Petits secrets des grands hôtels

© Gudrun makelberge

Si dans l’inconscient collectif il évoque un gardien d’immeuble, sa déclinaison de luxe est à la hauteur des cinq étoiles de l’établissement qui l’occupe. Anticipant le moindre désir de sa clientèle, le concierge n’a qu’une mission : rendre le séjour de ses hôtes aussi exceptionnel que possible.

On le dépeint souvent armé de son balai, le dos courbé, marmonnant un semblant de bonjour… Dans l’imaginaire collectif, le concierge est un individu solitaire, qui ne brille pas (toujours) par son amabilité. Bien que certains s’évertuent à souligner les origines nobles de la profession au détour du  » Comte des Cierges « , employé à la Cour du Roi-Soleil pour éclairer le chemin de son maître, elle souffre d’une image un peu terne et poussiéreuse. Pourtant, ce métier de l’ombre, bien plus complexe qu’on ne le soupçonne, peut revêtir un caractère hautement prestigieux, farouchement défendu par les Clefs d’Or. Si elle existait déjà depuis une vingtaine d’années, c’est au centre de l’Hexagone que cette organisation professionnelle internationale des concierges d’hôtels est officiellement fondée en 1952. Comptant près de 4 000 membres dans plus de 80 pays et 530 destinations, elle repose aujourd’hui encore sur ses valeurs d’origine, Service et Amitié. Parmi les premières sections membres à la rejoindre : le plat pays.

Être un bon concierge, c’est être un profiler.

Ahlem Mossadak est concierge à l’Amigo, établissement bruxellois haut de gamme réputé pour les célébrités internationales qui y séjournent. En février dernier, la jeune femme recevait une précieuse paire de broches : ses Clefs d’Or (lire par ailleurs). Plus qu’un symbole, un engagement de qualité.  » Remettre cet insigne à un membre, c’est une reconnaissance de sa valeur, humaine et professionnelle « , insiste Mariano Vancleve, président de l’association belge. Pour sa part, Stéphane Looze, concierge au Steigenberger Wiltcher’s de la capitale et conseiller en relations publiques de l’organisme belge, aime à définir son rôle au sein de l’hôtel comme celui d’un  » chef d’orchestre « . Comparable à ce dernier dans sa capacité à jongler entre les différents pôles du palace, avec lesquels il est en contact permanent, il coordonne le tout avec virtuosité. Electron libre, il met au diapason le travail des équipes du hall et de la réception avec les prestataires extérieurs. Voiturier, portier, bagagiste, ou encore agences de voyage et restaurateurs, il dirige le tout en harmonie. Avec pour aspiration de mener son hôte jusqu’au point d’orgue de son séjour.

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Autrefois méprisé pour les coûts qu’il engendrait, l’occupant de la loge a longtemps éprouvé des difficultés à se défaire de sa réputation de pique-assiette, jugé profiteur pour son statut de  » logé-nourri-blanchi « . A tort. Ces experts aguerris savent mieux que quiconque faire valoir les beautés et les richesses du patrimoine de leur région.  » Nous devons avoir des notions de vente parce que l’idée derrière tout ça, c’est que nos services rapportent, certes, à la Ville de Bruxelles mais également à l’enseigne qui nous emploie. C’est cela qui justifie notre présence « , concède Mariano. Récemment nommés ambassadeurs de la capitale par son bourgmestre Philippe Close, ces prestataires de luxe reconnaissent volontiers leurs talents de commerçant, indispensables à l’exercice de la profession. Promouvoir le lieu dans lequel ces clients fortunés séjournent, sans jamais perdre leur objectif de vue : les faire repartir avec un goût de trop peu de la Belgique. Pour mieux revenir.  » Mais, coupe Ahlem, toujours avec la conscience que ce que l’on propose, nous en sommes réellement convaincus ! A titre d’exemple, je n’envoie plus personne dans un restaurant que je recommandais auparavant, car la dernière fois que je m’y suis rendue personnellement, j’ai été terriblement déçue…  »

La dimension psychologique

Mais l’élite qui constitue ce corps de métier n’a pas qu’une corde à son arc. Lorsque Stéphane évoque la principale qualité requise par sa fonction, il déclare dans un sourire :  » Pour être un bon concierge, il faut être un profiler.  » Loin des enquêteurs des séries américaines, ce trait de caractère signifie ici qu’il faut être capable de cerner les désirs de ses hôtes et de s’adapter à leurs humeurs.  » Se dire en quelques secondes :  » D’accord, j’ai affaire à tel type d’individu.  » Mais nous devons aussi pouvoir saisir en un court laps de temps l’état d’esprit de la personne qui se trouve en face de nous.  » Cette capacité de discernement, particulièrement nécessaire dans leur quotidien, va de pair avec une dimension psychologique. Car, si le visiteur s’enquiert de l’adresse du restaurant  » le plus somptueux  » du centre-ville, vers quel établissement de renom ces conseillers de prestige vont-ils le diriger ?  » Le mot somptueux peut signifier mille et une choses, explique Ahlem. Il y a ce que le client va nous demander mais il y a également ce qu’il ne va pas réussir à exprimer avec des mots. C’est justement ce que nous devons chercher à comprendre. C’est à nous d’analyser ses besoins sans pour autant heurter sa sensibilité.  »

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 » Si j’ai un don, c’est celui-là !, s’exclame Stéphane. Il ne me faut pas cinq minutes pour savoir qui se tient en face de moi et anticiper ses envies.  » Plus facile à dire qu’à faire, cependant, lors d’une confrontation avec une célébrité mécontente. La parade ? Tirer un enseignement d’une plainte déposée ou retourner la situation positivement pour faire revenir son interlocuteur à de meilleures dispositions. En répondant à son souhait, par exemple, d’obtenir une bouteille d’un whisky d’exception. Le scénario revêt parfois des airs de Mission Impossible pour certains concierges mais jamais pour le réseau international auquel ils sont affiliés. Chacun y allant de son savoir-faire personnel pour répondre à l’appel de ses confrères, ces professionnels de choix contribuent à former une immense toile de contacts, avec pour seule vocation de combler les désirs de ceux qui logent dans leurs hôtels.

Toutefois, bien qu’ils aient pour mantra de satisfaire toutes les demandes, il y a certaines requêtes desquelles ces hommes et femmes de l’ombre ne peuvent s’acquitter, au risque d’y perdre leurs précieuses broches dorées. Car si l’argent ne représente pas une limite, la déontologie en est bien une. Et Thémis, déesse grecque aux yeux bandés représentant la justice, fait planer son ombre jusque dans les chambres des palaces 5-étoiles. Est donc proscrit tout ce qui est illégal, tel que les substances illicites et la prostitution.  » C’est évident que l’on doit conserver un code de conduite. Nous signons des contrats avec des entreprises et nous avons des engagements de qualité envers celles-ci. Il est donc hors de question de commencer à se lancer dans tout et n’importe quoi. Nous restons des hommes et des femmes respectés et respectables, dans des entreprises qui le sont tout autant.  »

Loin de la caricature de larbins de service, l’image de ces maîtres de l’hospitalité souffrirait-t-elle néanmoins du terme qui les désigne ? Bien qu’Ahlem reconnaisse volontiers que la désignation de  » concierge  » puisse porter à confusion, Mariano, lui, ne supporterait pas d’en changer :  » Je suis très fier de mon titre ! Et je ne verrais aucun autre mot pour décrire le métier que j’exerce.  » Si un désaccord survient parfois quant à l’appellation de leur profession, ce n’est jamais le cas dès qu’il s’agit d’évoquer leurs capacités à incarner l’esprit même d’un Clefs d’Or :  » Qui cherche la perfection atteint l’excellence.  »

En quelques mots

-Créée en 1937, Les Clefs d’Or Belgium fait partie d’une association mondiale de concierges, regroupant plus de 40 sections et quelque 4 000 adhérents à travers le globe.

-Pour devenir adhérent, un concierge doit avoir travaillé au moins 2 ans à ce poste et être parrainé par deux membres actifs et reconnus de l’association.

-Après une période d’observation de 3 ans, un membre adhérent peut devenir membre actif.

-Seuls les membres adhérents ou actifs de l’association peuvent porter les fameuses broches – faites de deux clés croisées – de part et d’autre de leurs redingotes.

-Sur les 13 hôtels belges comptant au moins un concierge Clefs d’Or, 12 sont situés à Bruxelles, le dernier à Anvers. Aucun établissement de Wallonie ne nécessite ou n’a fait part de sa volonté claire de disposer d’un tel service.

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3 questions à Ahlem Mossadak

Concierge à l’Amigo, elle recevait ses Clefs d’Or en février dernier.

Vous êtes l’unique Art Concierge de Belgique. En quoi cela consiste-t-il ?

Notre ville regorge d’oeuvres et d’artistes merveilleux, ma mission d’Art Concierge est de mettre nos hôtes dans les mains de spécialistes qui vont pouvoir les aiguiller et les conseiller, d’où l’importance de comprendre leurs attentes. Qu’ils veuillent acheter des oeuvres ou visiter des collections d’exception, nous avons la possibilité de répondre aux demandes d’une clientèle très exclusive.

Selon vous, pourquoi y a-t-il si peu de femmes concierges Clefs d’Or ?

C’est un métier ancestral, et bien évidemment, il était, comme nombre d’entre eux dans le passé, réservé aux hommes. C’est un travail qui demande beaucoup d’exigence, de polyvalence et de sensibilité. Avoir une présence féminine dans une loge apporte toujours une dimension ou une approche différentes.

Au cours de votre carrière, avez-vous été confrontée à des problèmes liés à votre statut de femme ?

Non. J’ai toujours évolué dans des milieux majoritairement masculins et les hommes qui m’ont entourée ont su apprécier mes qualités professionnelles. J’ai la chance de travailler avec de grands messieurs aux carrières formidables, qui sont une source d’inspiration pour moi. Et avec les clients, je pense que personne n’est à l’abri d’une petite allusion, mais mon secret, c’est l’humour, une boutade peut bien souvent vous sortir d’une situation inconfortable !

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