Pays-Bas: en Frise, à la découverte d’une région aussi méconnue que captivante
Isolée à l’extrême nord du royaume néerlandais, la province a gardé sa langue, ses coutumes et ses fermes aux toits de chaume. Elle avait été choisie en 2018 pour être capitale culturelle européenne.
On n’arrive pas en Frise par hasard : éloignée des grandes routes migratoires de vacances, elle reste l’une des provinces les moins connues des Pays-Bas. Tout juste en voit-on quelques images les hivers d’exception lorsque les canaux ont gelé en profondeur et que les patineurs peuvent s’élancer pour la célèbre Course des 11 Villes (Elfstedentocht). Aujourd’hui, en période de grand froid comme de canicule, l’itinéraire est une base de départ idéale pour découvrir la région et ses cités historiques. En fait de villes, on est parfois surpris de tomber sur ce qui ressemble plus à un village perdu, comme Sloten, au sud-est de la province. Avant de devenir la » plus petite ville des Pays-Bas « , celle-ci fut au xvie siècle un carrefour commercial convoité. Son plan de défense fait de canaux, de remblais et de portes fortifiées lui a évité de tomber dans l’escarcelle des puissances de l’époque. Restent de ce Siècle d’Or d’élégantes bâtisses qui se font toujours face de part et d’autre de la petite rivière traversant le hameau : l’ancien hôtel de ville, l’église protestante, la boulangerie, la boucherie et, tout au bout, le moulin. Dès qu’il fait beau, les terrasses ne désemplissent pas et l’ambiance villageoise se prolonge tard le soir. Et chaque vendredi d’été, il ne faut pas manquer cette reconstitution historique : une escouade d’artilleurs en costume vient faire tonner le canon – liégeois – posté près du moulin.
Maison d’été et d’hiver
En poussant vers la côte, on atteint Stavoren, la plus ancienne ville de Frise, statut qui lui a été décerné en 1118. Les rois frisons résidaient dans cette cité puissante et prospère, tandis que ses habitants étaient d’habiles marins. Elle devint même ville hanséatique, connut son apogée au xive siècle, puis déclina. Aujourd’hui, on y vient pour pratiquer la voile, le petit port abritant une importante base de la » flotte brune « , ces navires en bois à fond plat typiques de la région.
Les villes de Frise sont assez proches les unes des autres. Entre Stavoren et Hindeloopen, il ne faut rouler que 5 kilomètres en longeant la digue de mer, tondue naturellement par les moutons. Ce qui ressemble aujourd’hui plus à un gros village n’a jamais eu de grand port ; néanmoins, c’est en s’adonnant au commerce maritime que les habitants s’enrichirent, en opérant depuis le port de Stavoren. Etonnant aussi : les contacts réguliers avec l’étranger ont stimulé la formation d’une langue propre à la localité, un mélange de frison, d’anglais, de danois et de norvégien. A l’oreille, même un néerlandophone y perd son latin ! Pittoresque est le mot qui résonne ici le mieux : on se promènerait des heures dans les ruelles étroites et par-dessus les ponts, puis sur les quais du petit port de plaisance dont l’un des ponts est encore actionné à la main. Toutes les maisons du coeur historique sont accessibles par terre comme par eau. Sur les rives, une rangée de petites maisonnettes appelées » likhûzen « . Autrefois, elles étaient habitées l’été lorsque les hommes étaient en mer, histoire d’alléger les tâches ménagères de leurs dames.
Workum n’est qu’à trois kilomètres, un rien plus à l’intérieur des terres. Une très longue rue commerçante et, en son milieu, une place bordée de bâtiments d’époque, voilà pour le centre historique. Comme beaucoup d’autres anciennes cités portuaires de la mer du Nord, Workum finit par s’ensabler et dut, par la force des choses, se reconvertir dans la poterie et la production laitière. Les façades des maisons bourgeoises, la place du marché et l’église moyenâgeuse Sainte-Gertrude – la plus grande de Frise – témoignent de ce passé maritime florissant.
Forêt de mâts
En poursuivant vers le nord, on rejoint Harlingen, la seule ville de Frise située sur les côtes de la mer des Wadden. Fondée au xiiie siècle à l’emplacement d’une cité engloutie un siècle plus tôt, Harlingen est un vrai musée à ciel ouvert, comptant plus de 500 bâtiments historiques. Aux xvie et xviie siècles, sa flotte était réputée sur toutes les mers du globe. Le long des quais, on repère les anciens entrepôts de la Compagnie des Indes aux inscriptions Java ou Sumatra. Au débouché du port de plaisance qui recouvre tout le coeur des lieux, le regard est arrêté par une forêt de mâts. Beaucoup de gréements anciens, surtout des bateaux en bois à fond plat conçus pour naviguer dans les eaux peu profondes de cette mer sournoise truffée de bancs de sables et d’îles à fleur d’eau. Fait surprenant : l’été, le trafic est plus intense sur l’eau que sur terre, à tel point que les ponts sont plus souvent levés qu’abaissés. Il n’y a alors plus qu’à prendre son mal en patience en admirant les coquilles fendre les canaux. A noter, pour ceux qui auraient envie de loger dans les parages : des chambres d’hôtes insolites, situées du côté du port, permettent de dormir, au choix, dans un phare, une grue ou même un bateau de sauvetage en mer (*).
A un saut de hareng de Harlingen, Bolsward a elle aussi tiré ses richesses du transport maritime à l’époque de la Hanse. Pourtant, les premiers rivages sont à plusieurs kilomètres de là : la poldérisation en a fait peu à peu une ville agricole vivant du commerce du beurre et du fromage. On ne vient pas ici sans visiter son magnifique hôtel de ville chargé de sculptures et orné de jolis volets peints, ni sans découvrir sa distillerie où glougloute le bon genièvre de Fedde Sonnema, dont la recette secrète contiendrait 71 herbes et épices !
Tour de Pise de Frise
Leeuwarden nous ramène à une ville digne de ce nom. Ancienne résidence des » stadhouders » (gouverneurs militaires) de Frise, le chef-lieu de la province est une petite Amsterdam joliment sillonnée de canaux. Et ponctuée de pas moins de 600 monuments. Parmi les musts, le Musée de Frise mais aussi l’Oldehove, la tour de Pise locale. Ce clocher de plus de 120 mètres de hauteur est non seulement penché mais également tordu et, pour couronner le tout, il n’est même pas achevé. Gravir ses 183 marches offre la récompense d’une vue panoramique sur Leeuwarden et ses environs. Coup de coeur également pour les navires anciens du musée-port, à la Willemskade, certains affichant plusieurs siècles d’existence.
Plus au sud, la petite ville de Sneek vit pour le sport national frison : le Skûtsjesilen, des régates sur voiliers traditionnels. Les locaux sont de vrais collectionneurs de ces merveilles d’un autre âge. Symbole de cette passion pour l’eau, la Waterpoort enjambe le canal depuis le xviie siècle. Dernier vestige de l’enceinte médiévale, cette porte gardait l’accès entre les canaux extérieurs et intérieurs. Ici encore, on flâne dans les rues le nez en l’air en admirant les façades ouvragées des vieilles bâtisses. Sur le port, comme un peu partout en Frise, on mange, on dort et on refait le monde sur les bateaux…
Voisine de Sneek, IJlst est aussi un vrai régal. Cette ville croquignolette, tout en longueur, peut s’atteindre en bateau par le canal principal (Eegracht) où débouchent des chenaux secondaires bordés de jardins et de tilleuls, puis de maisons historiques. Autrefois, les jours de lessive, le linge était mis à sécher dans les petits jardins en bordure d’eau. Ces » bleken « , merveilleusement fleuris, font partie intégrante du caractère tranquille de la bourgade. Celle-ci était renommée pour la construction navale et celle de patins à glace, deux activités qui ont aujourd’hui pratiquement disparu. Le bois était coupé dans son curieux moulin-scierie. Certains jours, on peut encore observer les gigantesques scies à bois débiter les planches à la vitesse capricieuse du vent. IJlst, un peu à l’image de toute la Frise, est un endroit où la plus belle part de l’ancien temps demeure vivante…
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