Vacances en famille : on a testé la croisière sans permis sur le Canal du Midi
Trois jours sur le canal du Midi, en plein Minervois, avec un bateau à piloter sans permis. Ne rien faire d’autre que contempler les vignes et villages, et tenter de dompter l’engin qui cabote au fil de l’eau. Quatorze écluses plus tard, la famille est conquise. Déconnexion garantie avec la clapotis thérapie.
Il ne faut pas se mentir, quand le jour J du départ pour cette escapade sur le canal du Midi est arrivé, nous avons commencé à douter. C’est que même si les sociétés qui louent des bateaux sur cette voie navigable mythique se veulent apaisantes, prendre en main une embarcation de 13 mètres de longueur n’est pas de tout repos. Il y a le cap à garder, les écluses à passer, l’amarrage nocturne à gérer, le ravitaillement en eau et électricité à ne pas négliger, et puis l’espace restreint, en famille, à partager équitablement.
Mais l’impatience de pouvoir découvrir sous un autre angle l’ouvrage d’ingénierie génial, construit au XVIIe siècle par Pierre-Paul Riquet, a vite eu raison de nos réticences. Quand on y pense, à une époque où les chantiers se faisaient encore en grande partie manuellement, imaginer creuser un parcours reliant Toulouse à Sète, soit 240 km, était presque de l’ordre de l’utopie.
L’idée était de permettre aux marchandises, notamment le blé, de passer de la Méditerranée à l’Atlantique sans contourner la péninsule ibérique, la Garonne étant alors navigable de Toulouse à Bordeaux. De quoi assurer une belle prospérité au sud de l’Hexagone. Si, aujourd’hui, l’œuvre inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco est surtout arpentée par des plaisanciers, la qualité constructive de ses écluses, pont-canaux, aqueducs – et même un tunnel de plus de 170 mètres – reste impressionnante.
Capitaine ad hoc
C’est armés de ces quelques rudiments historiques que nous rejoignons le paisible port de Homps, en une journée ensoleillée, afin de prendre possession du Royal Mystic – le pompeux nom du fidèle destrier qui nous a été attribué par la société Le Boat – afin de partir à la conquête des flots. Deux cabines avec mini salle de bains attenante et eau chaude, une cuisine bien équipée et un pont supérieur avec plancha… Plutôt confortable, comme aventure.
Le temps de hisser les vélos à bord et de caser les valises, nous prenons déjà un cours de pilotage en accéléré. «La semaine dernière, une dame a eu les doigts coupés en attachant mal le cordage lors d’un passage d’écluse», avertit l’instructeur. Nous voilà rassurés…
Quelques manœuvres tests plus tard, on nous abandonne à notre heureux sort. Nous sommes parés pour larguer les amarres. Après une première nuit agréable à quai, nous quittons Homps, ses 700 habitants, ses restaurants désuets sur les berges et son joli lac de Jouarre où l’on peut se baigner – ce qui n’est pas le cas du canal. Direction Le Somail, à 20 km de là.
Trois jours pour faire l’aller-retour, pour sûr on ne doit pas se presser. Et heureusement, car nous nous rendons très vite compte qu’à la barre, la navigation nécessite quand même quelques essais-erreurs. Pas si facile que ça d’avancer en ligne droite. Le premier petit pont en pierre à passer – en baissant le tête – est déjà une épopée en soi.
Éclusez-moi!
Quelques minutes plus tard, une écluse se présente à l’horizon. Vu la sécheresse, plusieurs bateaux doivent idéalement passer en même temps. Il faut donc patienter pour attendre d’autres équipages avec qui partager le bac. Le canal du Midi impose d’entrée de jeu son rythme lent et délassant.
L’instant parfait pour discuter avec l’éclusier, plutôt loquace quand il s’agit de déplorer l’envahissement du site par les touristes et la nécessité pour tous de respecter la nature, les règles de passages fixées par lui et ses confrères et consœurs, la vitesse de 8 km/h autorisée, voire moins à l’approche des villages et ports… «Sinon, on va finir par devoir restreindre la navigation», prévient-il.
La lourde porte métallique s’ouvre enfin, libérant l’accès au bassin supérieur. Chaque membre de la famille est à son poste pour manœuvrer ou attacher les cordes durant la descente. L’opération est périlleuse et il faut garder sa concentration pour éviter l’accident. Mais ce petit temps d’action intense – une quinzaine de minutes – bouscule notre torpeur méridionale. Les enfants adorent, et nous aussi.
Au total, le canal compte soixante-trois de ces ouvrages qui, contrairement à ce que l’on pense, n’ont pas été inventés par Léonard de Vinci mais bien avant. La plupart ont des parois latérales de forme ovoïde afin de mieux retenir les terres lorsque le sas est vide. Aujourd’hui, ils sont électrisés et parfois même télécommandés. Quand la dénivellation est plus importante, plusieurs écluses s’enchaînent. Le record est détenu par celles de Fonseranes, près de Béziers, où neuf portes et huit bassins ont été érigés pour récupérer les 21,90 mètres entre biefs amont et aval.
Notre parcours ne nous emmènera pas jusque-là cette fois-ci, car nous rebrousserons chemin bien avant. Mais c’est clairement là un attrait touristique majeur de la région. D’ailleurs, il est amusant, quand on est en bateau, de voir le nombre de badauds observant la dextérité des matelots en herbe accomplissant leurs gestes. Chacun y va de ses conseils dans une ambiance très sympathique.
Les villages sur les rivages
Quelques écluses plus tard, nous atteignons Argens-Minervois, bucolique petit patelin et son château du XIVe siècle ; puis Roubia et son moulin oléicole de la Restanque tenu par Laurent et Magali. L’occasion de faire le plein d’huile et de purées d’olives pour l’apéro. Les bicyclettes s’avèrent salvatrices pour quitter le navire et faire des sauts de puce vers toutes ces petites curiosités locales.
Notre coup de cœur du jour va à la localité de Paraza: amarrage facile à de jolis pontons réaménagés et balade à deux roues au cœur des vignes du Minervois… C’est dans le château du XVIIe de cette bourgade qu’a séjourné Pierre-Paul Riquet lorsque son pont- canal du Répudre, le plus ancien de France et réputé pour être le deuxième dans le monde, a été mis en eau. Nous profitons de la halte pour faire un tour à la friperie plutôt branchée Showroom16, qu’on ne s’attend pas du tout à trouver ici, et pour prendre un jus de fruits bien frais à la terrasse du Bord de l’Eau, avant de reprendre le chemin.
Il reste encore quelques kilomètres à avaler avant le coucher de soleil. Celui-ci frappe d’ailleurs plutôt fort en cette fin d’après-midi. Car le canal n’est plus à l’ombre depuis que plus de 65% des dizaines de milliers de platanes qui le bordaient ont été abattus. La faute à un champignon microscopique, le chancre coloré, qui proliférait sur les berges. Des arbrisseaux ont été replantés mais ils sont encore bien frêles.
Paradis sur canal
Notre arrivons vers 17 h 30 au Somail, hameau qu’on nous a décrit comme l’un des plus beaux traversés par le canal du Midi.
Dès qu’il pointe à l’horizon, le charme agit. Son pont ancien où quelques passants prennent la pose, ses terrasses qui se mirent dans l’eau, sa péniche-épicerie et, surtout, son incroyable bouquiniste, Le Trouve-Tout du Livre…
Derrière une petite façade qui ne paie pas de mine, sous une grande charpente en bois, ce dernier expose plus de 50 000 bouquins, dont des pépites anciennes et rares. Il a vu le jour à Paris, en 1960, avant que ses tenanciers, la famille Gourgues, choisissent d’aller couler des jours heureux dans l’Aude, dans ce petit paradis hors du temps.
Dans ce petit village construit juste après la finalisation du canal pour servir de lieu d’amarrage et de repos aux bateaux postaux joignant Toulouse et Sète, on est déconnecté du monde. Difficile d’imaginer qu’une grande ville comme Narbonne ne se situe qu’à 15 km. Le port de poche étant complet, nous attachons maladroitement notre embarcation dans les herbes hautes, à l’aide de piquets en métal fournis par la société de location.
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Notre stress de savoir si nos nœuds de marins approximatifs tiendront pour la nuit s’évapore, alors que nous savourons quelques spécialités du cru à L’Escale du Somail. La nuit n’est perturbée que par des aboiements au loin… et un bateau qui touche le nôtre en passant, vers 6 heures du matin. Plus de peur que de mal.
Du Somail au bercail
Il est déjà temps de faire demi-tour – manœuvre délicate qui provoquera dans l’équipée un brin de tension – pour rentrer à Homps. Certes, il va falloir repasser par les mêmes points, mais alors que nous craignons la monotonie – les jeunes encore davantage – , nous nous surprenons à découvrir d’autres détails dans le paysage.
Nous scrutons l’eau à la recherche d’un ragondin, nous nous essayons chacun à notre tour à la conduite, qui devient de plus en plus aisée d’heure en heure. Bloqués à une écluse en raison d’un gardien en pause de table, nous faisons griller une viande sur le pont. Les heures s’écoulent lentement, à notre plus grand bonheur.
Alors que nous apercevons finalement Homps et notre premier pont en pierre au loin, nous sommes devenus de parfaits moussaillons. Mais le vent se lève et la manipulation de l’embarcation se complique un peu. Nous réintégrons tant bien que mal notre emplacement dans le port alors qu’un bruit étrange retentit et s’amplifie dans l’habitacle.
Nous cherchons l’origine de ce claquement permanent et nous appelons même un technicien… pour finalement nous rendre compte qu’il s’agit du clapotis des vagues du canal agité venant mourir sur la coque.
Vivre sur l’eau, c’est aussi subir les affres de la météo. Nous avons encore beaucoup à apprendre… La nuit sera un peu moins douce vu le vacarme de ces clapotis incessants, mais nous aurons quand même un pincement au cœur en rendant les clés de notre Royal Mystic le lendemain matin. Certes, nous aurions bien continué vers Béziers ou rejoint Carcassonne – il y a tant d’autres choses à voir le long du canal du Midi –, mais cette courte parenthèse au ralenti et en famille fut vraiment un must dans une vie à cent à l’heure.
En pratique
– Naviguer
Plusieurs sociétés louent des bateaux sans permis, pour des durées allant d’une journée à plusieurs semaines.
– Manger
Le Foudre, à Homps. Des assiettes gourmandes avec des matières premières issues de l’agriculture locale, sur une terrasse ombragée. facebook.com/lefoudrehomps
La Guinguette, à Argens-Minervois. Des petits plats de terroir dans une ambiance bonne franquette du bord de l’eau. laguinguette-restaurant.com
L’Escale du Somail, au Somail. Une terrasse et une grande salle agréable et trendy pour des plats régionaux, avec quelques influences exotiques. facebook.com/lescaledusomail
Plus d’infos
Office de tourisme Corbières Minervois: tourisme-corbieres-minervois.com
Tourisme Occitanie: tourisme-occitanie.com
À voir un peu plus loin
Carcassonne, sa citadelle médiévale aux 52 tours, ses ateliers familiaux pour devenir chevalier, son lac de la Cavayère, son cassoulet même quand il fait 30 °C…
Béziers, son centre-ville aéré et ses boutiques, sa cathédrale Saint-Nazaire, ses halles, ses écluses de Fonseranes…
Narbonne, son quartier historique, son abbaye Sainte-Marie de Fontfroide, ses plages, son restaurant Les Grands Buffets qui propose notamment le plus grand plateau de fromage du monde…
EN PRATIQUE
– Naviguer
Plusieurs sociétés louent des bateaux sans permis, pour des durées allant d’une journée à plusieurs semaines.
– Manger
Le Foudre, à Homps. Des assiettes gourmandes avec des matières premières issues de l’agriculture locale, sur une terrasse ombragée. facebook.com/lefoudrehomps
La Guinguette, à Argens-Minervois. Des petits plats de terroir dans une ambiance bonne franquette du bord de l’eau. laguinguette-restaurant.com
L’Escale du Somail, au Somail. Une terrasse et une grande salle agréable et trendy pour des plats régionaux, avec quelques influences exotiques. facebook.com/lescaledusomail
Plus d’infos
Office de tourisme Corbières Minervois: tourisme-corbieres-minervois.com
Tourisme Occitanie: tourisme-occitanie.com
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