Philantourisme ou voyage régénératif: réiventer sa façon de parcourir le globe pour mieux le protéger

Le secteur touristique continue à se réinventer pour être à la hauteur des enjeux climatiques. De plus en plus en vogue, le voyage régénératif – ou le philantourisme – séduit les voyageurs en ne se contentant pas de limiter l’impact sur la destination visitée… mais en ambitionnant de l’améliorer.

En vacances à Hawaii, l’activiste environnementale Michele Bigley se rappelle avoir eu la mauvaise surprise de voir flotter dans les eaux turquoise de l’île une glacière en polystyrène. Une carte postale déplaisante et malheureusement trop banale, visible de Cancún à Barcelone, en passant par Dubrovnik. Choisissant de ne pas ignorer l’incident, l’ancienne journaliste de voyage raconte sur son blog avoir posé sa planche de surf et s’être mise à ramasser tous les déchets de la plage, bientôt rejointe par ses fils. Un geste en apparence simple, mais qui pourrait illustrer le futur du tourisme: le philantourisme ou voyage régénératif.

Nos efforts, guidés par les locaux, ont contribué à laisser cet endroit en meilleur état qu’il ne l’était avant notre arrivée.

«Là où l’écotourisme consiste à «ne pas faire de mal» et le voyage durable à «atteindre un impact net neutre», le voyage régénératif revient à améliorer la situation», résume Amanda Ho, fondatrice de l’agence Regenerative Travel qui rassemble des hôtels à l’impact positif à travers le monde. En d’autres termes, à laisser l’endroit que l’on visite dans un meilleur état que celui où on l’a trouvé. On doit la popularisation de l’expression, en anglais «regenerative travel», à la consultante Anna Pollock, fondatrice de l’entreprise Conscious Travel qui accompagne les acteurs du tourisme dans leur transformation vers un modèle plus vertueux. En Belgique, elle a notamment travaillé avec l’office de tourisme VisitFlanders sur le projet Travel to Tomorrow.

© FLORE DEMAN

Pour le bien commun

Pour Anna Pollock, le vrai problème tient au fait que le succès du tourisme se définit par le nombre de… touristes. «Or, des défauts systémiques accélèrent et accompagnent cette croissance au fil du temps: disparités de richesse, dégradation de l’environnement, pollution, pression sur les terres et l’eau, congestion, détérioration des conditions de travail…», détaille-t-elle dans le manifeste de Conscious Travel. Les ravages du surtourisme (lire aussi notre article sur le sujet) sur les populations visitées mènera Anna Pollock vers une autre réflexion: «Une économie devrait exister pour servir le bien commun: l’épanouissement de ses membres et le bien-être de toute la société.»

Ainsi, c’est à contre-courant du tourisme traditionnel que le voyage régénératif avance ses réconfortants arguments qui, selon Amanda Ho, consistent à «créer de meilleures conditions de vie pour l’environnement et pour les habitants. Dans cette perspective, nous nous concentrons sur l’ensemble de l’écosystème, à la fois humain et environnemental, mais aussi sur la façon dont toutes les parties sont reliées entre elles». Planter des arbres, participer à la préservation des tortues de mer, s’essayer à l’agritourisme, séjourner dans un ranch zéro déchet, faire du kayak tout en collectant des ordures… Le philantourisme peut prendre des formes très diverses, laissant la liberté à chacun de trouver la formule qui lui convient le mieux.

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Des initiatives concrètes

Sur son blog et son compte Instagram, Michele Bigley donne des pistes pour voyager de manière régénérative, prenant pour exemple son dernier séjour à Hawaii. Réserver une sortie en kayak avec une compagnie dont les revenus financent des programmes pour les enfants et la préservation du parc national He’eia. Nettoyer un étang d’une algue invasive. Planter huit arbres pour compenser les émissions de carbone de la famille… «Nos efforts, guidés par les locaux, ont contribué à laisser cet endroit en meilleur état qu’il ne l’était avant notre arrivée, écrit-elle. Nous ne sommes pas allés là-bas en leur disant comment l’améliorer, nous avons écouté et fait ce qu’ils ont demandé et, ce faisant, nous avons vécu une expérience authentique et incroyable.»

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Melissa Salcedo Richards, consultante en marketing et professeure de yoga installée en Caroline du Nord, n’avait pour sa part jamais entendu parler du philantourisme avant de séjourner au Playa Viva, au Mexique. Considéré comme le premier complexe hôtelier régénératif au monde, l’établissement est entièrement bâti sur un modèle vertueux pour la communauté du village de Juluchuca, où il est installé. Programme de reforestation, centre de préservation des tortues, engagements pour les habitants… «La pandémie m’a poussée à réévaluer mes valeurs, explique Melissa. Moi qui avais l’habitude de participer à des retraites un peu partout dans le monde, je n’avais jamais vécu une telle expérience. Cela m’a ouvert les yeux sur le rôle que nous avons tous à jouer en tant que touristes.» La cofondatrice des retraites bien-être Elemental Escape va même aller plus loin, en organisant son prochain événement au Playa Viva afin «d’amener d’autres personnes à découvrir le tourisme régénératif».

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Pour Daniela Mastronardi, étudiante en affaires internationales, le déclic s’est produit à travers l’agritourisme – ou «tourisme rural». Sur le site de Solimar International, une entreprise de marketing et de conseil en voyage durable pour laquelle elle a travaillé, elle raconte son expérience dans une ferme d’Ombrie, en Italie, avec un groupe d’amis: «Pensez-y comme à un bed & breakfast, sauf que les touristes sont invités à travailler dans la ferme aux côtés des locaux. L’expérience nous a permis de redécouvrir la nature à travers des traditions anciennes, comme la collecte des olives pour la production d’huile, relate-t-elle. Non seulement nos repas à la ferme étaient préparés avec des ingrédients cultivés sur la propriété, mais nous avons pu explorer une petite ville que nous aurions négligée dans un autre contexte, tout en nouant des liens avec les habitants.» En nous poussant à agir davantage pour la communauté et l’environnement que ce que ceux-ci nous offrent, le philantourisme nous renvoie à la notion même d’hospitalité: recevoir et donner en échange. Noble philosophie qui, on l’espère, continuera à faire des adeptes une fois les habitudes post-pandémiques retrouvées…

Choix de la destination, de l’hôtel ou du type de séjour…
Voici quelques pistes pour commencer à explorer le monde autrement.

1- Opter pour une destination engagée

Alors que le tourisme régénératif demeure encore confidentiel, certaines destinations ont choisi de s’y engager pour montrer la voie. C’est le cas de la Belgique et de VisitFlanders qui a lancé le projet Travel to Tomorrow pour créer des ponts entre touristes et habitants, en intégrant la vision de ces derniers dans leurs projets. Un cran plus loin, l’ Office de tourisme de Nouvelle-Zélande a développé la Promesse Tiaki (Tiaki Promise, tiakinewzealand.com), un ensemble de principes directeurs et conseils à destination des voyageurs désireux de contribuer à la préservation et à la protection de l’île. De la même façon, Visit Iceland a mis en place L’Engagement islandais (The Icelandic Plegde, pledge.visiticeland.com) et affiche les chiffres de fréquentation (nombre de visiteurs, heures pleines et creuses…) des grands sites touristiques afin de prévoir sa venue à un moment où il y a moins de monde.

2- Vivre des expériences uniques

Certaines agences de voyage se sont déjà mises à l’heure du voyage régénératif. OneSeed Expeditions investit 10% de ses recettes dans les projets de petits entrepreneurs locaux, tandis que Intrepid a atteint la neutralité carbone en 2010 et se fixe aujourd’hui pour objectif de compenser chaque année 125% de ses émissions annuelles. En France, En Immersion propose des micro-immersions – entre trois jours et plusieurs semaines – pour découvrir un territoire auprès de ceux qui l’habitent. De son côté, Evaneos est la première agence de l’Hexagone à avoir reçu la certification B Corp (Benefit Corporation) octroyée aux sociétés qui agissent pour l’environnement (notamment au niveau de la fameuse empreinte carbone).

3- Bien choisir son hôtel

S’adressant aux voyageurs qui souhaitent séjourner dans des lieux «où leurs vacances rencontrent leurs valeurs», l’agence Regenerative Travel propose une sélection d’hôtels indépendants à travers le monde, qui offrent des séjours immersifs tout en ayant un impact positif sur leur écosystème et leurs communautés. Le site compte actuellement 24 établissements, de l’Oasy Hotel en Italie au Playa Viva au Mexique, en passant par le Fogo Island Inn au Canada. «Nous voulons changer la façon dont les gens voyagent, explique Amanda Ho, sa fondatrice. Autrefois, c’était un vrai échange, de personne à personne, nous voyagions pour découvrir un nouvel endroit en interagissant avec les gens et en partageant nos cultures. Malheureusement, une grande partie de l’industrie du tourisme a été déconnectée des rencontres et des lieux. Le voyage régénérateur crée un cadre qui ramène cette expérience fondamentale, diverse et équitable.»

4- S’essayer à l’agritourisme

Séjourner à la ferme en participant aux activités quotidiennes est un autre moyen de se mettre au tourisme régénératif. En Italie, le tourisme rural est déjà très répandu, et on peut réserver son séjour sur le site agriturismo.it. Dans la même veine, Un Lit au Pré permet par exemple de réserver un séjour à la Ferme de Rochefort, dans les Ardennes, ou encore dans la ferme laitière Looe Farm, sur la côte sauvage des Cornouailles (en Angleterre). En France, les sites Bienvenue à la Ferme et Accueil Paysan recensent toutes les exploitations ouvertes au tourisme rural.

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