Les trompes des Broto, une tradition musicale menacée (en images)

Un souffleur de Broto de Centrafrique soulève l’épais tronc boursouflé qui lui sert d’instrument et colle sa bouche sur l’extrémité la plus fine: soudain, ses yeux s’écarquillent, ses joues se gonflent et un grondement sourd s’échappe de sa trompe.

« Les gens à Bangui pensent que les Broto sont morts, mais nous sommes là ! » s’exclame Bruno Hogonédé, le président des Ongo-Broto, l’un des derniers orchestres de souffleurs de trompe Broto en Centrafrique.

Menacée depuis plusieurs années déjà, cette tradition musicale de l’ethnie du même nom, les Broto, tend à s’essouffler encore un peu plus depuis la déclenchement de la crise centrafricaine en 2013 marquée par la violence.

Du haut d’une colline de Bambari, ville du centre du pays, commencent à résonner les 14 autres trompes grondant à différents octaves, guidées par le cliquettement sec d’un grelot d’acier.

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Les musiciens, vêtus d’habits en écorce de bois appelées Koundou, accompagnent la mélodie d’un pas chaloupé, faisant vibrer les alikposso, des grelots en feuilles de palmier attachés à leurs chevilles.

Aussitôt, les habitants alentour s’approchent silencieusement, certains esquissent des pas de danse, heureux d’entendre cette musique plutôt que le crépitement des armes.

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En janvier, Bambari a été le théâtre de violents combats. Des affrontements ont opposé les Casques bleus et des éléments de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), l’un des 16 groupes armés qui contrôlent la majorité du territoire.

« On a été pillés, les instruments ont brûlé dans les incendies, on a dû tout refaire » se désole Jean Noël Kilo, l’un des musiciens.

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« Les Broto jouent leur instruments pendant des cérémonies, mariages, fêtes, enterrements… Mais pendant la crise, ils n’ont pas beaucoup été invités », regrette Albert Kotton, directeur du musée Boganda à Bangui consacré aux arts et traditions populaires de ce pays d’Afrique centrale.

Cette année, une seule date de concert est programmée pour les Ondo-Broto. Fin 2019, ils feront résonner leurs trompes sur la scène du centre culturel français à Bangui.

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Pourtant, au début des années 2000, la troupe se produisait jusqu’en France ou en Algérie. Mais depuis, les occasions se font rare.

– Culte des ancêtres –

A Bambari, après le concert improvisé, Bruno Hogonédé dévale la colline pierreuse qui borde son quartier, et s’arrête subitement devant une souche creuse qui émerge de la latérite.

« Cette racine, on l’appelle Opo. Les trompes sont créées par les termites, elles creusent les trous dedans », explique-t-il.

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« Ce qui me plait, c’est que ce sont nos ancêtres qui nous ont enseignés cela », souligne-t-il. « Et moi aussi j’ai pris des enfants pour leur enseigner à leur tour ».

A l’époque, les jeunes garçons apprenaient cet instrument pendant leur initiation car cette musique est originellement liée au culte des ancêtres.

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Les sons polyphoniques suivent une partition d’une extrême précision rythmique. Un art transmis de génération en génération de Broto.

Mais aujourd’hui, seul la pratique de l’instrument est enseignée aux plus jeunes, les rites qui l’entouraient ayant disparu.

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Gardien de cette tradition, M. Hogonédé est par exemple incapable d’expliquer quelle fonction précise pouvait bien avoir cet instrument chez ses ancêtres.

A Bangui, Albert Kotton, directeur du musée Boganda, est bien conscient du problème: « Ca se perd doucement. Ce que les ancêtres faisaient auparavant, ce n’est pas ce que font les jeunes aujourd’hui ».

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« Nous avons sauvé quelques bandes magnétiques d’enregistrement » des trompes réalisés il y a plusieurs décennies par l’ethnomusicologue israélien Simha Arom, spécialiste des musiques d’Afrique centrale, assure M. Kotton.

Simha Arom expliquait alors: « même lorsque tout paraît oublié, un seul musicien qui se souviendrait d’un répertoire peut, à lui seul, réactiver la mémoire collective ».

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