2020, une année acide et amère

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Eva Kestemont
Eva Kestemont Journaliste Knack Weekend

Loin d’être le titre d’une carte blanche pessimiste pour l’avenir, cela annonce au contraire une époque où nous allons élargir notre palette de goûts avec des saveurs a priori moins accessibles.

La douceur s’est envolée

Bien sûr, la saveur sucrée ne disparaîtra jamais tout à fait. La douceur sera toujours présente dans nos coeurs et sur nos palais. Après tout, c’est l’une des premières saveurs que nous connaissons à travers le lait de notre mère. Il n’est donc pas surprenant que nous continuions à l’associer à tout ce qui est bon, même à l’âge adulte. Au regret de nombreux diététiciens d’ailleurs. L’accoutumance à des produits dont le goût a été réduit au sucré après d’innombrables transformations nous pousse à vouloir toujours plus. Et ce malgré qu’ils soient riches en calories. Les choses sont cependant en train de changer. Quiconque en 2020 va commander une boisson (non alcoolisée) ou prendre un dessert dans un restaurant risque d’être surpris. Parce que cette année, une tendance commence à s’imposer pour de bon. Nous sommes en effet de plus en plus nombreux à penser qu’un plat sucré n’est non seulement pas très sain, mais qu’il est aussi souvent ennuyeux. De quoi lui faire perdre de nombreux adeptes.

Manger vrai

Cependant, ce n’est pas seulement une aversion pour le sucre qui fait que nous souhaitons aujourd’hui davantage varier les saveurs. La façon dont une grande partie de nos aliments et boissons sont fabriqués nous pousse à élargir nos horizons gustatifs. En réponse à l’industrialisation toujours plus poussée de notre alimentation, nous nous tournons vers des produits plus artisanaux, plus responsables. Du coup, nous revenons vers des recettes d’une époque où l’industrialisation n’était pas si omniprésente.

Ce mouvement ne se limite pas seulement aux saveurs. Nous achetons de plus en plus nos légumes auprès de producteurs locaux ou via d’autres initiatives à chaîne courte. Dans certains cas, nous achetons même en gros parce que les agriculteurs n’ont pas l’équipement nécessaire pour précouper le chou et l’emballer en petites portions. Résultat: les (vieilles) techniques de conservation et de traitement des aliments, telles que la fermentation et la mise en bocal, sont de plus en plus populaires depuis des années. Et dans ces processus naturels de préservation, l’acidité joue un rôle important.

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Loin de l’ici et maintenant

De plus, l’essor des médias sociaux encore élargit nos horizons. Si les cuisines italienne et française avaient déjà envahi nos cuisines au siècle dernier, dans les années 2010, c’est la cuisine du Moyen-Orient qui a fait son apparition. En partie à cause de la recherche d’alternatives à la viande, nous sommes devenus des adeptes de masse de Yotam Ottolenghi et autres. Les restaurants libanais, israéliens et iraniens sont apparus par dizaines. Ces traditions culinaires ont également contribué à rendre l’acidité à nouveau populaire. On ne lésine désormais plus sur le jus de citron vert, le citron confit, la grenade, le yaourt ou encore le sumac, …

Il serait réducteur de limiter la renaissance de l’acidité à un groupe de culihipsters qui ne jure que par la fermentation. Après tout, les préférences gustatives sont toujours déterminées par la culture, et l’appétit croissant pour l’aigre peut aussi s’expliquer par des tendances sociétales. L’acidité, qui s’oppose au cliché selon lequel les enfants n’aiment que la douceur, est un goût qui nous ramène à notre enfance insouciante et où on mangeait des tonnes de bonbons acidulés. Le goût acide pourrait-il avoir l’effet d’une madeleine de Proust ?

De toxique à recherché

Le gin-tonic, qui aurait dû annoncer le retour de l’amertume, n’est en réalité pas aussi amer qu’on le pense. Quiconque le goûte réellement (ou jette un coup d’oeil à sa composition chimique) apprendra que ce cocktail est tout aussi amer que divers produits que nous utilisons depuis des années, comme une pinte ou un morceau de chocolat. Il en ressort que nous sommes terriblement mauvais pour distinguer l’amertume.

La cause réside dans quelques centaines de siècles d’évolution. Quand nous étions chasseurs-cueilleurs, nous goûtions l’amertume beaucoup plus vite. A cette époque, c’était une question de vie ou de mort puisque le goût d’un aliment indique souvent sa toxicité. Une faible quantité peut avoir un effet curatif, mais une trop forte dose de feuilles amères pourrait être fatale. En ce sens, l’amertume fonctionne comme un guide. Au cours des siècles, les gens ont développé toutes sortes de méthodes pour détoxifier les plantes amères non comestibles et même les rendre savoureuses. La découverte du feu et des aliments cuits, et le passage d’une alimentation purement végétale à une alimentation plus animale, ont rendu l’homme d’aujourd’hui moins sensible à l’amertume que les autres espèces animales. Notre alarme de goût fonctionne toujours, mais elle est moins nécessaire. C’est pourquoi nous pouvons aujourd’hui aussi apprécier le goût de l’amertume.

La nourriture vraie, partie 2

Ce nouvel élan pour l’amertume semble également s’expliquer par le désir d’une nourriture plus naturelle. De nombreuses manipulations génétiques ont transformé le goût naturel des légumes et épices, tels que la chicorée, la roquette ou les radis, en une variété plus accessible gustativement. Beaucoup de gens ont perdu le contact non seulement avec la façon dont les aliments sont cultivés, mais aussi avec le goût qu’ils sont censés avoir.

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Cependant, si vous achetez la chicorée qui vient directement du champ, il est dommage de déguiser son goût robuste avec du sucre. Dans un monde où il est de moins en moins probable que nous soyons empoisonnés de façon aiguë par ce que nous achetons au magasin, l’amertume peut s’exprimer. C’est pourquoi les producteurs de beaucoup de boissons osent aujourd’hui aller beaucoup plus loin dans ce domaine.

L’année 2020 sera donc une année acide et amère. Pourtant, ces deux saveurs ne seront pas les seules à conquérir nos verres et nos assiettes. Les saveurs salées et l’umami gagnent aussi du terrain. Surtout à une époque où le végétarisme (à temps partiel) ne cesse de croître, les sources végétales qui ont du corps risquent d’être très demandées. Bref, nous sommes loin d’avoir fini de parler de nourriture et cette année promet d’être surtout très savoureuse.

Des aliments acide ou amer à goûter dans l’année qui vient :

Vinaigre de cidre de pomme, artichaut, cornichon

Des bitters dans les cocktails, brocolis, le melon amer

Cidre

Chocolat Noir

Enoki, des cèpes.

Feta, vinaigre de framboise

Gueuze, gingembre, goyave

Des pousses de houblon, des bouchées de hareng

IPA

Jackfruit

Kéfir, kimchi, kombucha, kumquat

Chaux

Feuille de moutarde, mate

Natto

Sauce aux huîtres, eau de fleur d’oranger

Champignons

Rhubarbe, radicchio, roquette

Cassis, sauge, sauce soja, choux de Bruxelles, salsifis

Tamarinde

Umeboshi (prune aigre japonaise)

Canneberges, sauce de poisson

Chicorée

Yogourt (grec), yuzu

Choucroute, crème fraîche, oseille

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