Un été à la montagne: 4 jours de rando dans les subli-cimes dolomites

Pourquoi les montagnes exercent-elles un tel attrait sur nous? Pour essayer de le savoir, nous nous sommes lancé dans un trekking de quatre jours et 61 kilomètres à travers les paysages à couper le souffle des Dolomites italiennes.

En ce petit matin, l’air est pur et le ciel est dégagé. D’après le guide qui accompagnera notre groupe, septembre est la période idéale pour les trekkings. Pourtant, pas plus tard que la semaine dernière, la région a été frappée par une tempête de neige. Ceci dit, les quelques traces rémanentes des intempéries n’empêchent pas les vaches locales de paître paisiblement.

L’annonce de notre projet à nos proches a causé une certaine inquiétude. Même lorsque nous précisions que le sentier Dolorama était présenté comme une route pour «débutants avec une condition de base». Au cours des quatre jours à venir, nous parcourrons 61 kilomètres et 2.356 mètres de dénivelé en quatre étapes. Un beau défi pour des gens qui ne brillent pas particulièrement par leurs compétences sportives. Quelque part au loin, cachée entre des sapins et des cimes de montagne, se trouve notre destination finale. «Le passé est en aval, l’avenir en amont», peut-on lire dans le best-seller de Paolo Cognetti, Les Huit Montagnes.

Un peu plus près du ciel

La première étape est la plus corsée: 20 kilomètres et des poussières à 941 mètres d’altitude le long des montagnes qui portent des noms improbables tels que Plose ou Peitlerkofel. Nous commençons par plusieurs versants où un artiste local a traduit l’histoire de la Création en œuvres abstraites. Nous savons très bien que seul le septième jour est consacré au repos. Et nous ne sommes que mardi. Alors que notre ascension se poursuit, nous passons par une chapelle qui est censée nous protéger contre les intempéries. Plus le randonneur se rapproche du ciel, plus il devient croyant. Il semble que ces majestueux sommets veuillent littéralement nous dire qu’il existe une force supérieure à la nôtre.

«Des abris antinucléaires construits par Mussolini servent aujourd’hui de lieux de maturation pour le pecorino.»

Ici, il ne faut pas espérer envoyer un message à ses proches. Notre mode de vie trépidant nous ferait presque oublier qu’il existe des lieux sur terre où la civilisation s’arrête.

Les reliefs semblent ardus, mais le sentier Dolorama reste accessible pour les randonneurs débutants.

Après une rude ascension finale, nous atteignons notre refuge pour cette nuit. Le mot «essoufflement» prend tout son sens. Nous savourons l’odeur des bûches crépitantes et les Knödel. Quelqu’un nous raconte que Mussolini a fait construire des abris et tunnels antinucléaires dans cette région et qu’aujourd’hui, ils servent de lieux de maturation pour le pecorino.

Une leçon de petitesse

Après une nuit de repos, nous entamons notre randonnée en direction de Schlüterhutte, également appelé Rifugio Genova. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la plupart des refuges de montagne appartenaient aux Allemands ou aux Autrichiens, mais lors de l’avènement du fascisme, ils se sont vu attribuer un nom italien. Aujourd’hui, les deux sont utilisés indistinctement. En montagne, on a le droit d’être qui on veut.

«Des sommets flamboyants étreignent des rochers rugueux, et de vastes prairies se muent en forêts de sapins.»

Même si, sur le plan purement géographique, nous nous trouvions déjà dans les Dolomites hier, d’un point de vue géologique, ce ne sera le cas qu’aujourd’hui. A plus de 2.000 mètres d’altitude, les bancs corallifères remplis de fossiles sont une leçon de petitesse humaine. Ici, nous ne dominons pas la nature; nous la suivons. A ces altitudes, il n’y a ni évaluations hebdomadaires ni enquêtes de satisfaction. Vivre ici se réduit à aller en amont ou en aval.

Notre journaliste… et alpiniste.

Nous ignorons depuis combien de temps nous marchons et évitons de regarder notre montre. «En montagne, le temps est relatif», écrivait le Britannique Robert Macfarlane dans son livre L’Esprit des sommets. «La géologie remet explicitement en question notre compréhension du temps. La sensation d’un temps dont les unités ne sont pas des jours, des heures, des minutes ou des secondes, mais des millions d’années ou des dizaines de millions d’années écrase l’instant humain, l’aplatit comme une gaufrette. Admettre que la roche dure d’une montagne est vulnérable à l’usure du temps, c’est nécessairement réfléchir à l’effroyable fugacité du corps humain.»

Les vues panoramiques défilent à la façon d’un diaporama. Du Lüsner Alm au Heiligkreuzkofel: des sommets flamboyants étreignent des rochers rugueux, de vastes prairies se muent en forêts de sapins longues de plusieurs kilomètres. Notre guide nous apprend qu’un oiseau indigène, le Cassenoix moucheté, dissimule des graines de cônes un peu partout pour avoir de la nourriture pendant l’hiver. Généralement, il retrouve quatre-vingts pour cent de son butin, et le reste donne lieu à de nouvelles pousses. Voilà un bel exemple de lutte active contre le changement climatique!

Tout au long de la rando, on passe devant plusieurs refuges où l’on peut déguster des «knödeln» et autres délices locaux.

Lorsque nous arrivons à notre nouveau refuge, nous sommes accueillis par des marmottes. Un jeton en plastique nous donne droit à une douche chaude de deux minutes. Même si le temps en dehors des montagnes semble insignifiant, nous chérissons chaque seconde et chaque goutte qui perle sur notre peau froide. Au cours de ces deux minutes, nous prenons conscience de la réalité de notre existence.

Des airs d’origami

Le troisième jour du parcours Dolorama commence par une descente. Dans la vallée, le hameau de Funes semble s’éveiller tranquillement lui aussi. Dans les années 1970, ses habitants refusèrent la construction d’une station de ski. Depuis lors, ce village fait figure d’exemple en matière de protection de l’environnement grâce à une approche durable. Les montagnes voisines sont approvisionnées en électricité sans groupes électrogènes au diesel, et les eaux sales sont assainies. Les guides attirent l’attention sur la conservation de la nature, et des bénévoles entretiennent les sentiers. De plus, la cuisine régionale, qui se compose essentiellement de produits locaux, est succulente.

«On dit qu’à partir du troisième jour, les randonneurs pensent de manière «plus pure» et que leurs sens sont beaucoup plus aiguisés.»

Par respect, nous évitons de marcher sur les racines d’arbres saillantes. Nous nous éloignons du groupe pour être seul au monde, porté par la cadence de nos pas. Les immenses parois rocheuses ont des airs d’origami. Bien que nous soyons toujours content d’arriver, lors de la balade, nous entrons en mode pilotage automatique pour notre plus grand plaisir. Savoir qu’on a déplacé des montagnes procure un réel sentiment de satisfaction.

«L’effet trois jours» commence à se faire ressentir. On dit qu’à partir du troisième jour, les randonneurs pensent de nouveau de manière plus pure et que leurs sens sont aiguisés. Le soleil se pose sur les flancs des montagnes, l’air s’infiltre dans nos narines, notre corps se recharge instantanément alors que nous nous délestons de nos chaussures de marche.

Au contact de la montagne, après deux jours, le corps se recharge.

Tout en nous servant un alcool fait maison, la tenancière du bar du Raschötzhütte nous raconte son coup de cœur pour l’exploitant italien de l’auberge lors d’un trekking dans la région. Depuis lors, la vie de cette Allemande connaît plus de hauts que de bas. Nous ressentons nous aussi des papillons dans le ventre, mais c’est sûrement dû au limoncello.

Vers le passé

Il fait encore noir lorsque nous nous mettons en route vers Ausserraschöt, un point de vue proche de notre auberge. Le ciel se teinte d’orangé et de pourpre. C’est la dernière fois que seules les montagnes nous tiennent lieu de compagnes.

Le décor majestueux est sûrement l’un des plus beaux d’Europe.

Un espace parsemé de monticules de pierres nous indique que nous ne sommes pas les seuls à avoir retrouvé notre chemin vers la maison. La réalité nous rattrape à chaque pas: le passé nous attend en bas. Là, nous ne serons plus des randonneurs qui ont tout le temps devant eux, mais de nouveau des citadins qui pestent contre les retards de trains et autres contrariétés. A présent, nous savons qu’il existe un lieu entre ciel et terre où l’on sert des pâtes fraîches et des Kaiserschmarren. Nous y retournerons, c’est sûr. Et ce n’est pas nous qui en avons décidé, mais une force plus grande que nous.

EN SAVOIR PLUS SUR LES DOLOMITES

Les Dolomites font partie de la chaîne des Alpes calcaires méridionales, qui s’étend sur cinq provinces italiennes.
Cette chaîne s’est formée il y a plus de 200 millions d’années.
La route des Dolomites est une randonnée longue distance de quatre jours à travers le tronçon situé dans le Sud-Tyrol, de l’alpage Rodenecker-Lüsner à Laion.
Le Sud-Tyrol se trouve bel et bien en Italie, et non en Autriche. Mais l’allemand est parlé dans la région en plus de l’italien, c’est pourquoi chaque montagne et chaque gîte portent un nom distinct dans les deux langues.
Le point culminant de l’itinéraire se situe à 2.341 mètres.

LE PARCOURS

Jour 1: 20,4 kilomètres
Le voyage débute après une nuitée au Oberhauser Hütte, un petit hôtel de montagne confortable qui propose une cuisine raffinée et un sauna extérieur avec vue panoramique. Après environ 6,5 heures de marche, arrivée au Maurerberghütte, un charmant chalet en bois disposant de chambres individuelles. Les pâtes fraîches y sont délicieuses.
Ascension: 941 mètres.
Descente: 556 mètres.
oberhauserhuette.com et maurerberg.com

Jour 2: 14,7 kilomètres
Après environ 4 heures et 45 minutes de marche, arrivée au Schlüterhütte, le logement le plus rustique de cette expédition. On y trouve tant des dortoirs que des chambres individuelles. Cuisine authentique et roborative.
Ascension: 718 mètres.
Descente: 534 mètres.
schlueterhuette.com

Jour 3: 16,2 kilomètres
Après environ 5 heures de marche, arrivée au Raschötz Hütte, un agréable refuge situé à proximité d’un magnifique point panoramique. Propose des dortoirs et des chambres individuelles. Les plats préparés maison et les liqueurs promettent une belle dernière soirée.
Ascension: 664 mètres.
Descente: 808 mètres.
rifugioresciesa.com

Jour 4: 9,7 kilomètres
Après environ 3 heures de marche, arrivée dans la petite ville de Laion, avec 61 kilomètres dans les jambes.
Ascension: 33 mètres.
Descente: 1.106 mètres.

EN PRATIQUE

Y aller
En avion.
L’aéroport le plus proche est Bolzano, mais les vols directs sont rares. Nous avons pris un vol pour Milan au départ de Brussels Airport. Il est aussi possible d’atteindre le point du parcours Dolorama en quelques heures de voiture depuis Venise, Vérone ou Bologne.

En train. Au départ de Bruxelles, prenez un Nightjet direct vers München Ost, et ensuite un train vers Bolzano. Il restera à parcourir environ une demi-heure en voiture.

Le sentier de randonnée n’étant pas toujours indiqué clairement, il est préférable de télécharger les fichiers GPX. Si, comme nous, vous préférez l’option «guide expérimenté», vous trouverez des offres sur bergfuehrer-suedtirol.it ou wanderfuehrer.it

Pour plus d’infos sur le sentier Dolorama: dolorama.it

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