Road trip au Cambodge: circuit initiatique dans le pays du sourire

© PHILIPPE BERKENBAUM
Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Premier à rouvrir largement ses portes au tourisme après la parenthèse Covid, le Cambodge est une destination à part du Sud-Est asiatique. Par la richesse de son patrimoine historique, l’authenticité de ses campagnes hospitalières, mais aussi le souvenir tragique des Khmers rouges. Un voyage initiatique qui bouscule.

Le pays du sourire l’a retrouvé, large et étincelant, ce sourire effacé par deux années de fermeture au monde imposée par la pandémie de Covid – comme une grande partie de l’Asie du Sud-Est, du reste. Le 17 mars dernier, le Cambodge était le premier pays de la région à lever les dernières restrictions à l’entrée pour les voyageurs vaccinés. Plus besoin d’effectuer de test ni avant ni après l’arrivée, plus de menace de quarantaine en cas d’infection et visas de tourisme librement délivrés à l’aéroport d’arrivée.

Celui de la capitale Phnom Penh ou celui de Siem Reap, porte d’entrée des sites historiques khmers qui ne devraient pas tarder à retrouver l’affluence des grandes années. Raison de plus pour s’y précipiter… avant le retour des cohortes de touristes, notamment asiatiques. Tout y est à nouveau accessible comme avant, le bonheur des Cambodgiens en plus. Celui de voir revenir progressivement les visiteurs étrangers.

Nous avons choisi de découvrir cet attachant pays par la route en faisant durer le plaisir – les mythiques temples d’Angkor attendront leur tour, ils doivent se mériter. Un circuit alternant les incontournables, les chemins de traverse et les rencontres inoubliables, en immersion autant que possible dans les populations. Mais d’abord dans l’histoire, aussi riche que mouvementée et tragique, de ce peuple marqué à la fois par l’avènement d’un des plus puissants empires antiques qui a atteint son apogée entre les IXe et XIVe siècles… et d’un régime de terreur qui a emporté 2 millions de vies il y a à peine quarante ans.

1ère étape – S21, la mémoire du génocide

On n’entame donc pas une visite du Cambodge sans rendre hommage aux victimes des Khmers rouges en pénétrant dans le sinistre Centre S21, devenu le musée Tuol Sleng. Un ancien lycée transformé en centre de détention et de torture par Pol Pot et sa clique dans la seconde moitié des années 70, dont les salles de classe ont abrité les pires atrocités commises durant le génocide. C’est aujourd’hui un lieu de mémoire constellé de photos et témoignages illustrant la folie sanguinaire qui s’est emparée des dirigeants de l’éphémère Kampuchéa démocratique.

Indispensable à la compréhension du pays, a fortiori si on entend partir à la rencontre de ses habitants. Ils gardent intacts les stigmates de cette époque encore vivace, puisque des maquis khmers rouges ont subsisté jusqu’au début des années 2000, alors qu’on déterrait toujours quotidiennement des mines enfouies aux abords des villages… et des temples. Ce n’est heureusement plus qu’un mauvais souvenir, que les nombreux villageois qui y ont laissé un membre garderont quand même à vie.

Le mémorial de Tuol Sleng, à Phnom Penh, rend hommage aux 2 millions de victimes du génocide khmer rouge.
Le mémorial de Tuol Sleng, à Phnom Penh, rend hommage aux 2 millions de victimes du génocide khmer rouge. © PHILIPPE BERKENBAUM

A Tuol Sleng, on choisit l’accompagnement d’un guide pour mieux comprendre la logique démente d’un régime qui voulait créer une société communiste sans classes en éradiquant toutes les têtes qui sortaient du rang, jusqu’aux simples porteurs de lunettes supposés intellectuels. Salles de torture, cellules de détention où s’entassaient jusqu’à cinquante prisonniers nus et affamés… jusqu’aux crânes ramassés dans les innombrables charniers découverts après la défaite des Khmers rouges en 1979 et alignés dans des vitrines. On ne sort pas indemne de cette plongée dans la cruauté humaine, comparable à celle déployée par les nazis chez nous. Mais on fait le plein d’empathie à l’aube d’un voyage initiatique.

2e étape – La douceur du golfe de Siam

Commençons par décompresser. De Phnom Penh, on prend la route vers la côte du golfe de Siam en s’accrochant à son siège, tant la circulation est chaotique. Direction Sihanoukville, l’ancienne station balnéaire prisée des colons français au temps de l’Indochine, envahie aujourd’hui par les investisseurs chinois, les casinos et les grues. Le charme d’antan a en partie disparu, mais ce n’est qu’une (courte) étape. On rejoint le port pour embarquer sur un ferry, direction les îles paradisiaques qui ponctuent l’océan translucide à deux heures de navigation.

Notre choix s’est porté sur Koh Rong – 9 km sur 15 de longueur et 43 km de plages – pour séjourner, mais on emprunte facilement un petit bateau traditionnel en bois pour en visiter d’autres, constellées de villages de pêcheurs, d’étendues de sable enchanteresses et de forêts tropicales, d’où émergent des collines offrant une vue à couper le souffle sur tout l’archipel. Les amateurs de plongée s’en donnent à cœur joie, les routards posent leur backpack sur les terrasses de charmantes cabanes plantées dans l’eau, les vacanciers épuisés se ressourcent loin de leurs tracas.

Koh Rong ou la douceur de se laisser vivre dans les eaux translucides du golfe du Siam.
Koh Rong ou la douceur de se laisser vivre dans les eaux translucides du golfe du Siam. © PHILIPPE BERKENBAUM

Les somptueux couchers de soleil s’admirent en se balançant doucement dans un pneu attaché au bout d’une corde sous un palmier, tandis que les enfants du cru batifolent dans une eau à 28 °C en criant leur insouciance. Trois jours suffisent pour recharger les accus les plus vides, même si on aimerait y rester 100 ans.

3e étape – Les cités lacustres du Tonlé Sap

Retour sur terre pour rallier par la route l’ancienne capitale impériale en passant par le Tonlé Sap. Merveille de la nature, c’est le plus grand lac d’eau douce de l’Asie du Sud-Est, reconnu réserve de biosphère par l’Unesco. C’est aussi une curiosité hydrologique: le cours de la rivière qui l’alimente s’inverse deux fois par an en fonction de la mousson, le lac servant de déversoir lorsque les eaux montent et de réserve lorsqu’elles baissent, avec une surface variant du simple au sextuple. Un écosystème unique qui offre aussi la zone de pêche la plus productive du monde.

Rien d’étonnant à ce que de nombreux villages se soient développés sur ses berges. Sauf que celles-ci étant plutôt inondables, les habitants les ont construits lacustres. Les uns sur de hauts pilotis (la profondeur du lac peut varier de 1 à 9 mètres), les autres flottant sur des terres inondées, où même les forêts sont immergées. La vie se passe alors sur l’eau, les déplacements se font en barque à moteur, les commerces itinèrent en bateau et les enfants vont à l’école en pirogue. Des dizaines de milliers de familles y vivent de la pêche et de l’élevage… de crocodiles.

Les marées de Tonlé Sap obligent des milliers de villageois à vivre dans des cités flottantes installées sur ses berges.
Les marées de Tonlé Sap obligent des milliers de villageois à vivre dans des cités flottantes installées sur ses berges. © PHILIPPE BERKENBAUM

Parfois de l’accueil de touristes: pas d’hôtel au cœur des villages lacustres du Tonlé Sap, on séjourne chez l’habitant pour partager son quotidien pendant un jour ou deux, au fil de l’eau et au bruit des crocos immergés dans leurs viviers à quelques mètres.

4e étape – Les temples aux racines millénaires

Enfin les temples d’Angkor. On séjourne à Siem Reap, la grande cité touristique des environs, pour rayonner dans un périmètre de plusieurs dizaines de kilomètres à la découverte de merveilles parfois cachées au plus profond de forêts denses. Les traces les plus anciennes de la civilisation khmère remontent à l’Antiquité, mais l’empire qui a bâti ces véritables merveilles du monde a connu son apogée il y a 1 000 ans. Angkor Thom, sa capitale fortifiée, a abrité jusqu’à près d’un million d’habitants sur 400 km2.

Temples, palais, galeries, fortifications, murailles, gravures, sculptures et bas-reliefs… Malgré les pillages qui se sont succédé au long des siècles – même l’écrivain et ministre français André Malraux a été condamné pour s’être lui-même servi à la scie et au burin –, les vestiges sont innombrables, plus saisissants les uns que les autres. La palme à Angkor Wat, à la fois le mieux conservé et le plus emblématique monastère d’Angkor, avec ses trois tours caractéristiques disposées en quinconce et ses entrelacs de galeries ornées de bas-reliefs dédiés à la mythologie hindoue. On peut l’arpenter des journées sans se lasser, mais mieux vaut se lever avant l’aube pour un lever du soleil sans la foule, reflets du temple en prime dans les mares piquées de nénuphars pourpres.

Au Ta Prom, les fromagers ont envahi la pierre et noient les vestiges du temple dans un entrelacs de racines.
Au Ta Prom, les fromagers ont envahi la pierre et noient les vestiges du temple dans un entrelacs de racines. © PHILIPPE BERKENBAUM

Nous nous perdons volontairement plusieurs jours dans la campagne environnante, en quête des plus beaux sites dont le fameux Bayon avec ses Bouddha géants multi-faces ou le légendaire Ta Prohm, popularisé par Lara Croft dans Tomb Raider. Les fromagers y ont envahi la pierre, noyant les vestiges du temple sous une jungle de racines aériennes. Il en existe des dizaines d’autres plus ou moins éloignés de Siem Reap, plus beaux ou intrigants les uns que les autres. A pied, en tuk-tuk ou à vélo, nous en visitons plus de quinze sans jamais être rassasiés.

Nous traversons aussi des régions où les villageois pêchent au filet dans les rivières, cultivent le riz dans d’immenses rizières et ramassent les insectes (grillons, sauterelles, vers et… araignées) pour s’en nourrir, héritage protéiné des années de famine liées à l’avènement du régime khmer rouge. Nous traquons même la mygale avec nos hôtes d’une nuit avant de la rôtir au barbecue et, croyez-le ou non, d’y goûter sans (trop) nous faire prier. Arachnophobes, à vos papilles: c’est le moyen idéal de vaincre votre phobie, on peut en témoigner! Vous en trouverez à profusion dans les marchés locaux, comme sur les plateaux des marchands ambulants de Siem Reap. Avec d’autres bestioles apparemment comestibles…

Le Mékong, fleuve sacré qui irrigue tout le Sud-Est asiatique pour offrir aux populations une bonne partie de leurs moyens de subsistance.
Le Mékong, fleuve sacré qui irrigue tout le Sud-Est asiatique pour offrir aux populations une bonne partie de leurs moyens de subsistance. © PHILIPPE BERKENBAUM

5e étape – Au fil du Mékong

Changement d’atmosphère en roulant vers le nord, à la frontière avec le Laos que l’on peut aisément franchir pour une incursion chez ce voisin lui aussi fascinant. On rejoint un autre mythe, ce Mékong qui irrigue tout le Sud-Est asiatique depuis le Yunnan chinois jusqu’au Viêt Nam, en traversant tout le Cambodge. Notre voiture prend la route, nous empruntons un petit bateau pour une journée de navigation sur le fleuve en direction du sud. Avant d’embarquer, on profite de l’incroyable dédale de canyons dans lesquels les eaux tumultueuses se frayent d’innombrables passages en cascadant dans les roches. Les chutes de Khone en ont creusé une dizaine de kilomètres avec un débit parmi les plus puissants du monde. Aucun bateau ne peut les franchir mais elles abritent le plus gros poisson d’eau douce de la planète, le poisson-chat géant du Mékong. Difficile à apercevoir, il n’en reste que très peu.

A pied, en tuk-tuk ou à vélo, on peut se perdre des journées entières dans la jungle luxuriante.
A pied, en tuk-tuk ou à vélo, on peut se perdre des journées entières dans la jungle luxuriante. © PHILIPPE BERKENBAUM

En navigant au fil du fleuve, on observe avec ravissement une autre espèce marine endémique, le dauphin de l’Irrawaddy. Unique en son genre avec sa tête ronde et sa nageoire dorsale atrophiée, proche du béluga en plus petit, il est lui aussi menacé d’extinction mais protégé au Cambodge. On franchit ensuite quelques rapides avant d’accoster sur un banc de sable pour le plaisir d’une baignade dans le Mékong. Nous sommes au bout du monde mais pas de nos belles surprises.

Terminus sur la petite île de Koh Tronh, où nous passons notre dernière nuit chez l’habitant avant de rejoindre Phnom Penh pour un tour des temples, musées et autres curiosités de la capitale. Le contraste est absolu avec ce paisible village isolé au milieu du fleuve, où l’on n’accède qu’en bateau et où l’on ne circule qu’à vélo, en scooter… ou en char à bœufs. Nous sommes accueillis par une fête, non pas en notre honneur mais pour un mariage, où l’on nous invite à rejoindre les invités jusque tard dans la nuit. La musique bat son plein, les victuailles abondent, la boisson coule à flots et l’on se sent proches de ces gens avec qui l’on ne partage qu’une langue commune, celle du sourire. Ce pays porte bien son surnom.

EN PRATIQUE

Formalités

Un passeport vaccinal en règle suffit si l’on veut éviter les tests PCR et le risque de quarantaine. Le visa touristique s’obtient sans frais à l’aéroport d’arrivée.

Y aller

On peut se débrouiller seul mais mieux vaut louer une voiture avec chauffeur faisant office de guide… et de traducteur si l’on veut échanger avec les populations locales. Plusieurs agences travaillent avec des ONG bien implantées qui organisent des séjours ou de simples rencontres avec les habitants et permettent de s’initier avec eux à la cuisine, à l’artisanat, au travail de la soie, à la culture du riz… Citons par exemple Voyageons Autrement, Emotion Planet et Voyageurs du Monde. Comptez environ 1 000 euros A/R pour voler cet été avec Brussels Airlines et Lufthansa, Thai ou Emirates.

Se loger

Mystères d’Angkor. On apprécie le charme et l’excellente situation de ce joli boutique-hôtel situé à Siem Reap. Un lieu organisé autour d’un jardin luxuriant et d’une piscine rafraîchissante.

Bugs Café. Tenu par un couple franco-cambodgien, l’établissement propose de goûter à tous les insectes comestibles du Cambodge sous la forme de tapas et salades élaborés avec soin. Une expérience à la limite de la gastronomie. Réouverture imminente à surveiller sur leur page Facebook.

Quand partir?

Climat semi-tropical, chaud et humide. Ensoleillé toute l’année, le Cambodge est agréable à visiter à tout moment. La saison sèche s’étend de novembre à mars mais la saison des pluies n’apporte que des orages sporadiques et une eau nourricière très attendue par les populations, qui engendre des scènes de vie et des rencontres uniques. C’est la période des plus belles lumières pour les amateurs de photos.

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