Milan: Ville ouverte

À Milan, le printemps arrive la nuit. On le sent avant qu’il ne soit là, il fait soupirer dans le sommeil et invite les chats dans la rue. Au matin, on se réveille avec l’envie d’aller prendre son premier café sur les Navigli – les canaux -, d’attraper au vol un vieux tramway orange brinquebalant au lieu de s’engouffrer dans le métro et d’aller traîner, nez en l’air, à la recherche des premiers bourgeons sur les tilleuls, l’arbre milanais par excellence.

Pourtant la ville est égale à elle-même, un peu survoltée, un peu embouteillée – moins que par le passé depuis le décret qui interdit l’accès du centre historique aux voitures sans autorisation -, un peu grise. Froide, dit-on. Et il est vrai que, comparé à Rome la rose, la cramoisie, capitale d’une Italie du coeur, Milan, tout bleuté dans ses vapeurs du Nord, est intellectuel, sévère, carré. Il suffit cependant de s’asseoir deux jours d’affilée dans le même café pour que, dès le second, on vous demande avec le sourire si dans votre cappuccino, ce matin, vous désirez beaucoup de mousse, comme hier. Milan, c’est comme ça : un brouillard qui se déchire doucement entre les dentelles du Duomo, tamisant les bruits et les couleurs, et qui révèle tout à coup le bleu du ciel.

Milan romantique ? Oui. Milan des baci à l’arrière d’un taxi, des promenades main dans la main en léchant les vitrines clinquantes du corso Como, des dîners aux bougies dans les restaurants réchauffés par des cheminées de la via Tortona, des tables en bois dans les jardins enchantés de Porta Genova, des librairies débordant sur les trottoirs des Navigli, des palais du XIXe siècle aux façades ocre et or dans les larges rues ordonnées du centre-ville, des ruelles charmantes du quartier de Brera, semées de magasins vieillots, presque vrais. Et encore la piazza Castello dans la brume du matin, avec les zincs déserts et les réverbères qui s’éteignent, le château des Sforza, symbole du pouvoir des ducs, sombre et rempli de mystères, la galerie Victor Emmanuel II, tout en coupoles lumineuses de verre et fer forgé – premier exemple d’Art nouveau en Italie -, la place de la Scala, où des petites filles rêvent d’emprunter les chaussures à talons de maman et son collier de perles pour entrer, un soir étincelant, à la première, comme on rêvait autrefois du bal des débutantes.

Chronique d’un amour

Il est vrai que la ville a beaucoup changé. Port très actif dans les années 60, avec la « zone » des prostituées, des artistes et des anarchistes – c’est au café Ligera, près des Navigli, que l’on cueillit Giuseppe Pinelli en train de jouer aux cartes et qu’on l’emmena au commissariat pour l’attentat à la bombe de la piazza Fontana, auquel il était totalement étranger ; Pinelli « tomba » alors d’une fenêtre du commissariat, et sa mort entraîna avec elle une certaine Italie. Ce fut le début de cette monstruosité que l’on appela le Gladio (glaive), ou stratégie de la tension, et qui déboucha sur les terribles années de plomb. Cette ville-là n’existe plus, même si l’on peut encore en deviner les contours dans les chefs-d’oeuvre en noir et blanc de Luchino Visconti, Vittorio De Sica ou Michelangelo Antonioni. Rocco et ses frères, Miracle à Milan et Chronique d’un amour parlent d’un pays disparu mais pourtant si présent dans la mémoire, si vivant, que dans l’imaginaire collectif il reste superposé au pays d’aujourd’hui.

Déjà, les temps glissent vers les années 70 et 80. Devenu capitale économique – notamment avec Milano 2, le reality quartier de Berlusconi – puis centre de l’opération « Mains propres » contre la corruption, et encore  » Milano da bere « , slogan bon à tout faire qui décrivait en trois mots la ville croulant sous l’argent, la drogue des VIP et les paillettes de la mode, Milan a mué. Bien sûr, il y a une Ligue du Nord insupportable de vulgarité. Bien sûr, l’immigration massive – extracommunautaires, mais aussi Italiens du Sud – a créé des problèmes de racisme ordinaire et d’intégration. Bien sûr, la ville affronte tous les jours la réalité d’un monde qui change autour d’elle et avec elle. Mais c’est avec intelligence. Preuve en est l’élection du nouveau maire, Giuliano Pisapia, en mai 2011, signe avant-coureur que le règne de ce président du Conseil qui a tant desservi l’image de l’Italie allait se terminer.

Sous cette surface ondoyante, jamais le vrai coeur de Milan n’a cessé de battre. Sa vérité est celle de ses habitants, des fleurs aux fenêtres et des lierres débordant des balcons. Sa sincérité est celle de ces Milanais travailleurs, actifs, parfois arrogants parce que harassés, mais toujours courtois, habillés avec goût, et orgueilleux. Insolents, les Milanais ? Oui. Hautains ? Souvent.

C’est en creusant dans ses contradictions, ses fastes et ses crimes, son histoire et son cinéma, sa littérature et son architecture que l’on arrive à s’approprier cette ville. C’est dans ses adresses de charme – son design, sa mode, son style, connus dans le monde entier – qu’elle se renouvelle et qu’elle éblouit, comme à l’Excelsior, le nouveau store conçu par le starchitecte français Jean Nouvel, un espace de 4 000 mètres carrés dans un volume unique de sept niveaux, ou dans le petit hôtel Armani, des murs d’une beauté sophistiquée, fluide, sobre, si italienne. Si milanaise.

Milan, c’est comme un coup de foudre : on ne sait pas si ce qui nous ravit d’abord chez l’autre, ce sont ses qualités ou ses défauts, ses vertus ou ses vices, ses éclats de rire ou sa mélancolie. Plus que pour ses lumières, c’est pour ses zones d’ombre que l’on tombe amoureux de Milan.

S.G.

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