François Schuiten: « Avec l’âge, on a d’autant plus soif d’être étonné »

© Maxence Dedry
Yoris Bavier

Il a arrêté sa carrière dans la BD de peur de faire l’album de trop mais n’a jamais cessé de conter des aventures. Il le prouve, deux fois de plus, en retraçant l’histoire du chantier de la ligne ferroviaire Pékin-Hankou – construite par des Belges au début du XXe siècle – au Train World, à Bruxelles, et en illustrant le premier Travel Book de Louis Vuitton dédié à une destination encore vierge, Mars, qui sortira fin octobre.

Je fais tout le temps la même chose: je raconte des histoires. Réaliser des albums, imaginer un timbre, concevoir la scénographie d’un musée ou habiller une station de métro, c’est le même métier. Avec des outils différents et un autre état d’esprit, certes. Mais, dans tous les cas, ça revient à prendre les gens par la main et à essayer de les émerveiller. J’ai le sentiment qu’il s’agit d’un seul et même élan.

La Belgique n’est plus une terre de BD comme elle l’était. Ce fut sûrement le cas avant et après guerre avec Franquin, Hergé et bien d’autres… mais pendant un temps très court! Très vite, les journaux se sont endormis et la création ne s’est plus faite spécialement chez nous. Je veux dire par là que cette idée n’est pas immuable, qu’elle n’est pas acquise pour l’éternité. Je trouve l’étiquette un peu surannée, maintenant. Aussi, notre pays n’a pas toujours été à la hauteur de ses créateurs et on en a vu terminer leur vie dans des conditions très dures. L’Etat aurait pu acquérir leurs oeuvres pour les aider mais celui-ci s’est montré très indifférent face à eux. Et, de nos jours, les autorités n’ont pas une véritable réflexion sur cet art, ni sur son futur.

Le regard sur la bande dessinée est superficiel. De quoi parle-t-on quand on aborde un album? De son thème. Parce qu’il est à la mode ou de circonstance. Néanmoins, on ne s’attarde pas assez sur l’écriture, le rapport entre le texte et l’image, la mise en scène, le découpage, la dramaturgie, le jeu des acteurs, les couleurs, les décors, la lumière… Peut-être parce que, dans la tête de beaucoup de personnes, la BD reste une sous-culture. On ne la traite pas avec la même ambition que le cinéma ou la littérature. En effet, lorsqu’on décrypte un roman, le vocabulaire est riche; l’analyse, poussée et détaillée. J’aimerais bien lire des critiques du neuvième art qui creusent le sujet et qui osent!

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Je suis un voyageur immobile. Ma table de dessin est ma piste de décollage. Elle est très grande, cela me permet de démarrer en douceur (rires). Pour le prochain Travel Book de Louis Vuitton, j’avais envie de me confronter à la planète Mars. J’ai plongé dedans comme je l’avais fait, auparavant, dans le monde ferroviaire. J’ai réalisé des tas d’images mais je ne savais pas quelle en était l’histoire. C’est la première fois que cela m’arrivait! J’étais un peu comme un explorateur qui ne savait pas ce qu’il allait découvrir ni même où il arriverait.

Avec l’âge, on a d’autant plus soif d’être étonné. Je veux vivre des aventures artistiques, me retrouver face à des accidents qui me conduisent vers des destinations inconnues et ressentir des émotions nouvelles. Ce n’est pas toujours facile parce que, avec le temps, vous attrapez des réflexes graphiques ou des tics de pensées. Il est impératif de se faire bousculer et d’être, perpétuellement, en état de révolution pour qu’un vent de fraîcheur, qu’une bourrasque d’imprévu se lève, souffle et anime vos dessins. Heureusement, j’ai la chance d’avoir quelques personnes autour de moi qui sont prêtes à me dire des vérités.

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C’est terrible de ne pas donner envie à nos enfants de vivre demain. Tout ce que l’on nous annonce est absolument épouvantable. Je crois qu’il y a moyen de rêver le futur en étant conscient de tout ce qui nous attend, sans forcément occulter les dangers et les réalités. Il faut être capable d’envisager l’utopie comme la dystopie. Cette tension du meilleur comme du pire est nécessaire pour ne pas être ignorant, naïf. Les sociétés devraient ouvrir davantage la porte aux écrivains, aux philosophes, aux cinéastes et aux poètes parce qu’on a besoin, aujourd’hui, de gens qui vont nous faire rêver au monde d’après.

Le destin, ça se cherche. C’est un combat permanent. Je ne crois pas au don, au talent inné. Par contre, j’ai foi en l’intuition, le travail et la discipline. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il faut énormément bosser et se lever la nuit, avec des rêves comme des angoisses, pour que la destinée s’intéresse à vous. Elle est vivante et il est essentiel de la remettre constamment en question.

De Pékin à Hankou, une aventure belge en Chine, Train World, 5, place Princesse Elisabeth, à 1030 Bruxelles. trainworld.be Jusqu’au 10 octobre.

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