Les hutongs de Pekin menacés comme jamais

© Reuters

Boutiques, cafés, restaurants, commerces: dans les ruelles anciennes de Pékin, des bâtiments sont murés voire rasés dans la précipitation, au nom d’une soudaine campagne de « rénovation » du patrimoine loin de faire l’unanimité.

Zhang Zhimin tient un magasin de chaussures importées situé en face d’une des rues les plus passantes de la capitale chinoise. Mais dix ans d’efforts pour se constituer une clientèle d’habitués ont été réduits presque à néant en quelques minutes.

Deux jours après avoir reçu un avis de la municipalité, il a vu débarquer des ouvriers avec des brouettes chargées de briques et de ciment, qui ont prestement condamné la porte principale et les fenêtres de son commerce.

Une scène désormais banale dans les venelles pittoresques et trépidantes du centre-ville de Pékin, appelées « hutong » en chinois, et qui sont officiellement un peu plus de 2.500.

La municipalité dit vouloir désormais appliquer strictement les règles d’urbanisme. Elle ambitionne ainsi d’embellir la ville, d’y réduire la surpopulation, criante à Pékin comme dans toutes les grandes villes chinoises, et d’atténuer la pollution de l’air.

Mais pour les critiques, cette campagne jugée malavisée a aussi pour effet collatéral de contribuer à chasser les « migrants », ces modestes provinciaux venus gagner leur vie à Pékin et peu qualifiés, et elle favorise la création d’un centre-ville embourgeoisé, réservé aux classes privilégiées.

« C’est comme sous la Chine des empereurs. Quand vous ne fermiez pas votre magasin, on vous coupait la tête. Pourquoi n’avons-nous même pas été consultés? », s’emporte M. Zhang.

Son commerce peut officiellement rester ouvert via une porte latérale. Mais le nombre de clients a baissé de façon si drastique qu’il dit n’avoir bientôt plus les moyens de payer le loyer et envisage de retourner dans sa région du Guangxi (sud).

Migrants chassés

« A l’avenir, la Chine sera divisée en deux sociétés distinctes. D’un côté, les zones riches, similaires à Tokyo ou New York. Et de l’autre les zones pauvres, semblables à l’Afrique. Mais pour l’empereur, la seule chose importante, c’est que l’endroit où il vit reste agréable », ironise-t-il.

Dans le centre ancien, les autorités ont également démoli ou muré des habitations accusées d’avoir été édifiées sans permis de construire.

Ces bâtiments construits de façon anarchique hébergeaient souvent des migrants: des coiffeurs, patrons de boutiques de nettoyage à sec ou chefs de petits restaurants qui animaient les hutongs d’une certaine cacophonie. La plupart sont aujourd’hui partis.

« Qui occupera désormais les emplois non qualifiés? », peste Wang Liguo, patron d’un magasin de fruits qui cherche désespérément un vendeur.

Dans d’autres rues, des restaurants de sushis, des bars à cocktails et des cafés branchés ayant ouvert ces dernières années aux côtés des traditionnels vendeurs de raviolis ont également vu leurs façades murées.

Cette politique fait partie d’une campagne de 10 milliards de yuans (1,3 milliard d’euros) visant à « restaurer l’aspect initial des hutongs, qui font partie intégrante de la culture traditionnelle », ont indiqué les autorités au journal China Daily.

L’intérêt d’une telle politique fait débat auprès des spécialistes du centre ancien.

Matthew Hu, administrateur du Centre de protection du patrimoine culturel de Pékin, estime lui que les changements vont « dans la bonne direction » pour assurer la sauvegarde des hutongs.

‘C’est hideux’

Il rappelle que 90% de l’espace de ces ruelles anciennes était à l’origine dévolu aux habitations, et non au commerce. Les démolitions et les fermetures sont donc selon lui un « retour à la normale » face aux constructions anarchiques et « pas du tout authentiques » qui sont essaimé ces dernières décennies.

Ce n’est qu’en raison d’un personnel insuffisant que le service municipal chargé de contrôler la conformité des constructions n’a pas réagi plus tôt, ajoute-t-il.

« Dans les hutongs, historiquement, il y a beaucoup de zones grises. Mais cela ne veut pas dire que vous pouvez faire ce que bon vous semble avec votre logement. »

Un responsable du Bureau des affaires culturelles du district pékinois de Dongcheng a cependant déclaré à l’AFP sous couvert d’anonymat que l’abrupte campagne actuelle est le résultat d’un désastreux manque de communication entre services.

« Nous avions effectué un travail de reconnaissance préparatoire durant près de dix ans. Chaque ruelle avait été analysée, photographiée… Mais personne n’est venu nous voir pour consulter cette étude », se désole-t-il. « Ils sont allés faire ce qu’ils voulaient, sans même avoir établi de normes communes. »

Ce responsable assure que son administration est actuellement en train de former les personnes impliquées dans la campagne. Même s’il est peut-être déjà trop tard.

« Le résultat de leur travail est hideux. Même certaines cours intérieures traditionnelles, qui devraient être préservées, ont été murées ».

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