Paris en Seine

Paris Plages fête ses 10 ans cette année. La capitale française continue ainsi de se rapprocher de son fleuve et ambitionne transformer ses quais en lieu de détente, été comme hiver

Par Marion Vignal

Juillet 2002. Les Parisiens croient à un mirage. En lieu et place de la voie express Georges Pompidou, où vrombissent chaque jour près de 40 000 voitures, sont installés des transats, des parasols, des terrains de pétanque. Et des tonnes de sable. Sous les pavés, la plage a enfin émergé. Les Parisiens respirent. Bertrand Delanoë exulte. Paris Plages – référence au Touquet Paris-Plage, première ligne de chemin de fer reliant Paris à la mer -, c’est le projet fou d’un maire originaire de Bizerte, en Tunisie, pour qui vacances égalent plages. Pour ce maire engagé dans un combat contre la pollution, fermer une partie des quais à la circulation automobile, c’est améliorer un peu la qualité de l’air ; y planter des palmiers, c’est offrir un petit bout de rêve à ceux qui ne prennent pas l’autoroute des vacances. Depuis, la carte postale se redessine chaque été. Avec toujours plus de figurants sur la photo. 4 millions en moyenne, dont une majorité de Franciliens, qui viennent lézarder le long de la Seine.  » La première année, nous n’avons trouvé aucun partenaire, se souvient Jean-Christophe Choblet, directeur artistique et créateur de l’opération. On m’a ri au nez, les gens n’y croyaient pas, ils pensaient qu’on allait faire une sorte de Disneyland.  » L’expérience Paris Plages est devenue un modèle de « scénographie urbaine » et a inspiré des villes comme Berlin, New York et bien-sûr Bruxelles, tous engagés dans la reconquête de leurs quais. Pour le directeur artistique, c’est même  » le premier objet temporaire devenu un objet parisien au même titre qu’un monument historique ». Cet  » urbaniste de l’éphémère  » est convaincu que l’espace public est le dernier lieu où créer et inventer de nouveaux scénarios. « À Paris, tout est construit, nous devons imaginer des décors, des installations temporaires, effectuer des tests, proposer et ne pas figer.  »

En toute logique, l’homme a été mis à contribution pour élaborer le projet Berges de Seine, mené par Bertrand Delanoë. Un projet ambitieux, qui ouvre une nouvelle page dans l’histoire de la reconquête de la Seine. À partir de la fin années 60, Paris tourne le dos à son fleuve. La voie rapide – devenue Georges-Pompidou – ouvre en 1967. Les quais deviennent le royaume de la voiture. Cette  » autoroute urbaine  » ne cadre plus avec les ambitions écologiques de la municipalité. Dès l’été 2012, un plan prévoit de fermer ses voies sur la rive gauche, entre Solférino et le pont de l’Alma, sur 2,3 kilomètres. Et d’aménager les quais de la rive droite en boulevard, avec feux tricolores et passages piétons, et une promenade à la hauteur du square de l’Hôtel de Ville jusqu’au port Henri-IV. « En tout, ce sont près de 5 hectares qui vont être reconquis, dans une approche expérimentale, puisque les installations seront légères, adaptées aux usages et démontables en 48 heures en cas d’inondation », explique-t-on à l’Apur (atelier parisien d’urbanisme). Souplesse et sobriété sont les maîtres mots de ce nouveau challenge, déjà critiqué par l’opposition.  » Il ne s’agit pas de bloquer Paris, répète Anne Hidalgo, la première adjointe au maire, mais d’oeuvrer en faveur d’un projet d' »écologie urbaine », tout en valorisant un site (les berges du centre de Paris) inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. « 

LA POSSIBILITE D’UNE ILE

Il n’y a qu’à admirer les photos de Willy Ronis et de Robert Doisneau pour se souvenir que la Seine, il n’y a encore pas si longtemps, était une scène. Un lieu de vie, de rencontres, d’événements. Les Expositions universelles installaient sur ses rives ses pavillons éphémères. Au quai du Point-du-Jour, dans le XVIe arrondissement, on dansait dans des guinguettes. Des nuées de jeunes filles paradaient en maillot de bain, les enfants pataugeaient sous les ponts, les athlètes s’élançaient pour des concours de plongeons devant la tour Eiffel.  » Officiellement, la baignade est interdite dans la Seine depuis 1923, rappelle Eric Fottorino dans l’ouvrage Paris Plages. De 1910 à aujourd’hui (Hoëbeke, 2010). Mais c’est seulement au début des années 60 que les Parisiens y renoncèrent vraiment, découragés par le trafic des péniches et la saleté grandissante ».

La fameuse déclaration de Jacques Chirac, en 1988, alors qu’il brigue un troisième mandat – « Dans cinq ans, on pourra à nouveau se baigner dans la Seine » – est restée une fausse promesse culte. Mais le ciel s’est éclairci. La piscine flottante Joséphine-Baker, installée au pied de la BnF, utilise de l’eau potable captée dans la Seine, puis traitée. Chaque année en juillet, ils sont plusieurs milliers à participer à l’épreuve de natation du triathlon de Paris au beau milieu de la Seine. Munis d’une combinaison, certes, mais avant tout pour cause de température basse et de courant puissant (4 mètres par seconde), selon les organisateurs. Des poissons ont même réapparu, comme la truite. Signe que la Seine n’a plus rien à voir avec les égouts du passé. Elle reste cependant un axe de circulation majeure, à raison de 20 millions de tonnes de marchandises transportées. À l’heure de la lutte antivoiture, on peut s’étonner qu’aucun projet de transport public n’ait pour l’instant abouti. L’expérience Voguéo – des navettes entre la gare d’Austerlitz et Maisons-Alfort – s’arrêtera bientôt, faute de succès. Mais Anne Hidalgo y croit encore. « Le nombre des acteurs à rassembler et le partage du budget posent problème, mais il n’y a pas de raison de ne pas y parvenir. » D’autant que la première adjointe rêve pour la Seine d’un espace avec une vraie continuité, d’Ivry à Boulogne-Billancourt. Là-bas, l’île Seguin, ancienne place forte des usines Renault, renaît peu à peu de ses cendres. En attendant qu’elle devienne « l’île Saint-Louis du XXIe siècle » comme l’a baptisée Patrick Devedjian, président du conseil général des Hauts-de-Seine, Madona Bouglione y installe, dès cet été, son Cirque en chantier (qui laissera ensuite place au Globe, sa « cité du cirque »). Le chef Arnaud Daguin échafaude, pour l’occasion, un restaurant éphémère dans la tendance conteneurs. Ne manque plus que le vaporetto pour conduire les Parisiens vers cette île en résurrection.

Paris Plages, www.paris-plages.fr

du 21 juillet au 21 août. Cirque en chantier, à Boulogne-Billancourt, www.cirqueenchantier


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