« J’ai la conviction intime que l’art peut changer le monde »

© MANON LEVET

Quand la Seine s’est ouverte à de nouveaux projets, le collectionneur français Nicolas Laugero Lasserre a décidé d’y faire descendre la rue, ou plutôt ses artistes. Fluctuart, musée flottant consacré à l’art urbain, ouvrira ses portes à Paris en juin prochain.

Sous le pont des Invalides, des ouvriers s’affairent à l’intérieur d’un bâtiment fait d’angles droits et de verre. Ils finalisent les futures salles de Fluctuart, premier centre d’art urbain parisien qui ouvrira dans quelques semaines. Son directeur artistique, Nicolas Laugero Lasserre, veille au moindre détail. Ce matin, le problème à régler est un tag qui a vu le jour durant la nuit, face à ce nouveau lieu. Le trait manque de talent, les bombes ont été abandonnées sur le sol ; hors de question pour ce défenseur historique du street art que le moindre amalgame soit fait entre ces dégradations de l’espace public et les artistes qui seront bientôt exposés ici. « En plus, ils ont fait ça sur un mur classé », déplore celui qui savoure la vue depuis ce quai dialoguant avec la majestueuse structure du Grand Palais. « C’est une belle reconnaissance de pouvoir s’installer à cet endroit, surtout quand l’on sait à quel point il a fallu batailler pour faire reconnaître l’art urbain. Je suis persuadé que c’est la passerelle parfaite avec l’art ancien, on ne pouvait pas rêver meilleur emplacement. » Les grands musées du Louvre ou d’Orsay ne sont qu’à quelques minutes de navigation de cette concession, offerte à Fluctuart pour vingt ans. « Quand l’appel à projets Réinventer la Seine a été lancé, mon ami Géraud Boursin m’a contacté pour monter ce centre. Eric Philippon s’est joint à nous plus tard, pour l’aspect financier. »

A la tête d’une école de management de la culture aux envies d’ouverture, ancien directeur de l’Espace Pierre Cardin, initiateur d’ART42 qui expose des oeuvres à la vue de tous au sein de l’Ecole 42 de Xavier Niel, Nicolas Laugero Lasserre est de ceux qui peuvent affirmer en mêlant sincérité et charisme: « J’ai la conviction intime que l’art peut changer le monde. » Alors il le rend accessible. « Je ne viens pas de la sphère de l’art, je n’étais pas formé; comme 95% des gens. Le milieu parisien a tendance à oublier cette donnée. Alors que la création s’est enfermée dans le conceptuel et l’abstraction, le street art est venu le réconcilier avec le quidam. Il n’est pas une finalité mais un excellent moyen pour permettre un plus grand accès à l’art. »

Sa rencontre avec le mouvement a eu lieu quand il a emménagé à Paris, avec le désir de suivre le Cours Florent. « J’habitais la Butte-aux-Cailles, en plein coeur de ce travail accompli par tous les artistes importants de l’époque. On était en 1996, il y avait Speedy Graphito, Jef Aérosol, Miss.Tic, les VLP et d’autres. J’ai été séduit instinctivement par cet art qui opère de façon très accessible. »

Le promeneur curieux attiré par ces opus qui fleurissent sur les murs se transforme en amateur en quête d’informations dans une ère pré-réseaux sociaux. Il rencontre les artistes autant dans des squats que des foires d’art et prend position pour la reconnaissance de ce mouvement. Quelques années plus tard, le passionné devient collectionneur en faisant l’acquisition de Le soleil nous laisse à des jours plus vieux, de Miss.Tic, dans une vente aux enchères caritative. « J’étais étudiant, j’avais très peu de moyens, et à l’époque je l’avais acheté l’équivalent de 300 euros, ce qui pour moi était énorme. J’avais l’impression de faire une folie. » Des « folies », il y en a eu ensuite des centaines d’autres. Les montants ont grandi et pour l’expert, il ne faut y voir qu’un bon signal: « Le marché a explosé en même temps que l’intérêt pour le mouvement, c’est positif et chacun peut encore partir de zéro comme je l’ai fait, en s’y intéressant dans la rue, en prenant des photos de façon gratuite ou en achetant des sérigraphies de ces artistes qui restent très abordables, à l’image du grand Shepard Fairey qui continue de vendre ses oeuvres signées à 30 dollars sur son site. »

Fluctuart sera en accès libre et les salles seront largement ouvertes sur les quais grâce à de vastes baies vitrées. L’ambition? Faire naître de nouveaux promeneurs curieux de l’art; créer des ponts, depuis la Seine.

Bio express

1975: Naissance à Nice.

1996: Arrivée à Paris, découverte du street art.

1997: Entrée à l’Espace Pierre Cardin et création d’Artistik Rezo.

2015: Direction de l’ICART, l’école du management de la culture et du marché de l’art.

Juin 2019: Ouverture de Fluctuart et monographie de Swoon.

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