5 chefs belges nous parlent de leurs couteaux préférés
C’est l’outil indispensable de tous les bons cuisiniers. Mes comment bien le choisir? Cinq représentants de notre gastronomie nationale nous parlent de leurs couteaux fétiches, avec amour.
Nicolas Tournay, chef au Mont-à-Gourmet (Courcelles), Premier cuisinier de Belgique 2020 (Concours Prosper Montagné)
Sur la photo: Désosseur Kaï, cadeau de son épouse, et bec d’oiseau Global.
« Je porte beaucoup d’attention aux couteaux, mais je n’achète que par nécessité, pas par envie. Avec mon premier salaire à l’Essentiel, mon premier poste, je me suis acheté des couteaux Global. Ce n’était pas les plus chers, mais pour un jeune qui commence, c’était un gros investissement. Je les ai encore, ils ont été bien rentabilisés. Le couteau, c’est un outil du quotidien, il faut trouver celui qui vous convient. Mon épouse m’a offert un désosseur Kaï que j’aime beaucoup et je suis en train de créer un couteau sur mesure avec Cauhant forge, un artisan du côté de Verviers. J’ai envie de retrouver le ressenti de grandes marques, mais avec quelque chose de plus authentique, une signature entre l’artisan et le cuisinier. C’est en cours de fabrication. J’ai parfois envie de dire aux jeunes qui débutent et ont déjà une mallette à 1500 euros que c’est comme une course automobile, il faut la voiture, mais il faut le pilote aussi. C’est extrême, mais ce n’est pas loin: il faut d’abord apprendre les bons gestes, le couteau n’est là que pour aider. »
Ses préférences: « Je n’aime pas les trop grandes lames. Pour le manche en revanche, je préfère un beau manche large, épais qui sera plus adapté à mes mains que des manches comme des baguettes chinoises. »
Son souvenir émerveillé: « Un jour, mon premier chef m’a passé son couteau à l’envoi, pour découper une pièce de viande au passage. Quand on est commis et qu’on prend un couteau comme ça, ça fait une sensation dont on se souvient. »
Une adresse favorite: « J’aime les artisans plus traditionnels comme la coutellerie Depireux à Gembloux. C’est une maison qui est là depuis des années, je fais aiguiser mes couteaux là depuis le début et j’achète mes instruments chez lui, car il y a un suivi. »
Son rêve: « J’aimerais aller au Japon pour rapporter des couteaux authentiques, pas les marques internationales qu’on trouve partout. »
Peter Goossens, chef du Hof van Cleve (Kruisem)
Sur la photo: bloc de couteaux à steak d’Antoine Van Loocke et couteau chef ramené du Japon.
« Dès que je vois un magasin de couteaux; je rentre! J’en ai ramené du Japon à l’époque où ce n’était pas encore connu en Belgique. Le fer est différent et la lame a un côté droit que l’on passe sur le poisson alors que nos lames sont souvent symétriques. C’est typique pour les poissons crus. Je les sors dès que je dois couper des sashimis. Il faut adapter le couteau à ce que l’on coupe, pour les herbes par exemple: on ne peut pas les hacher sinon elles brunissent, il faut les couper et donc avoir un couteau aussi tranchant qu’une lame de rasoir. Ce qui fait un bon couteau, c’est d’avoir la lame en une pièce et ensuite les deux morceaux du manche sont posés par-dessus. Beaucoup ne sont pas faits comme ça.
En salle, l’on présente les couteaux qui ont été faits pour nous par un artisan, Antoine Van Loocke. Il a créé une forme et travaille à partir de couteaux chinés en ivoire, en bois précieux… Le maître d’hôtel fait une présentation autour de ça et c’est gai de laisser choisir les clients, c’est amusant. »
Son set: « J’ai toujours cinq à six couteaux dont un couteau à éplucher, un désosseur, un couteau plus flexible pour les filets de sole et une lame rigide qui convient par exemple pour les gros bars. Les autres, je les sors pour un usage particulier, quand j’en ai besoin. »
Ses préférences: « J’aime beaucoup les couteaux japonais, les Kaï, les Global mais cela évolue. Il y a des tendances, des marques sont au top puis deux ans plus tard, ce sont des autres. »
Son mauvais souvenir: « J’ai un doigt de la main gauche qui n’est plus droit. Ça s’est passé dans les années 80, quand je travaillais encore en France. Je me suis coupé le tendon avec un couteau. J’ai été opéré quatre fois mais sans succès. Au début, c’était gênant pour cuisiner mais je me suis habitué. »
Son couteau d’art: « J’ai un couteau en Damas (NDLR: acier composé de multiples couches formant des motifs), c’est superbe mais je ne l’utilise pas. C’est le boulot d’un super artisan mais c’est surtout joli, ça ne coupe pas mieux qu’un autre couteau. C’est trop cher pour moi pour être utilisé en cuisine. Il est dans un tiroir à la maison, je le regarde de temps en temps. »
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Stéphanie Thunus, cheffe au Gré du Vent (Seneffe)
Sur la photo: Demi-chef Misono offert par son confrère Evan Triantopoulos
« Mes premiers couteaux, c’était pour l’école, mais ensuite j’ai voulu m’en offrir d’autres, de meilleure qualité. Dans une de mes premières maisons (au Switch), je n’avais pas un gros salaire, mais je mettais de côté mes pourboires. C’est comme ça que je me suis offert mon premier couteau japonais. Il est bien usé, mais il est encore sur mon plan de travail au restaurant. J’ai un jour dit en interview qu’il y a deux choses que je ne vendrais pas: un bijou de ma grand-mère et mes couteaux, et c’est vrai. Il y a quelque chose d’émotionnel. Quand j’ai quitté le Grill aux Herbes pour m’installer, le chef m’a dit: « Choisis un de mes couteaux, tu pars avec. » C’est un Misono, j’aimais beaucoup l’utiliser. Je lui chipais parfois; je crois que j’étais la seule à pouvoir lui prendre, d’ailleurs! On ne se prête quasiment jamais nos couteaux, c’est un outil très personnel, mais là il y avait quelque chose de l’ordre de la transmission. J’aimerais aller au Japon et voir une personne là-bas en train de fabriquer un couteau, ça doit être très intéressant. »
Son set: « J’en ai cinq ou six que j’utilise tout le temps et que j’adapte en fonction de ce que je dois préparer. J’affectionne les couteaux japonais, pour tout. Je n’ai pas encore de couteau belge, mais ça pourrait me plaire. »
Ses préférences: « J’aime beaucoup les Kaï. J’ai aussi un Misono. Je n’ai pas de grandes mains donc je travaille mieux avec des couteaux plutôt courts, pas trop lourds, de type demi-chef. Le geste doit être facile à faire, y compris quand il faut mettre de la force. J’ai d’ailleurs un couteau dans une boîte que je n’ai jamais utilisé. Il est superbe, mais il est trop grand pour moi, il ne me convient pas. »
Une bonne adresse: « Quand j’étais dans la capitale, j’aimais me balader dans les anciens magasins de coutelleries qui sont en plus souvent dans d’anciennes galeries, ce sont des passionnés. A Seneffe, il n’y a pas ça. Deux fois par an, on apporte tous les couteaux à la Coutellerie du Roi, à Bruxelles, pour les aiguiser, au quotidien on les passe au fusil. »
En salle: « Il est important que le client ait quelque chose qui est représentatif de la maison, y compris dans le couteau de table. C’est de l’image et c’est important pour déguster. Il faut que ça soit dans la continuité. On a des Laguiole et des Guy Degrenne, suivant ce que l’on sert. »
Nicolas Decloedt, chef chez Humus x Hortense (Bruxelles)
Sur la photo: couteau chef japonais (Japanese Knife Company)
« Les chefs ont tendance à accorder moins d’importance aux couteaux dédiés aux légumes qu’à ceux qu’ils utilisent pour la viande ou le poisson. Or, quand on travaille les légumes, la découpe est essentielle. C’est dans les détails que l’on passe de quelque chose de commun ou déjà vu à autre chose. Plus il y a de précision dans la découpe, plus il y en aura dans la cuisson et avec un bon produit, le résultat est incroyable. Un bon couteau permet de ne pas écraser, de ne pas perdre de jus… En quelques secondes, en prenant un couteau en main, je sais s’il va me convenir ou non. On en parle peu mais l’éplucheur est aussi extrêmement important. La plupart des gens le gardent des années alors qu’il n’est plus efficace. Mais prenez des asperges blanches par exemple; il faut les traiter avec respect, ne pas les abîmer avec un vieil éplucheur. J’aime les couteaux japonais en général et au restaurant on adore aussi utiliser leurs mandolines. »
Son set de base: « Je ne crois pas que ça serve à grand-chose d’avoir un set de dix ou quinze couteaux. J’en ai trois, quatre avec lesquels j’arrive à tout faire. Je choisis en fonction du travail. Avec un couteau d’office que la ménagère a dans sa cuisine et un demi-chef, on fait déjà pas mal de choses. »
Sa préférence: Les lames japonaises, assez fines. « Les deux derniers que j’ai achetés sont des couteaux japonais et ils coupent très net, c’est ce que je recherche. Ils me donnent encore plus de précision. »
Une adresse fétiche: Japanese Knife Company, à Paris. « C’est mon sous-chef qui m’a parlé de cette adresse. Ils travaillent avec des couteaux japonais qui sont importés directement, tout est fait à la main, c’est du haut de gamme. Ils mettent des planches et des légumes à disposition pour que l’on puisse les tester. »
En salle: « Les couteaux sont dans des blocs en bois sur la table. On a choisi quelque chose de net, avec un design qui nous plaît sans chercher une marque spécifique. »
Hendrik Dierendonck, boucher star
Sur la photo: couperet familial
« Quand j’avais 15 ans, je devais travailler le matin dans la boucherie et l’après-midi j’allais faire du skateboard. Lorsque je rentrais, les os que j’avais désossés m’attendaient sur la table. Mon père me disait: on a tué un animal pour ça, un fermier a fait du bon travail, il ne peut pas rester le moindre morceau de viande sur l’os. Il avait raison et c’est encore la philosophie du magasin. Pour arriver à ce résultat, il faut un très bon couteau. Les bouchers travaillent avec le couteau d’une autre manière que les chefs; on a tendance à le tourner dans tous les sens en utilisant l’avant et l’arrière. Mon père avait un couperet que j’utilisais aussi et utilise encore. Quand j’en achetais un autre, il disait qu’il ne convenait pas. Puis, j’ai rencontré Tomer Botner (NDLR: coutelier en vue de Florentine Kitchen Knives), il a refait un couteau avec le même volume, le même poids que le sien. Pour la première fois, mon père l’a aimé. Récemment, j’ai produit des couteaux avec lui, pour les vendre au magasin dès cet automne. On est dans une société du jetable, mais j’ai l’impression que l’on revient à plus de respect de ce genre d’outils et de jeunes artisans belges comme Clem Vanhee (Atelier 185) font un travail remarquable. »
Son set: « J’ai les anciens couteaux de mon père et souvent, quand je vais quelque part, j’achète un couteau. Je ne vais pas dire que c’est un hobby, mais à force de travailler avec ces outils, ils prennent de l’importance. L’essentiel pour moi, c’est le couperet et aussi le bloc. C’est comme un bureau ou un autel dans une église, c’est central. »
Ses préférences: « Il faut un couteau avec lequel on a une vraie connexion. On est habitué à un certain poids, un équilibre. Le simple fait d’aiguiser change cela et il faut alors utiliser le couteau un peu différemment à chaque fois. »
Son rêve: « J’aimerais créer un couteau moi-même, de mes mains. Je voudrais le chauffer, l’aplatir, lui donner une personnalité. Je ne sais pas encore comment je ferai, mais j’imagine déjà choisir le bon fer, etc. Je n’ai pas encore pris le temps, mais il faut que je suive un workshop. »
Le bon couteau de table: « Je n’aime pas les couteaux à dents, c’est inutile si on a une bonne viande. Mais une bonne viande est parfois dure, on a reçu des dents, c’est pour mâcher! Collier, carbonnade, paleron… toutes les parties sont bonnes. Pour les manger, il faut un couteau qui coupe bien. »
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