L’alpinisme inscrit au patrimoine mondial à l’Unesco: retour sur l’histoire d’un art encore jeune

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L’alpinisme, l’art jeune « de gravir des sommets et des parois en haute montagne », est entré mercredi à Bogota au patrimoine immatériel de l’Unesco, une distinction internationale qui pourrait relancer des mesures de sauvegarde de cette pratique.

Pour remporter ce label, la France, l’Italie et la Suisse s’étaient alliées pour promouvoir l’alpinisme, pratique tout juste bicentenaire tirant son nom de la chaîne de montagnes que ces trois pays ont en commun: les Alpes, lieu historique de cette activité.

Jeune, l’alpinisme? Certes, l’Antiquité porte les traces de l’activité de guides et la première corporation dans le Val d’Aoste (Italie) date du XIIIe siècle. Le Florentin Pétrarque a bien gravi le mont Ventoux vers 1350, Antoine de Ville le mont Aiguille en 1492 pour le compte de Charles VII, le naturaliste suisse Gessner le mont Pilatus en 1555.

Mais l’acte fondateur, si ce n’est l’acte de naissance, reste 1786, avec l’ascension du mont Blanc au départ de Chamonix par une cordée singulière qui porte en elle les valeurs de l’alpinisme: Jacques Balmat, cristallier et pauvre, Michel-Gabriel Paccard, médecin et notable.

Statue de Jacques Balmat et Michel-Gabriel Paccard, à Chamonix
Statue de Jacques Balmat et Michel-Gabriel Paccard, à Chamonix© Getty Images

Le premier avait vaincu les superstitions ancestrales, le second lui a laissé la totalité de la récompense promise pour cet exploit. L’itinéraire a été rapidement répété, partagé et consigné.

Les siècles passant, l’idée de postuler à l’Unesco jaillit autour du point culminant des Alpes en 2008-2009, sur ses versants français et italien, alors que les plus hauts sommets ont été conquis aussi bien dans l’Himalaya que dans les Andes.

A l’époque, les monstres sacrés Walter Bonatti et Reinhold Messner voient leur carrière récompensée d’un Piolet d’Or, l’Oscar de la discipline.

récit de Walter Bonatti dans la presse de 1965
récit de Walter Bonatti dans la presse de 1965© Getty Images

Une manière de dépasser les exploits sportifs et de (re)mettre l’accent sur le « style alpin », ces ascensions avec un minimum d’aide et d’équipements « dans le respect de l’environnement et des populations, avec une éthique », souligne Claude Gardien, guide et chargé de mission côté français.

Style de vie

Un comité de pilotage est créé en 2011. « Il a fallu domestiquer les mots de l’Unesco, ça nous a pris du temps et ça a été difficile de trouver des mots communs pour décrire les 10.000 facettes de l’alpinisme », raconte Bernard Prud’homme, comparse de Gardien. Les Suisses se joindront au projet par la suite, apportant leur savoir-faire, ayant fait reconnaître leur gestion du danger d’avalanches. « La candidature a permis de renforcer les liens entre les communautés et organisations d’alpinistes », se réjouit Luigi Cortese, membre du groupe de coordination de la candidature.

Ascension du Mont Blanc au tout début du XXe siècle
Ascension du Mont Blanc au tout début du XXe siècle© Getty Images

« L’alpinisme est une pratique représentative de l’identité alpine dans son ensemble », ajoute l’Italien, dont le pays compte 311.000 membres dans son club alpin, quand la Suisse en dénombre 150.000 et la France 95.000.

« C’est un style de vie pour beaucoup », renchérit Pierre Mathey, secrétaire général de l’Association suisse des guides de montagne, « une pratique physique dotée d’une culture partagée, un art fait de savoirs, de savoir-faire et d’acquisition de connaissances sur le milieu ».

A l’opposé d’un sport avec règles et compétitions, l’alpinisme se veut la quête de « ce monde qui n’est pas le nôtre », selon les mots de Robert Tézenas du Montcel, alpiniste français de l’entre-deux-guerres.

« L’alpinisme est accessible à tous, il suffit d’avoir envie », assure Claude Gardien. « Il faut deux pieds, deux mains et une tête bien faite ». Et encore : le britannique Geoffrey Wintrop Young (1876-1958) avait continué l’alpinisme après avoir perdu une jambe en 1917 lors de la Première guerre mondiale.

Le comité intergouvernemental de l’Unesco, en inscrivant cette pratique au patrimoine immatériel, s’est donc montré sensible à la solidarité, au goût de l’effort et au contact brut avec la nature de l’alpinisme. Une reconnaissance qui donne un élan aux mesures de sauvegarde d’une pratique malmenée, selon ses promoteurs, par le changement climatique et la judiciarisation croissante en cas d’accident.

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