis toits-terrasses. Sur celui des Galeries Lafayette, le resto végétarien Créatures prend ses quartiers d’été depuis plusieurs saisons. Au BHV (face à l’Hôtel de Ville), un tout nouveau restaurant, posé au 6e étage, est attendu pour le mois de mai (jusqu’en septembre). Nommé Terrazza Mikuna, il proposera cocktails et tapas.

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