Un carnaval contestataire et engagé à Rio dans le Brésil de Bolsonaro

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Après avoir vu déferler la vague ultra-conservatrice qui a porté Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil, Rio de Janeiro s’apprête à vivre à partir de vendredi un carnaval contestataire, qui met en valeur les femmes, les Noirs et les Indiens.

Dans un déluge de strass et de paillettes, 14 écoles de samba défileront avec faste au sambodrome, avec un message souvent à contrepied du discours raciste, machiste et homophobe du nouveau chef de l’Etat.

– Hommage à Marielle Franco –

Mangueira, une des écoles les plus populaires, a choisi de montrer la face cachée de l’histoire brésilienne, représentant sur ses chars les héros « populaires » souvent absents des livres scolaires.

« L’histoire traditionnelle a choisi ses héros, érigé ses monuments, mais les Indiens, les Noirs et les pauvres n’ont pas été transformés en statues », déclare le directeur artistique de cette école, Leandro Vieira.

Mangueira fait ressurgir ainsi les noms de héros méconnus, comme celui de Dandara, guerrière noire et épouse de Zumbi dos Palmares, leader emblématique de la révolte des esclaves au XVIIe siècle.

Les paroles de la chanson qui sera scandée en boucle lundi soir lors du défilé qualifient la colonisation du Brésil par le Portugal à partir de 1500 « d’invasion plutôt que de découverte ».

« Nous montrons le courage des Noirs, en évoquant des personnages très importants, notamment des femmes noires, mais aussi les Indiens, pour montrer qui sont les vrais bâtisseurs de l’histoire du Brésil », explique à l’AFP Evelyn Bastos, qui défilera comme Reine de la batterie de Mangueira, au coeur d’un groupe de percussionnistes.

La chanson rend également hommage à Marielle Franco, conseillère municipale noire de Rio née dans une favela et fervente protectrice des minorités, assassinée il y a près d’un an. Son ex-compagne Monica Benicio participera au défilé de l’école.

– Jean-Paul Gaultier avec Portela –

Autre école très traditionnelle du carnaval de Rio, Portela rendra hommage à Clara Nunes, chanteuse des années 70 qui exaltait en musique les religions afro-brésiliennes, aujourd’hui décriées par certains représentants d’églises évangéliques qui soutiennent ouvertement Jair Bolsonaro.

« En ce moment, beaucoup de gens sont victimes de discrimination en raison de leur couleur de peau, de leur religion et de leur orientation sexuelle », affirme Raphael Perucci, un des porte-parole de l’école.

« C’est pour ça que c’est important de rendre hommage à Clara Nunes, qui incarne la tolérance religieuse, en ces temps de crispation », ajoute-t-il.

Portela, qui célèbre ses 96 ans en avril, garde dans le plus grand secret des costumes signés Jean-Paul Gaultier.

Le couturier français, qui ne se rendra pas à Rio pour le Carnaval, a dessiné les costumes de 120 membres de l’école qui défileront dans la nuit de lundi à mardi.

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– Restrictions budgétaires –

Malgré tout le faste qui entoure les fabuleux défilés du sambodrome, les écoles ont de plus en plus de mal à boucler leurs budgets.

L’ex-pasteur évangélique Marcelo Crivella, maire de Rio depuis début 2017, a réduit de moitié les subventions du carnaval.

Le porte-parole de Portela a indiqué qu’à quelques jours des défilés, les écoles n’avaient reçu que la moitié des 500.000 réais (environ 117.000 euros) qui leur sont destinés.

Le maire, qui n’a jamais caché sa réticence face à l’exubérance charnelle des festivités, considère que ces financements devraient être assurés par le privé.

Malgré ces difficultés, le carnaval reste un rituel sacré de catharsis collective dans un pays mal en point économiquement et divisé par les tensions d’une campagne électorale particulièrement délétère qui a abouti à l’arrivée au pouvoir d’un président d’extrême droite.

« Le carnaval, c’est comme la Coupe du monde. Au final, tous les gens qui défilent sont des travailleurs qui veulent s’amuser, au moins une fois par an », conclut Raphael Perucci.

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