La Basse-Californie et son « aquarium » à ciel ouvert
Immense péninsule mexicaine dans le prolongement de la côte ouest des USA, la » Baja » réserve autant de surprises sur terre que sous la mer. Le tout dans une ambiance où se côtoient nature et vestiges du passé, de la préhistoire à la conquête espagnole en passant par l’époque des concessions minières.
C’est un morceau du Mexique qui n’a rien à voir avec le Mexique. Ici, pas de jungle luxuriante, pas de vestiges précolombiens, pas de stations balnéaires décadentes ni de mégapoles ultraviolentes. Cette longue bande de terre grande comme l’Italie est séparée du pays des sombreros par un golfe qu’on pourrait comparer à la mer Rouge et que les locaux ont baptisé mer de Cortés – en souvenir d’Hernán, le conquistador qui l’a explorée le premier.
Une terre aride mais entourée d’eau, sauvage mais hospitalière, déchiquetée mais d’une beauté stupéfiante.
La Basse-Californie – » Baja » pour ses habitants – n’a pas d’équivalent. On devrait même dire » les » Basse-Californie : leur territoire est assez long (1 250 km) pour se modifier radicalement au fil de la » carretera transpeninsular « , cette route n°1 qui la traverse de haut en bas, de la frontière américaine à la pointe des deux caps qui séparent le Pacifique du Golfe de Californie, l’autre nom de la mer de Cortés. Un interminable serpent de bitume aux courbes aussi étroites que voluptueuses. Au nord, la région viticole de la vallée de Guadalupe produit les meilleurs crus du Mexique et n’a, selon les connaisseurs, rien à envier à la Napa Valley. Une route des vins relie près d’une centaine de domaines plantés au coeur de paysages sublimes.
Au centre, une succession de déserts et de profonds canyons dissimule le plus vaste ensemble au monde de grottes et falaises décorées de peintures rupestres et de pétroglyphes, inscrit au patrimoine de l’humanité de l’Unesco. De tels témoignages gravés dans la pierre par les lointains ancêtres des tribus locales, on en trouve en bien d’autres endroits. Et notamment dans la moitié sud de la péninsule, qui forme la province de Baja California Sur (BCS) et concentre l’essentiel des merveilles de cette région méconnue. C’est elle que nous avons choisi d’explorer.
La Paz, au long du Malecón
La Paz, 300 000 âmes, capitale de la région sud. On y vient en avion depuis Mexico ou les Etats-Unis, si l’on veut éviter l’interminable route écrasée de chaleur. Tournée vers la mer, elle déploie, le long d’une immense et paisible baie, son Malecón, sa digue animée et bordée de statues évoquant l’océan, où déambulent les familles au coucher du soleil… et s’encanaillent les ados à la nuit tombée, à grand renfort de bière ou de tequila. Face à la mer, entre les bars et les boîtes noyées sous un déluge de décibels, les touristes s’attardent aux terrasses des restos typiques, avec ou sans mariachis. Au menu : profusion de poissons grillés ou en ceviche, fruits de mer, tacos, nachos et autres enchiladas. Répétitif mais authentique. Et surtout savoureux.
Hormis son ambiance indolente, son adorable musée de la baleine et les plages immaculées de sa péninsule, La Paz attire surtout pour ses activités marines. Et sous-marines. Un Français y a ouvert un club de plongée, Phocéa, animé par Cécile et Jean-Michel. » Ce n’est pas par hasard si Cousteau a baptisé la Baja « l’aquarium du monde », évoquent-ils. C’est l’une des plus abondantes et variées en vie marine. » Selon les saisons, on peut y observer toutes sortes de cétacés, de raies, de requins, d’otaries, de tortues et d’oiseaux, sans parler de la multitude de poissons, mollusques et crustacés multicolores. Et nul besoin de s’immerger très profond.
Comme un poisson dans l’eau
C’est l’attraction phare dans la région des caps : l’observation des baleines à bosse, celles qui aiment sauter hors de l’eau pour le plus grand bonheur des touristes. Mais si la baie de Cabo San Lucas est une réserve marine censée les protéger, elle est en permanence envahie de bateaux pleins de touristes à craquer. D’où l’alternative proposée par le jeune Français Evans Baudin : emmener les voyageurs à la journée au large, en dehors de la réserve, sur des petits bateaux rapides. Au menu, une double expérience exceptionnelle. Observation des baleines depuis le pont, bien sûr, mais aussi… en se jetant à l’eau à leurs côtés ! Voir l’un de ces mastodontes sauter à quelques mètres de vous alors que vous barbotez en pleine mer, c’est juste indescriptible. Mais ce n’est qu’un hors-d’oeuvre. Evans a aussi mis au point une recette qui permet d’attirer les requins en diffusant dans l’eau du fumet de poisson. Et là encore, lorsque apparaissent les premiers ailerons de requin mako, renard, marteau, on se jette à l’eau. » C’est sans risque, affirme notre hôte : ils sont aussi curieux que nous. «
Espiritu Santo, l’immersion permanente
Première incursion à quelques dizaines de mètres à peine de la plage, pour barboter paisiblement… avec d’énormes requins-baleines, placides et amicaux. Palmes, masque et tuba suffisent, le contact est intime, la sensation saisissante. Ces mastodontes de 12 à 16 mètres évoluent avec grâce et se laissent approcher à quelques centimètres en nous surveillant du coin de l’oeil, sans peur ni agressivité. La gueule grande ouverte, ils n’ingurgitent que le krill en suspension dans l’eau. A la tonne. Nous y retournerons plusieurs fois, tant l’expérience est forte…
Au large de La Paz, émerge un chapelet d’îles formant, sur 24 000 ha, l’un des écosystèmes les plus vierges de Basse-Californie. Biosphère protégée par l’Unesco, les îles Espiritu Santo sont désertes mais les archéologues y ont trouvé la trace des hommes qui y vivaient déjà voici 40 000 ans. On les visite en kayak de mer, qui permet d’en faire le tour à la rame en bivouaquant sur les plages. Mais rien n’interdit de s’y rendre à la voile ou en yacht, que l’on ancre dans des baies translucides, où snorkeling et plongée réservent bien des surprises. Certaines abritent des épaves colonisées par la flore et la faune, où il n’est pas rare de croiser une raie mobula – voire un banc – ou un petit requin. Sans parler des murènes colorées qui colonisent les tuyauteries rouillées.
A l’extrémité de l’archipel, quelques rochers forment Los Islotes, un sanctuaire qui abrite la plus grande colonie de lions de mer du golfe, ces otaries dont les mâles peuvent peser des centaines de kilos. Là encore, c’est dans l’eau que la magie opère. Avec ou sans bouteille, on se laisse entraîner dans le balai des juvéniles curieux, qui jouent avec les intrus comme des chiots facétieux. Allant jusqu’à mordiller nos palmes ou le bout de nos doigts, à nous foncer droit dessus avant de bifurquer à la dernière seconde.
Hôtel California
» On a dark desert highway, cool wind in my hair… » Ils prétendent n’y être jamais allés mais pour certains nostalgiques du légendaire groupe country-rock des seventies, tout indique que l’Hôtel California de Todos Santos est celui qu’ont chanté les Eagles dans leur titre éponyme. Du coup, cette institution fondée par les descendants d’immigrés chinois en 1950 attire les fans du monde entier. S’il appartient aujourd’hui à des Canadiens – qui ont confié les clés de la cuisine à un chef belge -, cet hôtel de charme ne se gêne pas pour capitaliser sur le mythe (il vient d’ailleurs d’être attaqué en justice par les Eagles). Au point d’avoir créé une ligne d’accessoires que les touristes s’arrachent dans la boutique voisine de la réception. Et de taper des tarifs sans commune mesure avec ceux, nettement plus raisonnables, pratiqués par les hôtels concurrents. Mais la légende n’a pas de prix…
Los Cabos, entre passé et futur
Changement de décor pour un retour sur la terre ferme. De La Paz, nous enfilons la route n°1 plein sud, à travers la sierra dominée par les cactus géants à perte de vue. C’est une contrée sauvage qui invite à la randonnée, à pied ou à vélo, par exemple dans la luxuriante réserve de biosphère Sierra de la Laguna, où les rivières ont creusé la montagne d’impressionnants canyons. La nature est reine, les panoramas rois, la faune princière – il n’est pas rare d’y apercevoir un couguar ou un condor. Les randonneurs aguerris viseront les sommets pour la vue imprenable sur l’océan Pacifique d’un côté, et la mer de Cortés de l’autre. Un must qui se mérite.
Notre guide, Javier, est issu d’une famille d’éleveurs des environs. » On peut randonner plusieurs jours sans croiser âme qui vive, par ici. C’est le paradis du camping sauvage au milieu de nombreuses espèces animales et végétales endémiques. Et même s’il peut faire très chaud, vous trouverez toujours de l’eau pour vous rafraîchir ou vous baigner, dans les rivières ou les oasis. » Le lac qui a donné son nom à la réserve (laguna en espagnol) est asséché. Et le paysage qui l’entoure, carrément lunaire.
A un jet de pierre, El Triunfo est l’un de ces villages évoquant le riche passé minier d’une région dont le sous-sol abondait d’or et d’argent. De nombreux vestiges demeurent de cette prospérité passée, dont toutes les installations minières aujourd’hui abandonnées. On y flâne paisiblement en quête des fantômes du passé. Ou des âmes du présent : quelques artistes y ont élu domicile et travaillent le métal avec beaucoup de talent.
Retour sur la côte, où se succèdent les villages de pêcheurs plus ou moins alanguis. Les uns, comme La Ventana, attirent par centaines les amateurs de kitesurf, dont les voiles envahissent la baie quand soufflent les alizés. De nombreux jeunes Américains descendent ici en motorhome qu’ils installent sur la plage pour se consacrer à leur sport favori. L’endroit idéal pour une initiation. D’autres, comme Cabo Pulmo, résistent aux assauts des promoteurs qui rêvent de tourisme de masse. Réserve marine au large, plages de rêve, nature préservée, un petit coin de paradis au bout du monde.
Ou presque. On peut encore descendre plus loin, à l’extrême sud de la péninsule. Là, les promoteurs ont eu le dessus. La pointe des deux caps – Los Cabos : Cabo San Lucas et San José del Cabo – concentre sur 30 km les infrastructures touristiques dignes des stations balnéaires les plus huppées, villas de milliardaires sur les hauteurs en prime. Un lieu de villégiature haut de gamme, qui ne manque pas d’un certain charme urbanistique si l’on aime ça, dédié aux plaisirs des vacances aquatiques et terrestres. Ouvert sur un sanctuaire marin où pullulent les baleines, dauphins et otaries que les touristes observent au coucher du soleil, depuis le pont de bateaux noyés sous la musique et l’alcool (lire par ailleurs). A voir, juste pour se convaincre que cela existe…
Loreto, berceau des civilisations locales
On bascule ensuite sur la côte Pacifique magnifiquement préservée – mais pour combien de temps, car les projets immobiliers menaçants sont nombreux… Todos Santos, siège de la plus importante mission espagnole du xviiie siècle, est devenu un village d’artistes alangui où pullulent les galeries d’art, au coeur d’une oasis fertile. D’immenses plages de sable fin s’étalent dans les environs, dédiées au surf et à l’écotourisme. Un coin dont le charme et la tranquillité séduisent les adeptes du New Age.
Plus au nord, la route bordée de nids d’aigles pêcheurs conduit à Puerto Adolfo Lopez Mateos, village posé sur une baie où viennent accoucher les baleines grises à l’abri des prédateurs. On les approche au plus près en barques à moteur, avant qu’elles ne repartent pour un périple de plusieurs milliers de kilomètres jusqu’en Arctique.
A Loreto, côté mer intérieure, ce sont les baleines bleues qui abondent. José, un pêcheur au visage buriné, nous emmène dès l’aube à leur rencontre, dans un esquif qui paraît bien frêle face aux plus grands mammifères connus, qui peuvent atteindre 25 mètres. Leurs jets sont si puissants qu’on les repère à des centaines de mètres. Elles plongent ensuite quelques minutes en dressant une queue immense, avant de reparaître à quelques mètres de nous. Décoiffant.
Vue de la mer, la côte paraît plus majestueuse encore, avec ses sommets qui semblent infranchissables. C’est le spectacle qui attendait déjà les marins espagnols arrivés par ici au xvie siècle. Ils les ont pourtant franchis à la rencontre des autochtones, pour les évangéliser à tour de crucifix. Les ruines plus ou moins préservées de nombreuses missions isolées en témoignent. Comme celle de San Francisco, joliment conservée au coeur de la montagne. La route sinueuse qui y conduit n’offre pas seulement des points de vue grandioses, elle est parsemée de peintures rupestres. Au plus profond de la nature indomptée, plusieurs civilisations sont passées par ce paradis perdu à travers les âges. Les descendants des indiens Guaycura veillent encore sur leurs vestiges.
En pratique
Se renseigner
Pas de visa pour les Belges, un passeport valide 6 mois après la date d’entrée suffit. Attention : en cas de transit via les USA, il faut un visa ESTA.
Ambassade : 94, avenue Roosevelt, à 1000 Bruxelles. Tél. : 02 629 07 77.
www.embamex.eu/francais.htm
Y aller
Energy Trip organise des voyages combinant plongée sur plusieurs sites, observation des baleines en mer de Cortés et dans le Pacifique et circuits terrestres, en groupe ou sur mesure. Croisière-plongée également possible à l’île de Socorro, à la rencontre des raies manta géantes. www.energy-trip.com
Air France vole sur La Paz (via Mexico en combinaison avec Aeromexico) au départ de Bruxelles, via son service Air & Rail qui permet d’enregistrer les bagages à Bruxelles-Midi et de ne pas refaire de check-in à Paris CDG. Les valises sont automatiquement acheminées jusqu’à votre vol. Billets à partir de 1 000 euros A/R. www.airfrance.be
Se loger
A La Paz
Marina. Certes un peu excentré, l’hôtel est un havre de paix à deux pas du centre de plongée Phocéa, avec son joli jardin autour d’une piscine et son excellent restaurant. www.hotelmarina.com.mx
A Loreto
Posada del Cortes. Un joli boutique-hôtel de charme dans une rue calme, entre le centre historique et le port. Terrasse sur le toit avec vue imprenable. www.posadadelcortes.com
PAR PHILIPPE BERKENBAUM
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici