Dirk Frimout: « Je dis toujours aux jeunes qu’ils doivent avoir un rêve et puis faire preuve de persévérance et de concentration »

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Mathieu Nguyen

Bon pied, bon oeil à quasiment 80 ans, le premier astronaute belge de l’histoire nous a accordé un entretien dans le cadre de la Semaine mondiale de l’Espace. Rencontre avec le fondateur de l’Euro Space Society, dans la coupole de l’Observatoire Armand Pien de Gand, à deux pas de chez lui.

On me parle de mon voyage tous les jours. Hier encore, dans le train, le contrôleur m’a reconnu et a rameuté tous ses collègues. Evidemment, j’ai souvent répété les mêmes choses, mais ça ne me dérange pas, et l’avantage, c’est qu’à force de répéter, je n’ai rien oublié. De toute façon, il y a toujours quelque chose qui me rappelle mon vol. Quand on me parle d’un pays, tout de suite, j’essaye d’imaginer comment je l’ai vu d’en haut. Peu après mon retour sur Terre, des amis m’ont raconté leurs vacances en Indonésie. Je leur ai dit « L’Indonésie! C’est magnifique, toutes ces petites îles. » Et quand ils m’ont demandé si j’y avais déjà été, je leur ai répondu: « Non, jamais, mais je l’ai vue d’en haut! »

Quand on a été dans l’espace, on meurt d’envie d’y retourner. Moi, j’avais déjà 51 ans, et on n’arrêtait pas de me dire que le voyage spatial, c’était « pour les jeunes ». Mais je remplissais toutes les conditions, et tant que j’en étais capable, je continuais, j’aurais sauté sur une occasion de repartir. Mon épouse n’aurait pas été d’accord, mais elle savait qu’elle n’aurait pas pu m’en empêcher. Quand j’ai posé ma première candidature, elle n’était même pas au courant. En l’apprenant, elle m’a dit: « On doit quand même en discuter. » Et je lui ai répondu: « Non, j’ai une chance, je la prends. » Et elle me l’a reproché pendant très longtemps.

La « Frimout Mania », ça ne m’a pas dérangé. Les gens venaient toujours avec un esprit ouvert, contents de me voir et de me saluer. En près de trente ans, je n’ai eu qu’une ou deux expériences désagréables. Quand j’ai été sélectionné, j’étais persuadé que je serais de retour deux mois plus tard pour reprendre mon boulot. Mon patron a bien rigolé, et il avait raison. Ce n’était plus possible de continuer: je n’étais qu’un scientifique anonyme, et du jour au lendemain, on me reconnaissait partout. Heureusement, la mission m’a rendu un peu plus philosophe qu’avant.

Je dis toujours aux jeunes qu’ils doivent avoir un ru0026#xEA;ve et puis faire preuve de persu0026#xE9;vu0026#xE9;rance et de concentration.

Un candidat astronaute n’abandonne pas. Il a intérêt à être patient et persévérant, parce que c’est une vie faite de hauts et de bas. A l’époque où je n’étais que réserviste, je m’entraînais à Huntsville, Alabama, dans une base de la NASA. A chaque lancement, on arrêtait tout et on se retrouvait dans la grande salle de contrôle, entourés par tous les écrans. Le lancement raté de Challenger, on y a assisté en temps réel – alors même que l’on se préparait à partir en mission. Deux jours plus tard, le boss nous a convoqués un par un, et a proposé à ceux qui le voulaient de démissionner. Personne ne l’a fait. Il y a des dangers, c’est vrai, mais les astronautes les connaissent mieux que quiconque.

Le monde actuel doit énormément de choses à la recherche spatiale. Beaucoup d’objets et de techniques de la vie courante ont été développés ou améliorés dans cette optique-là. La miniaturisation des ordinateurs, ça date de la mission Apollo XI en 1969! D’ailleurs, ils se sont posés sur la Lune et sont revenus sans incident grâce à un ordinateur mille fois moins puissant que n’importe quel smartphone; quand on y pense, c’est formidable. En Belgique, on ne dépense pas grand-chose pour la recherche spatiale, moins de 20 euros par an et par habitant, alors que le retour sur investissement est toujours positif.

L’un des problèmes de notre société, c’est que l’on préfère passer à autre chose plutôt que de surmonter un obstacle. C’est criant chez les jeunes, ils ont tellement de possibilités, de sports, de jeux, d’activités, que certains abandonnent à la moindre contrariété. De mon temps, on n’avait pas autant de choix, alors on étudiait. Quand je visite les écoles pour l’Euro Space Society, je dis toujours aux jeunes qu’ils doivent avoir un rêve – tout en gardant en tête que l’objectif doit rester réaliste, cadrer avec leurs capacités – et puis faire preuve de persévérance et de concentration. Même si moi, tout petit, je ne rêvais pas de voyage spatial, tout simplement parce que ça n’existait pas!

Le système éducatif belge est plutôt favorable aux futurs astronautes. Pour aller dans l’espace, il faut avoir des connaissances très larges, et la formation ici est plus transversale que dans de nombreux autres pays. Je ne me considère pas comme un scientifique de haut niveau, mais durant mes études d’ingénieur électrotechnique, j’ai eu l’occasion de suivre des cours de chimie ou de métallurgie. C’est un détail très intéressant, car au moment de composer les équipages, ils cherchaient des astronautes polyvalents, pas nécessairement très pointus dans un domaine précis.

Visite et observation gratuites tous les mercredis soir à l’Observatoire Armand Pien, à 9000 Gand. armandpien.be et eurospace.be

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