Citytrip à Trieste, sa place, son amphithéâtre, son château et… son café

L'immense Piazza Unità d'Italia et son architecture éclectique. © Stéphanie Fontenoy

Le vent sibérien qui y souffle en hiver – la Bora – n’altère en rien « l’effet Trieste » décrit par l’auteure Jan Morris. Une émotion vive secouant celles et ceux qui passent par ce « bout de nulle part ». Evocation entre histoire, littérature et festin visuel.

Serrée entre la mer Adriatique et le haut-plateau calcaire du Carso, Trieste est une miette jetée entre la Slovénie et la Croatie. « Elle semble toujours située sur un pli de carte, repliée sous un ourlet, un trou perdu dans un coin », évoque l’auteure et historienne galloise Jan Morris dans son ouvrage Trieste ou le sens de nulle part. Contrairement à sa rivale Venise, synonyme de destination finale, la cité italienne s’incarne comme une ville de transit. Pourtant, ce « no man’s land urbain », chef-lieu de la région de Frioul-Vénétie Julienne, est la quintessence même de ce qu’on appelle la « Mitteleuropa », le coeur de l’Europe. Grand port sur l’Adriatique, elle a un destin exceptionnel, celui que l’on retrouve dans les romans des nombreux écrivains qui ont chanté son charme mélancolique: Italo Svevo dans La conscience de Zeno, Paul Morand dans Venises, James Joyce, Claudio Magris, Boris Pahor, le poète Umberto Saba, et même Jules Verne qui y ouvre son roman Mathias Sandorf. Une destinée exceptionnelle croisant celle de la Belgique, puisqu’une de nos princesses, Charlotte, fille de Léopold 1er, y a passé des moments déterminants de son existence au château Miramare, comme épouse de l’archiduc Maximilien d’Autriche et belle-soeur de Sissi.

Un petit air de Vienne, sur la Piazza Unità d’Italia, érigée du temps de l’Empire austro-hongrois.

La plus grande place d’Europe

Dès que l’on s’extrait de sa gare centrale et que l’on se perd dans son vieux centre, Trieste dévoile des contours qui ne nous quittent plus. Ses ruelles étroites et pentues fleurent bon « le dernier souffle de l’Italie », comme disait Chateaubriand, avec le linge blanc suspendu au-dessus de la chaussée et les enfants riant sur les trottoirs. On y respire aussi un petit air de Vienne, sur la grande place de l’Unité italienne, la Piazza Unità d’Italia, érigée du temps de l’Empire austro-hongrois. Cette esplanade magistrale est bordée par des bâtiments plus imposants les uns que les autres, sièges de banques et de compagnies d’assurances, palais du gouverneur, mairie et grands cafés. La place est la plus vaste d’Europe, avec une ouverture sur la mer. Au loin, les sommets enneigés des Alpes Juliennes semblent monter la garde sur les eaux paisibles de l’Adriatique.

Le château Miramare, où vécurent Charlotte de Belgique et son époux Maximilien.
Le château Miramare, où vécurent Charlotte de Belgique et son époux Maximilien.© MARCO MILANI

L’histoire et la géographie sont essentielles à la compréhension de la « Triestitude » – une autre expression de Jan Morris. Positionnée entre l’Europe et le monde slave, sur la route de l’Orient, la cité a de tout temps fait l’objet de convoitises de la part de ses voisins. Jules César parle déjà de « Tergeste » dans La Guerre des Gaules. Elle est ensuite byzantine, puis passe aux mains des Francs. Elle bataille durant des siècles contre la Sérénissime vénitienne, devient libre et, à ce moment-là, se place sous la protection des Habsbourg qui font sa prospérité. Après, bien sûr, mécontents d’être dominés, ses habitants italiens désirent ardemment rallier… l’Italie, ce qui n’arrivera qu’en 1921. Plus tard, les Allemands y installeront un camp de déportation, tandis que les troupes communistes de Tito y massacreront des dizaines de fascistes et de résistants. Dans les années 40 et 50, le territoire triestin est carrément scindé en deux, une partie revenant aux Yougoslaves, l’autre aux Italiens. Ce n’est qu’en 1975 que, enfin, Trieste peut se mettre à vivre avec l’esprit serein : le traité d’Osimo reconnaît son unique appartenance à la Botte.

La cathédrale San Giusto, perchée sur la colline du même nom.
La cathédrale San Giusto, perchée sur la colline du même nom.© MASSIMO CRIVELLARI

Le centre du monde, ou presque

Ce passé mouvementé a laissé des traces. Ainsi, la colline San Giusto s’appréhende comme un livre d’histoire. A ses pieds, l’amphithéâtre romain. Au sommet, les restes du forum. La cathédrale s’élève à l’emplacement d’un ancien temple dédié à la triade Jupiter, Junon et Minerve. On y trouve des vestiges du IIIe siècle et de très belles mosaïques byzantines du XIIIe siècle. En redescendant vers la mer, on retombe sur la majestueuse Piazza Unità d’Italia et ses somptueux édifices richement sculptés. Au centre, l’imposante fontaine des Quatre-Continents nous rappelle que nous sommes ici un peu au centre du monde, ou du moins « une région où l’Asie se mue en Europe », souligne encore Jan Morris.

Pour siroter un Spritz en admirant le coucher du soleil sur le Canal Grande, les terrasses de café sont nombreuses.
Pour siroter un Spritz en admirant le coucher du soleil sur le Canal Grande, les terrasses de café sont nombreuses.© STÉPHANIE FONTENOY

En longeant le siège de la compagnie d’assurance austro- hongroise Llyod, la Banque d’Italie ou encore les fastueuses demeures d’armateurs de style Art nouveau « Liberty », on débouche sur le Canal Grande, creusé au XVIIIe siècle pour permettre aux bateaux de commerce d’accoster par tous les temps. Sur l’une de ses rives, on aperçoit la très belle église serbe orthodoxe Saint Spyridon le Thaumaturge, surnommée « l’église des Slaves » et reconnaissable à son dôme bleu. Au bout, les élégantes colonnes de la cathédrale catholique Sant Antonio Nuovo se reflètent dans le canal. Tout le long, les terrasses des cafés s’apparentent à des invitations au farniente et à la dégustation de verres orangés remplis de Spritz. On assiste alors à de merveilleux couchers de soleil sur l’Adriatique, qui se pare de mille et un reflets turquoise, roses et métalliques. Un régal pour les yeux.

Au loin, les sommets enneigés des Alpes Juliennes semblent monter la garde sur les eaux paisibles de l’Adriatique.

Miramare, ce rêve blanc

Il faut s’éloigner du centre par la corniche du Barcola pour rejoindre le château de Miramare – qui veut dire « admirer la mer » en dialecte local. Ici, allongés sur des plages bétonnées ou assis sur les rochers, les Triestins de tous âges viennent profiter des rayons solaires. Au bout d’un promontoire, la silhouette blanche de la splendide forteresse semble tout droit sortie d’un rêve. C’est l’archiduc d’Autriche Maximilien de Habsbourg-Lorraine qui imagina ses formes romanes, gothiques et Renaissance, avant de s’y installer avec son épouse Charlotte de Belgique en 1860. L’homme, qui aimait autant la mer que la botanique, a voulu que la bâtisse surplombe le large et soit bordée d’un parc planté de multiples essences méditerranéennes et exotiques. Mais le couple n’en profitera pas longtemps. Poussé par son frère l’Empereur François-Joseph et les ambitions impériales de Napoléon III, Maximilien s’embarque bientôt avec Charlotte vers le Nouveau Monde pour monter sur le trône du Mexique…

L'écrivain James Joyce, statufié devant le Canal Grande.
L’écrivain James Joyce, statufié devant le Canal Grande.© MASSIMO CRIVELLARI

Au vu de la beauté des lieux et de leur atmosphère si particulière, on comprend pourquoi tant d’écrivains ont succombé à « l’effet Trieste » évoqué par Jan Morris. Ce fut le cas du grand auteur irlandais James Joyce, dont on croise la statue de bronze sur le pont qui enjambe le Canal Grande. L’homme de lettres séjourna à Trieste de 1904 à 1916 avec son épouse Nora. Pour gagner sa vie, il enseignait l’anglais à l’institut Berlitz, où il fit une rencontre marquante avec un certain Ettore Schmitz, alias Italo Svevo, le formidable auteur de La Conscience de Zeno, né à Trieste en 1861 et considéré comme l’un des plus grands romanciers du siècle dernier. Les deux plumes se lièrent d’uwne grande amitié en sillonnant ensemble les ruelles, les recoins et, comme beaucoup d’intellectuels d’hier et d’aujourd’hui, les nombreux cafés littéraires de cette ville-monde. De nos jours, on peut notamment y croiser Claudio Magris, un Triestin qui consacre une partie de son oeuvre à sa ville natale, « fille naturelle de Vienne et adoptive de Rome ». Quant au diplomate et écrivain Paul Morand, grand auteur de voyages, il a choisi d’y reposer auprès de son épouse slave, au cimetière grec orthodoxe de cette cité apatride qui l’a tant inspiré…

Un café chez Illy

Citytrip à Trieste, sa place, son amphithéâtre, son château et... son café
© STÉPHANIE FONTENOY

C’est l’une des marques de café les plus célèbres du globe, et c’est à Trieste qu’elle a vu le jour. Son fondateur: Francesco Illy, un Hongrois d’origine qui, après avoir survécu sur les fronts de la Première Guerre mondiale, s’installe dans la cité triestine en y épousant une prof de piano. Naturalisé italien, il travaille dans quelques entreprises de torréfaction de la région. En 1933, il a déjà 40 ans passés lorsqu’il décide de lancer son commerce sous son propre nom, Illy, tout en s’attelant à améliorer et peaufiner les méthodes de conservation du café fraîchement torréfié. Mieux: il invente un objet baptisé Illetta, ni plus ni moins que la première machine à expresso du monde. La suite? Un savoir-faire dont les arômes vont se répandre dans plus de 140 pays, tout au long d’une aventure dont les rênes seront reprises de génération en génération. Aujourd’hui, personne ne quitte Trieste sans s’arrêter dans l’un des établissements historiques de la marque. Notre suggestion? Le Caffè degli Specchi – « café des miroirs » – sur la magnifique Piazza Unità d’Italia. Pour une dégustation en terrasse, cela va sans dire.

Caffé degli Specchi, pour le meilleur petit noir de la ville.
Caffé degli Specchi, pour le meilleur petit noir de la ville.© MASSIMO CRIVELLARI

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