Les défis du tourisme post-industriel… et les spots à ne pas rater
Alors que beaucoup de voyageurs se plaignent que, sur certains sites touristiques, « c’est l’usine », le patrimoine industriel tire son épingle du jeu. Son credo: des visites alternatives mêlant l’histoire, les sciences, la sociologie et l’art dans des cadres époustouflants.
Quel mineur aurait pu soupçonner qu’un jour, des curieux descendraient dans ses galeries pour se détendre, comme ils iraient au cinéma ou au musée? Au cours de ses quarante-cinq ans de labeur dans la métallurgie, Jean Larché n’avait jamais imaginé non plus qu’il emploierait sa retraite à faire visiter un haut-fourneau semblable à celui où il a forgé sa carrière. A Uckange, en Lorraine française, il fait découvrir à des groupes d’enfants et d’adultes l’univers de la fonte. Pour lui, c’est la routine, mais il constate à quel point le public est impressionné par les 82 mètres de hauteur et le condensé technique des installations. « On ne peut pas deviner le gigantisme et l’impression que cela fait quand on vient ici pour la première fois », commente-t-il. Difficile aussi de se représenter le quotidien en fusion de ces lieux, et c’est souvent ça que les gens viennent chercher en priorité: « Ce qui les intéresse le plus, ce sont les anecdotes. Ils recherchent le social, la manière dont les ouvriers ont vécu et travaillé… Des récits humains. » Parmi les histoires que Jean Larché aime raconter et qui font toujours leur effet, il y a celle de cette femme qui travaillait seule parmi les hommes, en production, et dont le guide a pu reconstituer la vie grâce à sa belle-fille. U4 est devenu un lieu de partage, de transmission et de mémoire. Les habitants de la région viennent y déposer les archives familiales liées à la vie du haut-fourneau. « Tout cela est inscrit dans le passé des lieux. Cette industrie a énormément contribué à la remontée de l’économie du pays, au même titre que les mines. Il faut le rappeler, sinon, ça tombe vite aux oubliettes. »
Un patrimoine de bien commun
Le risque d’oubli: c’est précisément l’un des enjeux du secteur. Lors d’une fermeture, il est nécessaire de réagir vite, avant que tout ne soit rasé pour faire place nette. Quand l’on envisage de démolir un pont médiéval pour laisser passer des bateaux, il est aisé de penser à la potentielle perte patrimoniale. Il est plus difficile d’apercevoir la portée historique d’un lieu derrière les gros titres de licenciements ou l’obsolescence d’une technique, surtout quand ses lignes étaient avant tout fonctionnelles.
Heureusement, l’Unesco s’est emparée du patrimoine industriel et accorde désormais son précieux « label » à certains sites, garantissant ainsi visibilité, curiosité du public et devoir de préservation au nom du bien commun. Depuis 2012, le bassin houiller wallon est inscrit au patrimoine mondial via quatre lieux emblématiques: le Grand-Hornu, Bois-du-Luc, le Bois du Cazier et Blegny-Mine. Et si châssis à molette peuvent côtoyer temples, cathédrales et autres merveilles naturelles sur le registre tant convoité, Jean-Louis Delaet rêve qu’il en soit de même dans l’esprit de tous les touristes. « Ce n’est pas ou plus un secteur de niche, se réjouit le directeur du Bois du Cazier et président de l’association Patrimoine industriel Wallonie-Bruxelles. Ça l’a longtemps été, s’adressant en priorité à un public de passionnés, d’ingénieurs, de personnes touchées par les problématiques sociales ou environnementales. Mais on attire désormais les familles. L’ambition est de devenir des sites touristiques « normaux ». Bien sûr, il est vain d’imaginer qu’un voyageur aille voir deux ou trois décors industriels sur plusieurs jours: il faut donc que ces endroits évoluent à côté de centres-villes dynamiques, d’attractions ludiques. »
Des atouts pour tous les publics
Conditions de sécurité particulières, mises aux normes coûteuses, difficultés -voire impossibilité – de chauffer en hiver… Les infrastructures industrielles sont loin d’être comme les autres en matière de gestion. Mais dans l’esprit de tout un chacun, elles commencent à faire jeu égal. Sur TripAdvisor, le Bois du Cazier – également lieu de mémoire suite au décès de 262 mineurs en 1956 – s’est hissé à la première place du classement des attractions carolos, devant la maison de la photographie. L’initiative Underground Europe, portée par l’UE et National Geographic, invite quant à elle les citoyens à découvrir les richesses du sous-sol du continent et mêle dans sa route mines et caves à champagne. Et c’est ce mélange des genres qui semble de plus en plus payer.
Certains projets n’ont conservé que la carcasse, comme l’incroyable Tate Modern à Londres, installée dans une centrale électrique désaffectée de Bankside, ou encore la romaine Centrale Montemartini qui présente des trésors archéologiques antiques dans une centrale thermique du XXe siècle. D’autres s’attachent à aborder la question du passé industriel du lieu, via des dispositifs les plus expérientiels possibles, tout en mixant les disciplines. « Une bonne façon de s’adresser à Monsieur et Madame Tout-le-monde est la tenue d’événements n’ayant pas de relation directe avec l’histoire de ces lieux, développe Jean-Louis Delaet. Völklingen en Allemagne est un bon exemple. Ils ont une salle des machines immense et ils y organisent des expositions sur l’Egypte ou sur la Reine Elizabeth II. Ça draine du monde. En Belgique, on a le salon du vin à Blegny, le marché de Noël d’artisans du Bois du Cazier qui est un des plus prisés de la région, ou encore Sport Terrils avec 3 à 4.000 jeunes et moins jeunes qui viennent faire de la tyrolienne, de l’accrobranche, etc. »
Même logique du côté du Val de Fensch, en Moselle, qui s’apprête à se parer des couleurs d’Halloween: « A Uckange, on a toujours eu une programmation culturelle, patrimoniale, historique qui permet d’atteindre des publics différents, explique Muriel Pelosato, responsable du pôle culturel et patrimoine du Val de Fensch. Quand le site a été ouvert, il a été mis en lumière par l’artiste Claude Lévêque. La nuit, le bâtiment devient une oeuvre qui attire les amateurs de photo, d’art contemporain ». Et ça marche. Suite à une simple campagne publicitaire de Moselle Attractivité dans le métro parisien – à 300 km, donc -, les visites nocturnes estivales ont doublé.
Les points critiqués se font atouts. Les géants de fer et de béton deviennent sculptures monumentales pour répondre au paysage, tandis que la pollution des terrains laissée en héritage se transforme en point d’attraction: « Nous travaillons avec des chercheurs pour amener des plantes sur la friche qui vont assainir les sols, détaille Muriel Pelosato. C’est un enjeu important et cela nous permet en même temps d’aborder les questions environnementales, de vulgariser auprès des plus jeunes et de montrer que d’autres vies sont possibles après la fermeture. » Entre réincarnations arty et partenariats pluridisciplinaires inventifs, la renaissance de ce patrimoine ne fait que commencer.
La Ruhr – l’indispensable
Cette région de l’ouest de l’Allemagne fait figure d’exemple sur le front des nouvelles vies des friches et bâtiments industriels. Avec l’aide d’artistes, le bassin minier a remodelé son paysage entre belvédère-sculpture au sommet d’un terril et piscine au coeur d’une cokerie. Enorme densité de sites et projets singuliers.
À ne pas manquer. Le Landschaftspark de Duisburg, un impressionnant parc de loisirs de 180 hectares. Les oeuvres de James Turrell et consorts dans les entrailles du Centre for International Light Art d’Unna. Les galeries de la mine de Bochum. La finesse de l’architecture sur le site de Zollern (Dortmund). La bonne idée? Planifier une escapade en juin (le 27, en 2020) pour vivre la ExtraSchicht, la nuit du tourisme industriel.
Wieliczka – la poétique
Si l’art s’invite souvent une fois le site fermé, ici, dans cette mine de sel polonaise, salles et sculptures ont été façonnées au fil de l’activité… qui se poursuit encore. Tout est taillé dans la roche saline, et c’est bluffant.
À ne pas manquer. La magnifique chapelle avec ses lustres à pampilles taillés dans le sel, et le centre de remise en forme qui permet de passer la nuit dans la mine pour bénéficier de bienfaits de l’halothérapie.
La Cité des électriciens – la nouvelle venue
Cet ensemble de corons de Bruay-la-Buissière, qui a accueilli une partie du tournage de Bienvenue chez les Cht’is, a fait peau neuve il y a quelques mois. Le site mêle désormais résidence d’artistes, centre d’interprétation, gîte…
À ne pas manquer. Les incroyables détails de ces habitats ouvriers de 1861. Le panorama de 11 mètres qui explique les techniques d’exploitation et leur progression. Les ateliers pour enfant bien pensés, comme celui sur la maçonnerie et son ambiance « 3 petits cochons ».
Ignalina – la bingewatchée
Parfois, tourisme industriel et tourisme « funèbre » sont liés. Le site de la centrale de Tchernobyl fascine depuis des décennies. Avec le succès de la série Chernobyl, c’est son homologue lituanienne, située à Ignalina, qui attire les foules. C’est en effet là que furent tournées les scènes du divertissement radioactif de la chaîne HBO.
À ne pas manquer. des visites guidées sont organisées et, depuis peu, le poste de commande a été reconstitué pour se projeter dans un bel après-midi d’avril 1986. On ne vous encouragera pas à vous précipiter sur un site nucléaire: de toute façon, l’engouement est tel que les visites sont pleines à craquer pour les prochains mois. Mais si vous êtes fascinés à ce point…
La Fonderie – la Bruxelloise
Ports, charbonnages, usines textiles: la Belgique regorge de témoignages remarquables. La partie wallonne a même tout un site Web: www.patrimoineindustriel.be. Installée dans la commune de Molenbeek, sur le site de l’ancienne usine de la Compagnie des Bronzes, la Fonderie met à l’honneur les métiers qui ont fait la ville, entre brasserie et imprimerie.
À ne pas manquer. Les expositions temporaires qui viennent dynamiser l’ensemble (jusqu’au 13 octobre, expo photo La gueule de l’emploi). Les visites thématiques à pied ou en bateau pour découvrir le port et le canal de Bruxelles, ou encore l’histoire des mouvements ouvriers.
Plus d’idées sur www.erih.net, le site de la route du tourisme industriel en Europe, ou sur visitworldheritage.com
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