Perles du Luxembourg, vignes et bonnes tables
Si l’on ne place pas de prime abord le Grand-Duché dans les itinéraires gastronomiques, trois chefs (au moins) et une palette de vignerons méritent plus que le détour. Comme le Jef de Jacques Brel, il est temps de boire du vin de Moselle.
Pour Thomas Murer, l’automne et ses couleurs mordorées sont l’occasion rêvée d’emmener ses deux aînés, Cyril Molard et René Mathieu, en balade dans les bois proches de son restaurant Aal Schoul (A l’école), situé à Hobscheid – à un jet de pierre d’Arlon. » Nous avons ouvert il y a un peu plus d’un an, raconte le chef. Un des associés est le boucher du village voisin, ce qui nous permet d’avoir une chambre de maturation dans l’établissement. D’emblée, j’ai voulu construire un réseau local. Bob, un gars du coin, élève 700 poules en plein air ; il me fournit les oeufs. Un producteur en amène un autre. » La majorité de la clientèle de Thomas est luxembourgeoise. On aime, ici, manger à sa faim, pour un budget raisonnable. Le lunch par exemple est affiché à 22,50 euros – » Je suis né dans une famille modeste. Je souhaite que le restaurant soit accessible au plus grand nombre. En résumé, j’emploie les mêmes produits que les restaurants étoilés mais je les présente de manière plus accessible, entre brasserie et bistronomie. »
Pendant la promenade, deux mots reviennent dans les échanges entre les trois chefs : local et, surtout, saisonnier. Dans ce dernier registre, Cyril Molard est le plus jusqu’au-boutiste : » Les tomates, cela ne commence pas avant juillet. Et je n’utilise pas d’herbes fraîches en hiver, même s’il est vrai que les trois derniers ont été si cléments que Sandrine, la maraîchère de Münsbach avec qui je collabore, en propose désormais toute l’année. » Né dans les hautes Vosges, l’homme a d’abord voulu succéder à son père charcutier. Lorsqu’il décide de passer en cuisine, il fait quelques rencontres déterminantes comme celle du Français Emmanuel Renaut : » Nous avons travaillé ensemble à Londres. J’ai ensuite été à ses côtés lorsqu’il a ouvert Les Flocons de Sel à Megève, aujourd’hui titulaire de trois étoiles Michelin. » Pour Cyril, une assiette doit être » lisible et proche du goût originel des produits « . La fraîcheur est son fil rouge et provient notamment des légères notes acidulées qu’on trouve dans les agrumes et dans la grande famille des fermentations. » En ce sens, j’ai été influencé par la cuisine nordique « , avoue-t-il. Auréolé d’une étoile, il a ouvert son restaurant Ma Langue Sourit voici sept ans, après huit années passées dans de grandes maisons au Grand-Duché. Il a donc eu l’occasion de s’immerger dans la culture vinicole locale. » Dans notre cave, nous avons bien entendu des vins nationaux. On ne peut imaginer une carte sans crémant, pinot gris, auxerrois ou riesling d’ici. Il y a de beaux noms, incontournables, comme le Domaine Alice Hartmann pour les crémants et le Château Pauqué pour le Clos du Paradis et ses rieslings d’exception. Le long d’une trentaine de kilomètres de rives de la Moselle, on trouve des viticulteurs remarquables qui font oublier ce que les générations précédentes ont massacré en faisant pisser la vigne. Ils ont fait évoluer la qualité en diminuant les rendements. »
Nature apprivoisée
René Mathieu, le chef du Château de Bourglinster, un domaine national qui accueille les chefs d’Etat et de gouvernement en visite officielle, tient un discours similaire. » Alice Hartmann s’est taillé une réputation internationale pour ses crémants, surtout le brut. Pour ma part, je trouve le rosé exceptionnel. On recense aujourd’hui nombre de crémants qui ont leur place sur une carte de bulles à l’égal du champagne. Il y a de la structure, de la fraîcheur et on peut se faire plaisir à des prix très corrects. » Belge, innovateur depuis ses premiers pas au Capucin Gourmand à Baillonville en 1986, René Mathieu est devenu une icône de la gastronomie grand-ducale. Après avoir été, trois années durant, le cuisinier du Grand-Duc Henri, il est passé chef de La Distillerie, le restaurant étoilé du château. Il est aussi celui de la brasserie Côté Cour et supervise tous les événements qui se déroulent dans ce lieu chargé d’histoire.
Comme Cyril Molard, il travaille en étroite collaboration avec Sandrine, la maraîchère. Mais ce qui nourrit sa cuisine, ce sont avant tout les cueillettes. Rien à voir avec une mode venue de Scandinavie, le professionnel est un précurseur qui, voici trente ans déjà, avait son potager dans le village. Il sait donc apprivoiser la nature lorsqu’il arpente prés et bois à la recherche de plantes sauvages comme la benoîte urbaine, qui évoque le clou de girofle, la pensée sauvage pour ses notes camphrées ou encore le millepertuis, qu’il infuse dans de l’huile. Mais sa démarche, désormais, va plus loin : » Nous allons devoir modifier notre alimentation, pour des raisons de santé, d’équilibre, pour la planète. Nous, chefs, avons un rôle à jouer. Nous pouvons apporter des réponses aux allergies en changeant notre manière de travailler. Je suis aujourd’hui à même de construire une carte sans gluten et sans lactose. » Le chef avoue toutefois tenir tout cela de sa grand-mère, cuisinière dans une famille : » Mon grand-père était leur garde-chasse et connaissait la forêt et ses plantes par coeur. Nous mangions beaucoup de légumes et peu de viande. Je me suis souvenu qu’elle savait comment préparer les glands de chêne. J’ai fouillé dans ma mémoire et j’ai réussi à créer, en partant de ces fruits, ce qui s’apparente à un fromage frais. «
Vendanges tardives
Intarissable sur les vins de la Moselle luxembourgeoise, René défend ceux qui, depuis vingt ans, oeuvrent à leur amélioration. » Il faut redécouvrir les crémants à l’apéritif ou avec le foie gras. Si Alice Hartmann est le préféré des connaisseurs, il y en a d’autres, notamment les bio de Sunnen-Hoffmann et Krier. En vins tranquilles, nous proposons le pinot gris en début de repas. Les rieslings sont également très élégants. Et s’il ne fallait citer qu’un viticulteur, ce serait Abi Duhr. J’ai eu l’occasion de mieux le connaître en préparant un plat sur la base du Clos du Paradis. »
Lorsqu’on évoque son cheminement dans le monde de l’oenologie, Abi Duhr, doublement diplômé, à Geisenheim en Allemagne et Bordeaux en France, se souvient de l’enfance dans les caves de ses grands-parents, le domaine Mme Aly Duhr, aujourd’hui propriété de ses neveux Max et Ben : » Inconsciemment, je mémorisais les gestes de mes aînés. » Lorsqu’il s’est agi de se lancer dans son propre domaine, le maintenant fameux Château Pauqué, Abi avait deux références : la Moselle allemande, qui a enfanté de belles vendanges tardives, et la Bourgogne, pour ses vins blancs élevés en barrique. Des premiers est venue une profession de foi : récolter des raisins mûrs. » Ceci explique pourquoi je suis le dernier à vendanger. Bien entendu, je prends des risques mais je récolte des raisins qui ont un potentiel de 12 % d’alcool dans la bouteille. Cela me permet aussi de travailler avec les levures indigènes, présentes naturellement sur les raisins. »
Côté Bourgogne, Abi a d’abord expérimenté les vins du domaine familial, avec le cépage auxerrois, un de ses préférés : » C’est devenu le Clos du Paradis. Je savais intuitivement que l’on pouvait s’approcher du chablis. Il manquait toutefois quelque chose que j’ai trouvé en ajoutant un peu de pinot blanc. »
Tout en finesse
L’exemple d’Abi Duhr a fait des émules. Aujourd’hui, on peut s’approvisionner dans quelques domaines les yeux fermés. Dans notre sélection, les crémants sont partout remarquables. Dans la même ligne que les références Alice Hartmann ou Clos des Rochers (le vignoble familial de Bernard Massard), on peut identifier les deux viticulteurs en bio, Yves Sunnen et Guy Krier. On retiendra aussi les crémants de Henri Ruppert, puissants comme l’homme lui-même. Avec La Brute, un assemblage de pinot noir et de pinot blanc, il atteint des sommets en structure à l’égal des grands champagnes.
Dans un tour d’horizon aussi vaste, il est difficile de survoler chaque domaine, chaque terroir en particulier. René Bentz et son fils Nicolas, par exemple, aiment les vins légèrement plus doux en bouche, à des prix très doux, eux aussi. La Cuvée Nicolas, un crémant, est offert à moins de 10 euros.
Si la majorité des vignobles qui bordent la Moselle sont orientés vers l’est et reçoivent donc les rayons du soleil dès le matin, si la plus grande partie des sols sont argilo-calcaires, il existe des terroirs mieux cotés comme le Koeppchen à Wormeldange, le Palmberg à Ahn, le Felsberg à Wintrange… Mais tous partagent une signature commune : la finesse et la délicatesse dans la bouteille, avec des notes personnalisées. En soi, c’est déjà une raison de s’offrir une escapade gourmande au Grand-Duché.
Nos adresses h2>
La Distillerie. Château de Bourglinster, 8, rue du Château, à 6162 Bourglinster. www.bourglinster.lu p>
Aal Schoul. 1, rue d’Eischen, à 8372 Hobscheid. www.aal-schoul.lu p>
Ma Langue Sourit. 1, rue de Remich, à 5331 Moutfort. www.mls.lu p>
Les domaines viticoles : p>
www.visitluxembourg.com/en/place/winemakers/chateau-pauque p>
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