Michel Verlinden
Chronique l Thierry Marx et le mochi de la discorde
Coup de cœur ou coup de gueule? Nos journalistes dissèquent quelques faits interpellants de l’actu lifestyle. Ici, Michel Verlinden, notre journaliste culinaire revient sur une anecdote pour le moins croustillante…
Il y a quelques mois, le site du Parisien diffusait une vidéo dans laquelle Thierry Marx, figure majeure de la gastronomie française, était invité à goûter des mochis à l’aveugle. Devant le cuisinier étoilé, un éventail de ces douceurs japonaises, allant du «pire» au «meilleur». Sans en connaître la provenance, le chef de Madame Brasserie devait les évaluer. Et le verdict a surpris.
En haut du podium, l’intéressé avait désigné un produit Lidl, tandis que la version artisanale se voyait reléguée en dernière position. Ce renversement inattendu a rappelé un aspect souvent négligé de l’expérience gastronomique: combien de nos jugements gustatifs reposent réellement sur nos papilles, et combien sont influencés par ce que l’on sait, ou croit savoir, de ce que l’on mange? Cette anecdote n’est pas passée inaperçue. Les réseaux sociaux se sont enflammés, certains y voyant une occasion de railler Thierry Marx. Le site Bouillant(e)s, sous la plume de Franck Pinay-Rabaroust, ancien enquêteur Michelin, lui a ainsi reproché tant son attitude qu’une perte totale de discernement.
Cette vague de critiques semble passer à côté de l’essentiel et illustre l’adage «Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt.» L’erreur de Marx n’est pas celle d’un imposteur, mais bien celle d’un professionnel confronté à une situation parasitant les mécanismes de l’analyse gastronomique. Ce test ne nous éclaire pas sur de quelconques compétences, mais plutôt sur la complexité du goût.
Car la dégustation n’est jamais neutre. Au-delà des saveurs perçues, ce sont les indices — visibles, culturels, narratifs — et le «zeitgeist» qui façonnent notre jugement. A cet égard, les critiques fonctionnent comme des sémiologues. Chaque détail s’apparente à un signe à décoder, du choix de la vaisselle à la gestuelle du service. Ces éléments racontent une histoire qui vient enrichir les impressions gustatives.
Juste une illusion ?
Privé de repères, le dégustateur se retrouve face à une vérité brute, où la bouche seule est juge. Ce dépouillement, s’il peut paraître plus juste, expose une faille: nos papilles, sans les indices contextuels, semblent moins fiables. Cela ne signifie pas que le goût est une illusion, mais plutôt qu’il s’agit d’un système sophistiqué, où l’esprit joue un rôle presque aussi important que le palais. Cette construction mentale explique pourquoi des plats simples, lorsqu’ils s’inscrivent dans un récit cohérent — celui d’un terroir, d’une transmission… —, peuvent surpasser des créations techniquement irréprochables mais dépourvues d’histoire.
Plutôt que de voir dans cette expérience une défaite des papilles, elle pourrait être l’occasion de réhabiliter la place des signes dans la gastronomie. Un plat n’est pas qu’une somme de saveurs, mais aussi un langage, fait de traditions, de symboles et d’imaginaires. Privés de ce cadre narratif, il ne reste que les sensations immédiates. Mais ces dernières sont-elles suffisantes pour juger? Cette question, plus large, renvoie à notre façon d’appréhender le goût lui-même. Sommes-nous capables de distinguer ce qui est réellement bon sans les indices qui nous orientent? Ou bien le goût n’est-il qu’une illusion? Ce test révèle une vérité que l’on préfère souvent ignorer: le goût absolu n’existe pas. Méfions-nous de ceux qui prétendent l’incarner.
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