Mieux que le luxe: le Palace !

Le mythique Byblos de Saint-Tropez, dont des stars comme Michel Polnareff, Brigitte Bardot, Jack Nicholson et Cher ont fait la renommée. © DR
Nicolas Balmet
Nicolas Balmet Journaliste

Bienvenue dans l’antre de ces hôtels de très haut standing qui surclassent la catégorie 5-étoiles. Grâce à quoi ? Des services, un cadre, des codes et une gastronomie qui ne se contentent pas de toucher à l’excellence : ils la subliment.

En mai 1899, lorsque l’Elysée Palace ouvre ses portes à Paris, la haute société se presse pour tester le confort de l’un des premiers hôtels de voyageurs du continent. Derrière ses façades Art nouveau, le lieu – bâti pour accueillir les visiteurs les plus fortunés de l’Exposition universelle de 1900 – régale ses clients : studio photo, boutiques prestigieuses, galerie d’art et même agence théâtrale s’invitent dans le décor. Pour l’anecdote, l’espionne Mata Hari passera là sa dernière nuit dans un lit douillet, avant que les autorités ne viennent l’arrêter dans la chambre n°113. C’est également l’établissement qui, en France, sous la patte d’un businessman… british, imagina une architecture intérieure prenant pour coeur un immense hall d’accueil et de vie, dont tous les grands hôtels s’inspireront ensuite.

Un palace, c’est à la fois une histoire et une atmosphère.

Cette adresse mondaine des Champs-Elysées – aujourd’hui transformée en banque – fit résonner le mot  » palace  » dans les esprits. Et vit inscrire la France dans la très courte liste des pays qui savaient recevoir. Les Britanniques furent les premiers à en redemander, au début d’un xxe siècle qui, grâce au vent de la révolution industrielle et d’un tourisme encore naissant, leur donnait des envies de grandes vies. De Paris à la Côte d’Azur, les hôtels de luxe se mirent à s’imposer des règles de confort inédites, et à prendre les noms de ceux qui les faisaient bâtir pour leurs escales balnéaires en terre hexagonale, à l’instar du royal et fringuant George v parisien – toujours en activité et considéré comme un exemple d’excellence  » à la française « . Les élites américaines, débarquées des paquebots transatlantiques, ont alors décidé de se joindre à l’euphorie de cette hôtellerie aussi particulière que renommée, obligeant les établissements à redoubler d’effort en matière de raffinement.  » C’est précisément ce qu’incarnent les palaces aujourd’hui, nous confie Andrea Gerl, responsable des relations clients du Byblos de Saint-Tropez. A savoir une histoire et une atmosphère.  »

Grande distinction

Le Gotha européen et les têtes couronnées, hôtes principaux de ces résidences fastueuses, y ont écrit de nombreuses histoires, sans savoir qu’elles traverseraient le temps. Ainsi, quand Napoléon iii, la Reine Victoria ou même Sissi débarquent à Biarritz pour poser leurs valises dans l’Hôtel du Palais, ils ignorent que le lieu, un siècle et demi plus tard, recevra une authentique  » distinction palace  » de la part de l’agence touristique française Atout France. Nous sommes en 2010, et nous venons de brûler volontairement quelques époques, car la philosophie est restée intacte : séduire une clientèle aisée et exigeante, à coups d’endroits élégants dont chaque invité doit se sentir unique. Si le décor et l’ambiance n’ont pas changé, le tourisme est entre-temps devenu l’affaire de toutes les classes sociales. Il a évolué d’une telle façon que, désormais, l’hôtellerie se permet tout, et parfois n’importe quoi, pour séduire les masses. Il a brouillé les pistes, vendu son âme à des mastodontes du profit et distribué des étoiles à tout-va… L’élégance aurait pu y perdre des plumes, mais le passé a eu le bon goût de réagir. En remettant les palaces au goût du jour.

La Mamounia, ou le charme arabo-andalou.
La Mamounia, ou le charme arabo-andalou.© Alan Keohane alan@still-images

La reconnaissance du  » palace  » a donc été officialisée en France en novembre 2010, via un arrêté permettant aux établissements de luxe de présenter leur candidature. Dans les premiers mois, seuls douze d’entre eux furent retenus et auréolés du label. Aujourd’hui, ils sont vingt-trois à figurer dans ce cercle ultraprivilégié. Il faut savoir que l’Hexagone est le seul pays à avoir imaginé cette classification, que le titre est réservé aux 5-étoiles, et qu’il n’est acquis que pour une durée de cinq ans – même s’il peut évidemment être prolongé. Précisons aussi que chaque palace doit présenter un caractère unique et exceptionnel. Autrement dit, il ne peut en aucun cas s’agir d’un groupe hôtelier ayant façonné des copies ou des imitations de sa demeure en d’autres lieux du globe. Quant aux  » règles  » qui permettent de décrocher le sésame, elles sont tellement nombreuses que nous avons préféré aller nous-même les découvrir, en nous promenant dans quelques-uns de ces endroits mythiques pour en palper l’atmosphère et en relever les détails qui comptent… Parce que dans le fond, ce sont justement ces petites choses, et rien d’autre, qui font toute la différence.

Byblos, de l’amour au glamour

Dès que l’on entre dans le Byblos de Saint-Tropez, bâti il y a pile cinquante ans par un hôtelier libanais qui désirait séduire Brigitte Bardot en lui en mettant plein la vue, le charme opère. A deux pas de la place des Lices, ce membre emblématique de l’association The Leading Hotels of the World se traverse à coups de  » bonjour  » lancés par un personnel trié sur le volet. C’est la base même pour accéder au statut de palace : sourire et bienveillance à tous les étages. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la décoration est sobre. On a l’impression de pénétrer dans un petit village, avec des murs colorés, des fontaines, des fleurs et des pavés, qui dominent une piscine extérieure où l’on peut se baigner, une bouteille de champagne à la main. Le calme règne dans une atmosphère mi-tropézienne, mi-phénicienne. Difficile d’imaginer que des stars par dizaines ont ici passé des nuits folles, de Jack Nicholson à Bruce Willis, en passant par Novak Djokovic, Cher, Mick Jagger (qui y a fêté son mariage avec Bianca Moreno en 1971), Mireille Darc ou, bien sûr, le mythe Bardot, ces deux dernières étant les marraines du lieu.

Qui dit  » palace  » dit évidemment confort. C’est le cas dans les 41 chambres comme dans les 50 suites, dont la décoration intérieure – différente dans chaque entité – est supervisée par les propriétaires eux-mêmes. Et c’est évidemment vrai pour la villa La Capilla, écrin de quiétude – avec piscine privée – posé à quelques kilomètres de l’hôtel, près de la plage, que l’on peut réserver en bénéficiant de tous les services  » classiques  » du Byblos. Un cuisinier à domicile, par exemple. Ou la location d’un yacht ou d’un hélico. L’accès au spa signé Sisley, bien sûr. Mais surtout l’incontournable conciergerie – reconnue par la prestigieuse association Les Clefs d’Or -, dont chaque client peut bénéficier 24 heures sur 24. C’est le dénommé Giuseppe, ici, qui en possède le trousseau depuis de nombreuses années :  » Ma fonction, c’est de répondre aux demandes, même les plus folles, mais aussi de les anticiper, et même de surprendre des clients qui, avec le temps, sont devenus de plus en plus exigeants.  » Inutile de dire qu’à Saint-Tropez, il faut accepter le sens de l’expression  » imagination débordante  » (lire par ailleurs).

Le très inspiré restaurant du Byblos, alias le Rivea, à la nuit tombée.
Le très inspiré restaurant du Byblos, alias le Rivea, à la nuit tombée.

Redessinées cette année à l’occasion des 50 ans du Byblos, les fameuses Caves du Roy – peut-être la discothèque la plus courue et la plus chic d’Europe – font discrètement partie du décor. Mais elles ne constituent pas un critère en soi pour les membres du jury chargé de décerner les pastilles  » palace « . Beaucoup plus déterminant pour faire pencher la balance : la gastronomie du Rivea, un restaurant signé Alain Ducasse où officie aujourd’hui le chef Vincent Maillard. Le raffinement méditerranéen assiège là des assiettes simples mais gourmandes, façonnées par les produits de saison, le terroir et la pêche locale. Le tout dans une ambiance feutrée qui se prolonge sous les lanternes d’une terrasse à 200 couverts. Le petit plus ? Des cours de cuisine donnés par le chef en personne, derrière ses pianos…

Profession : expert en rêves

Présent dans chaque palace, le concierge est celui qui peut tout obtenir, ou presque, grâce à un carnet d’adresses bien rempli, et une excellente connaissance de ses clients. Jacky (photo), qui officie à La Réserve Ramatuelle, peut dégotter  » telle ou telle marque de cigare, à n’importe quelle heure de la nuit « . Un jour, quelqu’un a émis l’idée d’organiser  » un lâcher de feux d’artifice depuis un bateau, pour une demande en mariage.  » Il a trouvé les moyens de mettre le projet en oeuvre. Une autre fois, un homme lui a simplement demandé de l’aider à rédiger une déclaration d’amour, car il ne trouvait pas les mots. Parfois, ce sont les choses simples qui sont les plus compliquées à réaliser.  » Mais je relève chaque défi, sourit Jacky. Du moins, si on reste dans un cadre légal. Pas question de drogue ou de  » deuxième oreiller « , expression camouflée pour parler de prostitution « .

Même son de cloche chez Giuseppe, au Byblos.  » Souvent, les clients ont des requêtes très basiques : conseils pour un coiffeur, une boutique, des fleurs ou un bateau. Mais c’est vrai que, parfois, Saint-Tropez oblige, j’ai droit à des demandes plus insolites. Réserver une rame entière de TGV, voire obtenir une table dans un restaurant qui affiche complet… Le challenge est constant, même s’il suffit parfois de remplir une baignoire de pétales de fleurs pour satisfaire une envie.  »

La technologie est aujourd’hui d’un précieux secours :  » Mais Internet ne fait pas tout, précise encore le concierge. Car souvent, les clients cherchent de l’authenticité, notamment lorsqu’ils veulent organiser des fêtes dans un endroit atypique. On va répondre à l’attente, puis la dépasser en apportant un supplément d’âme. On sait que l’on a souvent affaire à des gens qui peuvent tout se payer ou qui pensent avoir tout vu. Notre rôle est de les surprendre. C’est un travail d’artisan, car il est invisible et il s’évapore très vite. Mais quand le client est ravi au point de nous remercier par un cadeau, on comprend qu’on fait un métier fascinant… « 

La Réserve, ou la prestance du décor

Mieux que le luxe: le Palace !
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Même région, mais ambiance très différente : La Réserve Ramatuelle, distinguée en 2012, soit moins de dix ans après son inauguration, répond à l’un des autres critères nécessaires pour se transformer en palace. A savoir : un cadre exceptionnel. Planté à quelques dizaines de mètres de la mer, dans un décor verdoyant où règne le silence du large, l’endroit a très vite convaincu Karl Lagerfeld d’y louer une villa à l’année. Mais ici, contrairement à Saint-Tropez, même les clients  » célèbres  » sont en quête de repos et, donc, de discrétion. Et si l’hôtel, au même titre que la Réserve de Paris, a réussi à séduire le jury hôtelier le plus exigeant de France, c’est notamment parce qu’il refuse le faste et les paillettes. Le luxe, ici, se trouve dans les lignes claires des bâtiments, le design sobre mais moderne des magnifiques chambres avec vue, l’extrême disponibilité du personnel, et les pièces baignées de lumière qui se déploient de l’entrée au restaurant.  » Nous avons une vision très simple du luxe, explique Véronique Grange, directrice adjointe de l’hôtel. Un jour, nous avons reçu une famille très riche d’Arabie saoudite, et ça ne s’est pas très bien passé, car nous n’avions rien d’ostentatoire à leur montrer. Ce n’est pas dans notre ADN. On reçoit des hommes politiques, des sportifs ou des businessmans qui aiment à la fois l’intimité et l’exclusivité. Si on a obtenu la distinction palace, je crois que c’est justement parce qu’on a pris cette position d’offrir une atmosphère, un ressenti et un supplément d’âme par rapport aux autres 5-étoiles.  »

Et de fait, ici, c’est le haut standing en version cool. Un confort de chambre, où le lit est planté face à une baie vitrée s’ouvrant sur les eaux de la Méditerranée. Un room-service disponible à toute heure du jour ou de la nuit. Cette sensation d’être dorloté quand vient le soir et que, comme par magie, la suite s’est dotée de lumières tamisées, les pantoufles prêtes. Un spa avec des produits signés La Mer et Nescence, qui propose des marches nordiques, des menus détox ou même de l’ostéopathie. Sans oublier un  » concierge  » en hyper-écoute qui, lui aussi, se plie en quatre dans la discrétion la plus totale, secondé d’un ordinateur, deux tablettes et trois téléphones (lire par ailleurs). A l’extérieur, les voituriers – oubliez le mot  » groom « , on nous a juré qu’il était dépassé – ne laissent aucune feuille voler sur le parking, proposant des petites bouteilles d’eau à chaque client prêt à partir en balade. A l’intérieur, on nous explique que le fameux  » dress code  » n’est pas vraiment en vigueur :  » Nous recevons des gens qui portent déjà un costume toute l’année, donc ils ont évidemment le droit de se promener en short dans l’hôtel, du moment que la tenue est correcte au restaurant en soirée. J’insiste : ici, on veut que chaque client – star ou non – se sente bien. C’est aussi pour cela que le prix de nos chambres comprend tout : il n’y a pas de supplément parking, et l’accès au mini-bar est à volonté… « , précise Véronique Grange.

Et ailleurs ?

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La plupart des autres palaces subliment l’art de l’hôtellerie du côté de Paris. Le Shangri-La, qui offre des vues sur la tour Eiffel et la Seine, déploie 35 suites et trois restaurants. Le Royal Monceau, rénové en 2010 par un certain Philippe Starck, possède sa propre salle de cinéma et a été choisi par Polnareff pour enregistrer, à la fin des années 80, son album Kâmâ Sutrâ et le célèbre Goodbye Marilou. Le Meurice, dont l’ambiance se souvient du xviiie siècle et où Dalí comme Richard Burton, plus tard, ont laissé leur empreinte, est un joyau de charme à l’ancienne. Bien sûr, on en passe. C’est précisément ce que l’on disait : la force des palaces réside dans le fait qu’aucun ne ressemble à un autre. Chacun possède ses histoires, son ambiance, ses codes et ses manières d’envoûter ses visiteurs.

Mieux que le luxe: le Palace !
© sdp

Curieusement, la distinction  » palace  » n’a, jusqu’ici, pas encore dépassé les frontières de la France. Il ne faut pourtant pas aller très loin pour trouver des établissements qui en mériteraient largement le titre. En Grande-Bretagne, où l’on connaît par coeur les lois du savoir-recevoir, le magnifique Corinthia de Londres a vu défiler Rihanna, Johnny Depp ou Meryl Streep sous ses plafonds immenses et ses pièces fleuries mêlant le contemporain à l’agréable. Dans ses chambres, du tapis moelleux, un sol chauffant dans la salle de bains et une literie qui est exactement celle choisie par… la reine d’Angleterre. Changement de continent. A peine quelques heures d’avion plus au sud, au Maroc, c’est La Mamounia qui pourrait, sans forcer, revendiquer le blason : à travers chaque pièce de ce havre d’élégance aux formes arabo-andalouses, le visiteur est happé par un décor qui sent bon l’encens, le hammam, la fleur d’oranger et le repos de ceux qui ont vécu mille et une nuits.  » Chaque palace doit donner l’impression à ses hôtes de vivre un instant rare « , stipule implicitement la charte de ceux qui délivrent la distinction. Même si le prix peut ralentir l’envie, l’expérience inouïe est garantie. Parce que, de fait, dans chacun de ces lieux, on a cette curieuse sensation de marcher sur du velours sans se sentir contraint de s’essuyer les pieds…

Un palace à Bruxelles ?

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L’idée vient du groupe hôtelier maltais Corinthia : offrir à notre capitale un hôtel 5-étoiles à l’atmosphère  » palace « , à la fois tourné vers le passé et la modernité. L’endroit choisi, à lui seul, est emblématique : l’ancien bâtiment de l’Astoria, au centre-ville, sur la rue Royale. A l’heure qu’il est, les travaux débutent à peine, supervisés par l’atelier d’architecture de Francis Metzger – qui avait notamment refaçonné la Villa Empain. Ce dernier raconte :  » L’idée est de conserver l’âme d’antan, notamment au niveau de la façade (restaurée) et de nombreux éléments intérieurs d’époque. C’est une renaissance, en quelque sorte.  » Parmi les éléments phares du décor, on trouvera une immense verrière en guise de plafond du hall principal. Elle était déjà présente à l’époque, comme en témoignent les photos retrouvées.  » Nous allons la reproduire, mais en l’agrandissant.  » Un travail d’orfèvre, qui embellira un projet à 80 millions d’euros dont les autres atouts se comptent par dizaines. Deux restaurants (aux influences culinaires encore à définir), vingt-quatre suites avec terrasse, un café, un fleuriste et un chocolatier avec pignon sur rue, mais aussi une salle de bal, et même un spa (à Bruxelles, ils se comptent sur les doigts de très peu de mains).  » Ce sera tout simplement l’hôtel le plus beau et le plus prestigieux de Bruxelles « , se vante-t-on du côté de Corinthia. Rendez-vous en 2019 pour l’inauguration… et le verdict.

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