L’art de bien se tenir à Knokke: les règles de la côte

©  Illustration: Pieter Van Eenoge
Wim Denolf Journaliste Knack Weekend

Un code vestimentaire, l’interdiction de la musique sur la plage : ce ne sont là que quelques-unes des mesures de Knokke-Heist qui ont suscité quelques remous. D’où viennent-elles et cette station huppée est-elle plus stricte que les autres endroits de la côte ? « Personne ne veut se rendre dans un endroit trop animé, trop bruyant, trop fréquenté et trop dangereux ».

Les rues de Knokke-Heist ne sont plus tout à fait les mêmes depuis quelque temps: les panneaux, chevalets, flagship et autres ont disparu. Depuis le 1er juin, les sandwicheries, cafés et autres commerces ne sont plus autorisés à les placer devant leur établissement pour attirer l’attention des clients. Selon le conseil communal, les panneaux à double face et autres matériels promotionnels constituent une nuisance pour les passants et encombrent visuellement l’endroit.

Cette toute nouvelle mesure est une première sur la côte belge, mais ce n’est pas la première fois que Knokke-Heist se retrouve sous les feux de la rampe pour ce genre d’initiative. Depuis 2020, la municipalité a ainsi interdit toute forme de musique sur la plage. Les DJ étaient depuis longtemps persona non grata dans les bars de la plage, sauf qu’aujourd’hui même une musique de fond ou une simple radio sont également interdites sur la plage. Depuis 2020, les tenues de plage sont également interdites en ville. Se promener en bikini ou en short de bain n’est plus autorisé que sur la plage et sur la digue. Ailleurs dans la station balnéaire, vous risquez une amende pouvant aller jusqu’à 350 euros.

« Knokke-Heist semble plus stricte que les autres municipalités côtières », déclare Hannes Hosten, qui a longtemps couvert la côte pour Krant van West-Vlaanderen et qui est désormais rédacteur en chef de De Zeewacht Kust. « Mais elle fait des émules. Si l’interdiction des panneaux sandwich n’a pas encore été copiée ailleurs, ils ont depuis peu aussi promulgué une « interdiction du ventre nu » à Blankenberge et La Panne ». Même chose pour l’interdiction de consommer de l’alcool la nuit sur la voie publique. Knokke-Heist et Blankenberge l’ont introduite il y a plus de quinze ans déjà, mais depuis d’autres stations balnéaires ont suivi.

Avant et arrière-scène

Autre nouveauté de cette année est le gel des travaux dans la zone touristique de Knokke-Heist pendant le week-end. Les nuisances sonores, la poussière volante et le trafic de chantier n’y ont pas plus leur place que les panneaux, les maillots de bain partout et les fêtes sur la plage. La station balnéaire vise un certain standing, selon le conseil municipal. Un argument souvent utilisé pour justifier les interventions. Pour cette même raison, Knokke-Heist s’est aussi attelé à un projet visant à uniformiser ses terrasses.

« Knokke-Heist a toujours visé la qualité « , déclare Ruben Casteleyn, directeur du marketing et de la communication. « Le Zoute a été construit sur base d’une vision globale de l’aménagement du territoire et continue à appliquer des règles de construction strictes. Cette recherche qualitative ne se limite pas à la digue, mais s’applique partout. Toutes les rues sont aménagées de la même manière. Qu’il s’agisse des zones commerciales, de rues secondaires avec des appartements ou des quartiers de villas, partout c’est verdoyant et propre. L’idée est de donner un sentiment de vacances insouciantes partout et à tout moment. »

Promouvoir les touristes

« Les accents d’une commune et les mesures qu’elle prend sont toujours un choix politique », déclare Nathalie Debast, porte-parole de l’Association flamande des villes et communes (VVSG). « Légalement, une municipalité est en droit de le faire : s’il n’existe pas de loi d’une autorité supérieure, elles peuvent inclure dans leur règlement de police les questions qu’elles pensent devoir être réglementées. La loi sur les communes charge en effet les autorités locales de garantir l’ordre public sur leur territoire, et donc de protéger la paix publique, la sécurité et la santé des habitants. »

Cependant, une interprétation stricte de ce concept fait défaut, explique Debast. « Précisément parce que les mesures prises dans une commune donnée dépendent si souvent des circonstances locales. Ce qui est vécu comme problématique à un endroit ne l’est pas à un autre. Par exemple, les gens pensent souvent qu’il est interdit de tondre la pelouse le dimanche, mais cette interdiction ne s’applique pas dans toutes les communes. »

Ce sont souvent des faits concrets et des plaintes qui donnent lieu à une mesure particulière, souligne M. Debast. L’interdiction de la musique à Knokke-Heist, par exemple, a été imposée après plusieurs incidents dans des bars de plage et des plaintes persistantes concernant les « touristes des décibels » en 2018 et 2019. Le code vestimentaire dans le centre-ville, qui fait partie d’un « plan qualité » plus large, n’a pas non plus été une surprise. À peu près au même moment, une vidéo circulait sur les médias sociaux dans laquelle des jeunes se lavaient avec du shampoing dans la fontaine publique de la Lichttorenplein pendant la journée.

« Assurer l’ordre public, c’est aussi permettre une coexistence agréable et vivable entre les différents groupes afin de prévenir les problèmes », déclare Debast. « Les incidents poussent les gens à se tourner vers le bourgmestre pour s’assurer que de telles choses ne se reproduisent pas. »

La difficulté de trouver le juste milieu

Le responsable du marketing et de la communication de Knokke-Heist qualifie également de « nécessaires » des mesures telles que l’interdiction de la musique et le code vestimentaire pour permettre une coexistence respectueuse. « Nous comptons près de 33 000 habitants, 110 000 qui logent dans une résidence secondaire et, les jours de grande affluence, 100 000 autres visiteurs à la journée », explique Casteleyn. « C’est autant que la population de Gand tassée dans une zone qui est plus petite. Les comportements respectueux et courtois sont également moins évidents qu’auparavant. Les vacances sont parfois une excuse pour se déchaîner. Faire jouer fort la musique, aller au magasin en tenue de plage : si ce n’est pas interdit, c’est que c’est permis se disent certains. Selon Casteleyn, le point de basculement se situe autour de 220 000 personnes. « Si nous dépassons ce chiffre, les gens deviennent moins patients et moins respectueux. Nous dépassons en fait notre capacité d’accueil. »

Ce n’est donc pas un hasard si la commune fait relativement peu de publicité pour le festival annuel de feux d’artifice. « Nous avions l’habitude d’avoir jusqu’à 120 000 visiteurs par soir, bien plus que ce que nos bars et restaurants peuvent supporter. Du coup personne n’est content : les habitants et ceux qui ont une résidence secondaire se sentent lésés, tout comme les touristes d’un jour qui ont faire le déplacement. Attendre 45 minutes pour commander une boisson, faire la queue pendant des heures pour quitter Knokke: les gens ne viennent pas ici pour ça. Maintenant, nous avons 35 à 40 000 visiteurs par soir et l’expérience est bien meilleure. »

Néanmoins, l’idée n’est pas d’avoir d’un côté les résidents permanents et les résidents secondaires et de l’autre les touristes d’un jour, souligne Casteleyn : « Notre politique n’est pas de faire une distinction. N’oubliez pas que 85 % de la population locale vit du tourisme. Beaucoup se souviennent du silence qui a régné pendant la crise du Covid et personne ne veut cela. »

Un public exigeant

Si la réputation est l’un des facteurs qui déterminent le contexte local, un autre est l’âge de la population. À Knokke-Heist, plus de 36 % des habitants ont 65 ans ou plus, et avec un âge moyen de 53,15 ans, c’est la deuxième commune la plus âgée du pays. Cela expliquerait les règles plus strictes ?  « Nos enquêtes ne montrent pas que les personnes âgées éprouvent plus de désagréments », déclare Casteleyn. « Les préférences ne sont pas toujours liées à l’âge non plus. Certains seniors trouvent le caractère animé de la commune très important, alors que certains jeunes recherchent avant tout le calme et la tranquillité. »

Ann Peuteman, journaliste de Knack et fine connaisseuse de la politique locale, relativise également l’importance du vieillissement de la population de Knokke-Heist. « Huit des dix communes belges dont la population est la plus âgée sont situées en bord de mer. Les moyennes d’âge y sont proches, cela n’explique donc pas pourquoi cette commune côtière agit parfois de manière plus stricte que d’autres. »

Plus important que l’âge est le fait que l’immobilier local, les projets de prestige, les boutiques de luxe et les restaurants étoilés attirent un public aisé, mais aussi exigeant, selon Peuteman. « Chaque bourgmestre du littoral est confronté à un exercice d’équilibriste : d’une part, vous voulez créer un cadre de vie aussi agréable que possible pour la population locale, avec le moins de nuisances possible ; et d’autre part, ces mêmes habitants bénéficient du tourisme et il faut donc aussi offrir quelque chose aux touristes, sans leur imposer trop de restrictions. »

Cet exercice est particulièrement délicat à Knokke-Heist, estime Peuteman : « Ceux qui paient beaucoup pensent aussi que cela va de pair avec certains droits, comme la tranquillité, le confort et les places de parking à proximité. Cela vaut aussi bien pour les résidents d’une commune que pour les touristes. C’est pourquoi les tensions entre ces deux groupes sont plus susceptibles de se produire des lieux plus cosmopolites. Lorsqu’il y a quelques années, des incidents se sont produits dans d’autres communes côtières avec des groupes de perturbateurs venus de l’intérieur des terres, le bourgmestre Leopold Lippens m’a dit qu’un tel événement lui aurait probablement coûté son poste. »

Campagne de courtoisie

« La crise du coronavirus a été un catalyseur en la matière », explique encore Hannes Hosten. « Pour des raisons de santé publique, les communautés côtières ont dû viser un public plus restreint pendant quelques années et éviter les grandes foules, mais elles ont aussi goûté aux bénéfices qu’entraînait une telle situation. Beaucoup n’ont pas envie de retrouver les grandes foules d’antan et souhaitent répartir dans l’espace et dans le temps les touristes et se concentrer davantage sur la qualité que sur la quantité. »

Tout le monde profite d’une telle approche, estime encore Hosten :  » Si l’affluence est mieux répartie, cela assure d’avoir des clients toute l’année. Les visiteurs peuvent alors à nouveau profiter pleinement de l’air marin sain et de l’environnement reposant, qui restent les raisons les plus importantes de choisir des vacances en bord de mer dans les enquêtes.

« Il y a trente ans, on ne prêtait guère d’attention la qualité en matière de tourisme », répond Ruben Casteleyn. « Aujourd’hui, plus personne n’est surpris si vous dites qu’il y a des limites à la croissance. Si vous êtes victime de votre propre succès, cela peut faire fuir les gens. Personne ne veut se rendre dans un endroit trop animé, trop bruyant, trop fréquenté et trop dangereux. »

L’attention des médias

Si d’autres communes de la côte ont elles aussi introduit différentes règles, c’est pourtant encore et toujours Knokke-Heist qui attire souvent l’attention de la presse nationale par son approche. En partie à cause de la nouveauté, dit encore Nathalie Debast de VVSG. « Plus une mesure est récente, plus l’attention des médias est grande. Par la suite, d’autres communes appliquent parfois une mesure similaire, mais à ce moment-là, c’est déjà de l’histoire ancienne. »

L’empreinte de feu Leopold Lippens joue également un rôle important, selon Ann Peuteman : « Une grande concentration de richesses fait toujours appel à l’imagination, mais avec Lippens, Knokke-Heist a également eu un bourgmestre particulièrement flamboyant pendant des décennies. Lorsqu’il a annoncé en 1990, à sa manière typique, qu’il voulait interdire les touristes frigo-box, il a marqué les esprits pour longtemps. »

Ses préoccupations locales n’avaient pourtant rien de farfelu, estime Peuteman : « Lippens a reconnu très tôt que le tourisme, où qu’il soit, entraîne des nuisances et nécessite de gros efforts en termes d’infrastructures, de sécurité et de nettoyage. Il faut que cela se justifie et donc que cela soit rentable à la commune, tel était son raisonnement. Or les touristes d’un jour qui ne dépensent rien sont peu utiles à l’économie locale. Si d’autres municipalités côtières ont ensuite suivi son exemple, personne n’aura oublié sa sortie et elle continue à influencer l’attention médiatique. Lippens ne l’ignorait pas: tout ce que Knokke-Heist décide et réglemente fait rapidement la une.

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