Les derniers Belges

© G. Friedrich, Wikicommons

Sur la carte, vue de haut en bas la Belgique germanophone ressemble à une chenille étirée, à un drapeau (belge) pendouillant ou à un appendice allongé et mince de notre étrange pays – serré entre la frontière d’état belgo-allemande et la frontière linguistique. Mais entièrement belge. Dans le reste du pays, on aime surnommer les quelque 75.000 habitants de Belgique germanophone les « derniers Belges ».

Cette expression renvoie au passé – dans le sens ou les « Cantons de l’Est » (sujet qu’on approfondira, les « Cantons de l’Est » et la « Belgique germanophone » constituant des notions fondamentalement différentes) – n’ont été annexés à notre pays qu’en 1919. Ils sont donc les « derniers ». La notion de « derniers Belges » ne se rapporte donc pas nécessairement à une conviction belgiciste.

La Belgique s’est vue offrir les Cantons de l’Est en cadeau par le Traité de Versailles (1919) clôturant la Première Guerre mondiale. La Belgique se trouvait dans le camp des vainqueurs et avait demandé une importante extension de son territoire en compensation de la souffrance infligée par l’occupation allemande: la Zélande, le Limbourg néerlandais, et le (futur) Grand-Duché de Luxembourg, territoires que la jeune Belgique avait perdus après une invasion de l’armée hollandaise et les ingérences des grands de l’époque : l’Angleterre, la Prusse et la Russie. Ces mêmes grands – avec la France à l’honneur rétablie en plus et la Prusse vaincue en moins – ne désiraient pas punir les Pays-Bas restés neutres et estimaient les exigences belges exagérées. Ils ont alors proposé un lot de compensation que personne n’avait demandé : les « Cantons de l’Est ». D’après ce qu’on dit, vu qu’il n’existe aucune preuve concluante de cette thèse, pendant les années après Versailles, les gouvernements belges successifs ont tenté de se débarrasser des Cantons de l’Est – ou Neubelgien, une dénomination qui n’a pas été gardée à terme, mais sans succès.

Ces Cantons de l’Est auraient dû s’appeler « Cantons de l’Ouest » étant donné que les cantons d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith (qui à l’époque faisait partie du canton de Malmedy) étaient situés par définition à l’extrême ouest de ce qui s’appelait encore la Prusse. Excepté leur situation, les trois cantons n’avaient pas grand-chose en commun. Eupen était orientée sur le duché du Limbourg depuis des siècles (et sur Aix), Malmedy sur l’abbaye de Stavelot et sur la principauté de Liège et Sankt-Vith entièrement sur le Grand-Duché de Luxembourg. Ces orientations indiquent du même coup les directions que prendront probablement ces « Cantons de l’Est » en cas de scission de la Belgique.

Malmedy est demeuré non germanisé, malgré la dictature prussienne qui interdisait l’utilisation du français dans la vie publique et les églises, mais ne voyait pas d’inconvénient à l’utilisation du wallon. Le prêtre Nicolas Pietkin a joué un rôle important dans la conservation du wallon et indirectement aussi du français. Le mouvement wallon avait ses petits vicaires, jusqu’en Prusse.

Les cantons d’Eupen et Saint-Vith étaient tout à fait germanisés mais différaient fortement entre eux, jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, le dialecte au nord est proche du haut-allemand alors que celui du sud ressemble davantage au luxembourgeois. Et entre Saint-Vith et Eupen s’étendaient et s’étendent toujours les Hautes Fagnes, situées en grande partie dans la commune de Waimes, le canton de Malmedy, aujourd’hui la Wallonie. En hiver, quand la route à travers les Hautes Fagnes est fermée, les élus du sud doivent faire un détour par Verviers pour arriver à temps au parlement d’Eupen.

Ceci explique la distinction entre les notions « Cantons de l’Est » et « Belgique germanophone ». Les Cantons de l’Est sont les trois cantons offerts par Versailles à la Belgique : Eupen, Saint-Vith et Malmedy. La Belgique germanophone est apparue lors de la division de notre pays en régions linguistiques, pendant la période 1962-63 et se compose depuis uniquement des cantons Eupen et Saint-Vith. Ensuite, chacune des quatre régions linguistiques a développé des institutions séparées, avec des gouvernements et des parlements. C’est également le cas de la Belgique germanophone.

Avant l’avènement de ces institutions, les Belges germanophones ont beaucoup souffert. Quand la deuxième guerre mondiale a éclaté, Hitler a annexé les Cantons de l »Est (y compris Malmedy) au Reich. Plus de 8.000 jeunes de cette région ont été envoyés sur le front russe, et la moitié n’en est jamais revenue. La guerre, beaucoup plus que la conduite du gouvernement belge, a transformé ces germanophones en Belges, les « derniers Belges » donc.

Guido Fonteyn

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