Fini, le temps où le voyage en solo était une sorte de pénitence, lot de consolation des personnes qui n’avaient trouvé personne pour les accompagner en vacances. Plus populaire que jamais, la tendance n’en finit pas de conquérir les explorateurs en herbe, qui laissent parfois même partenaires et amis de côté pour pouvoir s’y adonner.
Cela fait belle lurette que la jeunesse intrépide s’aventure à l’étranger en quête d’édification et d’excitation. En 1608, Thomas Coryat, un Anglais parfois qualifié de « premier routard du monde », s’était ainsi embarqué pour un grand tour d’Europe. Sans amis et à pied, il avait découvert des mets étrangers (« grenouilles utilisées comme nourriture ») et de nouvelles technologies (« fourchettes utilisées pour l’alimentation ») lors de son voyage en solo.
Quatre siècles plus tard, les nomades se déplacent plus vite et plus loin que lui, car les vols bon marché et les téléphones portables ont simplifié les choses. Pourtant, nombreux sont ceux qui suivent son exemple. Au cours de la dernière décennie, les recherches sur Google concernant le « voyage en solo » ont plus que doublé. Et en Grande-Bretagne, la proportion de voyageurs partant seuls en vacances a presque triplé, selon l’Association of British Travel Agents, passant de 6 % en 2011 à 17 % en 2024.
Pourquoi tant de gens voyagent-ils seuls? Tout comme les « grands tours » sont devenus un rite de passage pour les jeunes nobles d’hier, les voyages en solitaire aujourd’hui visent moins à découvrir des endroits lointains qu’à se découvrir soi-même. Le groupe hôtelier Hilton appelle même cette tendance le « me-mooning » (par opposition à « honeymooning », la lune de miel). Et les blogueurs de voyage attestent qu’en solitaire sur les plages de sable blanc de Bali ou de Belize, on peut « devenir une version plus vraie de soi-même ».
Le voyage en solo, une affaire de femmes?
Ceux qui ne se cherchent pas eux-mêmes sont a minima à la recherche d’une aventure. Les gens « ne voyagent pas pour aller quelque part, mais pour aller », comme l’a dit Robert Louis Stevenson, l’auteur de L’île au trésor. Les voyageurs solitaires décrivent l’excitation de faire ce qu’ils veulent, quand ils le veulent. Des recherches ont montré que la solitude auto-imposée peut stimuler la créativité et le bien-être.
Plutôt que de rester avec les copains qu’ils ont, beaucoup voyagent seuls aussi pour rencontrer de nouveaux amis et amants. L’isolement de la pandémie a rendu les gens « plus ouverts » à l’itinérance avec des étrangers, explique Lee Thompson de Flash Pack, un voyagiste. L’entreprise, dont le slogan est « Arriver en solo, repartir en amis », accepte aujourd’hui deux fois plus de réservations qu’avant le covid-19.
Les millennials et la génération Z sont particulièrement friands de voyages: ils y consacrent une part plus importante de leurs revenus que leurs aînés, selon le cabinet de conseil McKinsey. Nombre d’entre eux reportent leur mariage et la naissance de leurs enfants, ce qui leur donne la possibilité de partir en escapade quand bon leur semble. Sur TikTok, les influenceurs prêchent les vertus des excursions indépendantes: « N’attendez plus que quelqu’un vous rejoigne ».
Les femmes, en particulier, adhèrent à ce mantra: selon une estimation, 84 % des voyageurs en solo sont des femmes. Il y a un siècle, les livres d’étiquette recommandaient aux femmes de ne pas voyager sans chaperon masculin; aujourd’hui, beaucoup disent qu’elles n’ont pas peur de voyager sans être accompagnées (bien que des conseils de sécurité soient facilement disponibles en ligne). Tout comme Coryat il y a 400 ans, les femmes d’aujourd’hui ont les moyens et le temps de suivre leurs pas.