En mer Egée: Patmos, une île sacrée des plus préservées
Beaucoup la désignent comme la Jérusalem de la mer Egée, et le gouvernement l’a proclamée » île sacrée » en 1980. Au coeur du Dodécanèse, elle doit à son histoire religieuse le fait d’être restée l’une des îles grecques les plus authentiques et les mieux préservées.
Elle se découvre par la mer et c’est un enchantement. Il n’y a pas d’aéroport à Patmos, l’une des douze îles principales du Dodécanèse, cet archipel appartenant à la Grèce mais contigu à la Turquie – qui en compte en réalité cent soixante, îlots compris. On y vient en bateau via Athènes, Kos ou Rhodes, la plus grande île de la mer Egée. Nous avons choisi la première option. Une journée de visite de la capitale, embarquement au Pirée à la tombée de la nuit sur l’un de ces ferrys hauts en couleurs reliant plusieurs îles et où de nombreux passagers dorment à même le pont ou les coursives, arrivée avec l’aube.
De la brume matinale émerge ça et là ce qui ressemble au premier coup d’oeil à d’immenses rochers pelés avant qu’on s’en approche. La rocaille est en fait couverte d’une végétation dense et broussailleuse qui décline toute la palette des ocres et des verts, suspendus entre le bleu profond du ciel et le turquoise de la mer. Sensation, soleil levant : c’est un tableau impressionniste. De petites taches blanches le ponctuent, certaines sont des maisons isolées noyées dans la verdure, d’autres des églises ou des chapelles orthodoxes. On est loin des concentrations villageoises qui caractérisent les Cyclades. Ici, la nature paraît presque vierge. Et le silence est d’or.
Puis une clameur le troue. Au détour d’une dernière avancée de terre, on découvre la grande rade de Patmos, au coeur de l’île. On débarque dans le port indolent de Skala, principale ville et centre commercial. Mais au-delà de cette baie magnifique, ce qui concentre tous les regards, c’est cet incroyable village d’un blanc immaculé suspendu à la montagne qui domine tout Patmos, surmonté par des fortifications très anciennes. Il s’agit du monastère Saint-Jean-le-Théologien, fondé il y a presque mille ans, en 1088, en hommage à l’apôtre. L’un des lieux les plus saints de toute la chrétienté.
Hora, la cité blanche
Patmos n’est donc pas une île grecque comme les autres. Même s’il a tendance à se développer ici aussi, le tourisme de loisir y a toujours été supplanté par un tourisme plus culturel, sinon religieux. Et même si l’on n’est pas croyant, on y vient avant tout pour se ressourcer en bénéficiant, sous un soleil radieux et au coeur de paysages splendides bordés de plages aussi secrètes que paradisiaques, d’une sérénité rare en Méditerranée. » On recense à Patmos plus de trois cents lieux de cultes en tous genres, nous confirme le bibliothécaire en chef du monastère lorsqu’il nous le fait visiter. Et de nombreux monastères en activité. » On les aperçoit depuis le toit, qui offre un sublime panorama à 360 °. Mais il faut montrer patte blanche pour pouvoir y accéder, de même qu’aux rayonnages où reposent plus de 2 000 manuscrits anciens, certains inestimables.
C’est dans une grotte située en contrebas que saint Jean l’Evangéliste, devenu ermite après avoir été exilé ici au ier siècle après J.-C., aurait reçu les visions qui l’ont conduit à rédiger l’Apocalypse, dernier opus de la bible. La Grotte dite de l’Apocalypse se visite et attire des pèlerins venus du monde entier. Le monastère qui lui est dédié domine la petite ville de Hora, capitale de Patmos qui irrigue l’imposant édifice de ses nombreuses ruelles. Maisons blanchies à la chaux – certaines façades cachent de somptueuses demeures dont beaucoup ont été transformées en seconde résidence par de riches étrangers, parmi lesquels une significative proportion de Belges -, portes et fenêtres aux jolies couleurs pastel, cours et patios fleuris datant souvent de plusieurs siècles, places ombragées, escaliers alambiqués et passages étroits, tout cela forme un inextricable labyrinthe où l’on se perd avec délice. Et que le tourisme n’a pas (encore) dénaturé. Le village, son monastère et sa caverne sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco.
Un vin d’Apocalypse
On circule volontiers en scooter à Patmos, les loueurs sont partout, cela permet d’accéder facilement aux coins les plus reculés, qu’il s’agisse de criques aux eaux cristallines ou de départs de randonnées en pleine nature. Voire d’une combinaison des deux : certaines plages parmi les plus réputées ne s’atteignent qu’en bateau ou au terme d’une longue promenade sur d’improbables sentiers rocailleux, au milieu des chèvres et des cactées. Comme celle de Psili Ammos, où l’effort est récompensé par la succulente cuisine locale proposée par la taverne familiale installée au bord de l’eau.
C’est que l’on mange divinement sur cette île dont le poulpe est la spécialité. Vous les verrez sécher au soleil sur les cordes à linge tendues devant les restaurants. Sans oublier les nombreuses déclinaisons de fromage feta subtilement aromatisé avant d’être grillé au four, avec un filet d’huile d’olive locale. Ou les incontournables calamars frits.
Patmos, qui manque cruellement d’eau en été, ne cultive pas seulement des oliviers mais aussi de la vigne, historiquement. Les vestiges de cultures en terrasse en témoignent partout, leurs vieux murs de pierres alignés sur les pentes des collines confèrent un charme supplémentaire au paysage. Une fondation créée par un Suisse tente aujourd’hui de redonner vie aux vins du cru, obtenus à partir de cépages uniquement autochtones, dont le superbe assyrtiko blanc. Pour obtenir un terrain sur cette île qui appartient en grande partie au clergé orthodoxe byzantin – ce qui explique la quasi-absence de constructions contre-nature, les moines étant peu enclins à se laisser envahir -, l’apprenti vigneron s’est adressé au Patriarche de Constantinople en personne, dont dépend le monastère Saint-Jean. Il en a obtenu bénédiction, concession sur 3 hectares et a choisi, dès lors, de baptiser son vignoble » Domaine de l’Apocalypse « . Nous en avons dégusté la première récolte au coeur des vignes, guidés par Dorian Amar, le jeune oenologue français qui gère les lieux. Un nectar à damner un saint !
Rendez-vous à l’office
Comme une grande partie du Dodécanèse, Patmos est d’origine volcanique – un tremblement de terre le rappelle d’ailleurs ponctuellement, comme celui qui a ébranlé la région l’été dernier. Cela explique son caractère sauvage et son relief extrêmement découpé, qui s’apprécie d’autant plus que l’on prend de la hauteur. De petits monastères comme celui du Prophète Ilias, situé sur le point culminant de l’île, offrent un point de vue unique non seulement sur la côte et tous ses méandres, avec les petits ports de pêche ou de plaisance qui l’émaillent, mais aussi sur toutes les îles voisines – que l’on peut rejoindre la journée en excursion nautique au départ de Skala, snorkeling en option et bancs de dauphins pour les plus chanceux.
D’autres se visitent, comme le magnifique couvent Evangelismos, toujours en activité et situé au sud-ouest de l’île, à 15 minutes de Hora. Un chemin permet de descendre jusqu’à une petite crique très privée, c’est une promenade enchanteresse à travers un immense jardin luxuriant entretenu par une quarantaine de nonnes, où les figues se cueillent à la pelle en pleine saison. Mais le must est d’y assister à un office chanté tôt le matin ou le jeudi en fin d’après-midi, en compagnie des religieuses qui se plient littéralement en quatre pour nous ménager une petite place au plus près du prêtre. Magique et inoubliable.
Il ne reste plus qu’à rallier l’une des charmantes plages de galets de la côte ouest pour profiter du coucher de soleil les pieds dans l’eau, en sirotant un verre de retsina bien frappée. Plusieurs barques de pêcheurs tanguent langoureusement au large tandis que quelques autochtones âgées, vêtues de noir en signe de veuvage, rentrent tranquillement leur linge pour la nuit. Elles sont encore ici chez elles : même au coeur du mois d’août, traditionnellement envahi par les touristes italiens, les 3 000 résidents permanents de Patmos bénéficient d’une très enviable tranquillité. Tout comme les visiteurs ou les résidents étrangers, pour peu qu’ils ne s’amassent pas sur les quelques plages les plus fréquentées. Le tourisme à Patmos conserve une dimension humaine, ce qui explique sans doute la gentillesse et l’hospitalité des habitants. Jamais démenties.
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Un tel écrin culturel ne peut laisser personne indifférent. Et surtout pas les artistes, qu’ils soient nés à Patmos ou qu’ils s’y soient installés. La vieille ville de Hora dissimule quelques belles galeries animées par les artistes locaux et étrangers tandis qu’à Skala, un centre culturel installé sur le port organise régulièrement de jolies expositions. C’est là que des Belges tombés amoureux de l’île sacrée voici plus de vingt ans ont rencontré l’une des figures artistiques de Patmos, le peintre Manolis Pentes, ancien iconographe connu aujourd’hui pour ses paysages abstraits très colorés. Ils ont été à ce point séduits qu’ils ont mis sur pied l’an dernier sa première expo en Belgique, au centre culturel d’Auderghem, commune jumelée avec… Patmos. Les artisans du cru ne sont pas en reste, rivalisant de créativité dans des domaines comme la céramique ou la bijouterie… p>
Hormis l’un ou l’autre yacht de milliardaire amarré dans la rade, comme partout ailleurs dans les îles grecques, aucun bling-bling ne dénature l’authenticité de Patmos. C’est pourtant une île fréquentée par de nombreuses personnalités, dont beaucoup n’hésitent pas à se montrer en ville, aux terrasses ou sur les plages, en toute simplicité. Ainsi de l’Aga Khan, qui possède une somptueuse résidence au coeur de Hora, mais aussi, jadis, d’un David Bowie avec sa femme Iman. Un autre habitué belge y a passé quinze jours avec le chanteur Renaud, tandis que les acteurs Richard Gere, Julia Roberts ou Catherine Deneuve, entre autres, en apprécient particulièrement la tranquillité. On y croisait aussi Hilary Clinton, il n’y a pas si longtemps. Des membres de la jet-set ont même, paraît-il, tenté d’obtenir la construction d’un aéroport sur l’île qui en est dépourvue, en vain : les toutes-puissantes autorités ecclésiastiques locales n’ont jamais rien voulu entendre… p>
Y aller p>
Le moyen le plus commun de se rendre à Patmos est de prendre un vol pour Athènes puis un bateau à partir du Pirée. Plusieurs compagnies desservent quotidiennement la capitale grecque au départ de Bruxelles, dont Brussels Airlines ou Aegean. Deux compagnies relient ensuite Athènes à Patmos en +/- 7 h 30 : Blue Star Ferries. (www.bluestarferries.com) et Hellenic Seaways (hellenicseaways.gr). p>
Se loger p>
Mathios Studios & Apartments. Giakoumina Pente-Matheou et son mari Theologos louent de charmants appartements et studios en bord de mer, à quelques minutes de Skala. Accueil chaleureux, charme et tranquillité assurée à deux pas de plusieurs criques de rêve. (www.mathiosapartments.gr) p>
Se restaurer p>
La taverne située sur la plage de Lampi, tout au nord de l’île, est connue pour servir les meilleurs poissons et crustacés mais aussi le meilleur » saganaki » de Patmos, ce fromage grec grillé spécialité du cru. p>
A Hora, le Pantheon est l’endroit où vous mangerez le meilleur poulpe grillé de l’île avec en prime une vue plongeante sur Skala et le port. p>
A faire p>
Chaque année au début septembre, un festival international de musique religieuse se déroule en plein air, à la Grotte de l’Apocalypse. Il dure 10 jours et des chorales, orchestres et ensembles musicaux de Grèce et de l’étranger interprètent des oeuvres de musique classique et contemporaine d’inspiration religieuse. p>
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