Le Maroc autrement
On skie sur les pistes du Moyen Atlas.
Des murs d’ardoise, de verre et d’acier signés Christophe Pillet, un chef adoubé par les frères Pourcel, un bar à cigares lounge: vous n’êtes pas dans le dernier lieu hype de Londres ou de New York, mais à Fès, où le restaurant Maison Blanche fait miroiter un Maroc futuriste au coeur de la plus ancienne médina du monde. A quelques pas, les mulets chargés de peaux de chèvre et de mouton se faufilent dans les ruelles, en direction de la tannerie. Là, des hommes hirsutes, comme sortis d’un autre âge, plongent les cuirs dans les cuves jaune safran, rouge coquelicot ou bleu indigo.
Le Moyen Age s’attarde dans cet îlot qui résiste à la marée de l’Histoire. Fès change, mais au ralenti. Les âmes nostalgiques pourraient s’inquiéter d’apprendre que la médina a entamé le plus vaste chantier de réhabilitation de son histoire, et pour cause! La « dédensification » annoncée devrait, d’ici à quelques années, réduire le nombre d’habitants et augmenter celui des maisons et palais rénovés. Pour l’heure, le charme de la vieille ville reste intact.
Devant les portes de riads naguère en ruine et délicatement mués en hôtels de charme, tout autour de medersas aux zelliges patiemment restaurés, les souks et les marchés populaires continuent de déverser leurs parfums et leurs saveurs. Ici et là, des artisans font perdurer des métiers rares -tisserand de brocart, sculpteur de corne ou tonnelier martelant le cèdre odorant provenant des forêts de l’Atlas, toutes proches.
Des terres ocres aux sommets enneigés
Les montagnes boisées ourlent l’horizon, visibles de la colline des tombeaux mérinides, d’où le regard embrasse toute la vieille ville, les tours des onze mosquées et le damier de toits blancs qui ensorcela Lyautey, artisan du protectorat converti en protecteur amoureux du Maroc. Vers l’ouest, les routes serpentent sur la terre ocre, piquetée d’oliviers et de moutons. Des fermes enrubannées dans leurs murets de pierre tapissent la plaine, résistant encore à l’assaut des programmes immobiliers du Grand Fès. Les premiers cèdres sont là, dès l’arrivée à Imouzzer.
La route ravinée par les pluies traverse une bourgade émouvante, où des villas à colombages et au toit de tuiles pentu rappellent au voyageur qu’on fut ici nostalgique de la Normandie et de vertes campagnes. A une cinquantaine de kilomètres de Fès commencent les contrées où les Français exilés venaient chercher en été la fraîcheur, en hiver la neige. Car il y a de la neige au Maroc. Et même des stations de ski. L’une des plus célèbres, avec l’Oukaimedène du Haut Atlas, est Ifrane.
« La petite Suisse du Maroc » Même si Chamonix a donné son nom au plus célèbre hôtel d’Ifrane, dûment posté à l’ombre de ses platanes, à l’entrée de la ville, ce n’est pas ici que vous oublierez les pistes des Grands Montets. Ifrane a d’autres atouts, qui mettent des trémolos dans la voix de tous ceux qui y sont passés. A quelques kilomètres des villages de terre marocains, et à 1 900 mètres d’altitude, on y goûte le plaisir d’entrer dans un autre monde.
Les voyageurs qu’on croise ici sont surtout marocains, émerveillés comme des gosses parce qu’ils découvrent la neige. Ils se baladent en doudoune et après-skis devant l’hôtel des Perce-Neige, avant d’aller déguster un pithiviers sous les néons du café La Paix, puis une dorade meunière au Chamonix, dans la compagnie poussiéreuse des trophées de sangliers qui trônent dans la salle depuis quarante ans. Un lac merveilleux, réplique en miniature de celui du bois de Boulogne, accueille les pas lents de promeneurs romantiques. Ifrane et sa fraîcheur alpine, exotique dans ce pays, est la première destination de voyage de noces des Marocains.
Et puis, dans cette station que Hassan II surnommait « la petite Suisse du Maroc », dans cette Megève à la marocaine, le roi skie. Les pistes se trouvent à 19 kilomètres d’Ifrane, à Michlifen. A l’entrée de la station, le petit chemin, à droite, mène aux rondins du chalet royal, gardé à l’année par un factotum. C’est là que Mohammed VI chausse ses skis avant de dévaler sa piste privée. En bas, on cherche en vain chalets, boutiques et animations. Une seule grosse bâtisse, une remontée mécanique offrent un plaisir symbolique aux rich and famous Marocains en mal de sports d’hiver alpins.
Les vallées des pommiers et des cerisiers
« La plupart des Marocains ne viennent pas ici pour skier, mais pour voir la neige. Et pour randonner dans les montagnes », souligne Said, notre guide. Ils traversent des forêts peuplées de macaques de Barbarie. Sous les érables et les chênes verts poudrés de neige pousseront bientôt crocus et asphodèles. Des hauteurs vertigineuses du mont Ras Tioumliline, Said balaie le paysage du regard, ému. « On voit la terre fertile de la vallée des pommiers. Et, là-bas, celle des cerisiers.
C’est beau, ici. » La randonnée mène à un lieu étrange, lui aussi hors du temps: le monastère de Tioumliline. Le film Des hommes et des dieux a été tourné ici, et le gardien ne se fait pas prier pour ouvrir les portes et raconter ses souvenirs. 150 personnes ont campé, logé, joué ici, et pourtant tout semble abandonné depuis des décennies. On admire la magie du décor, qui a pu transformer ces salles vides et grises en lieux vibrants d’émotion. En contrebas, un gamin pousse ses chèvres vers un village, qu’on reconnaît enfin. Fiction et réalité, passé et présent se télescopent. Magnifiés par le regard de Xavier Beauvois, forêt et campagne gagnent en poésie. Doux et âpre, calme et vrai, l’autre Maroc est ici.
Source: Le Vif Weekend
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