Manon Schenck élue Lady Chef 2023: « Il faut se battre pour gagner sa place » | Rencontre
Manon Schenck, de La table de Manon à Durbuy, a obtenu de nombreuses récompenses, dont récemment le titre de Lady Chef 2023. Tout ça «avec le cœur», dit-elle.
Si ce n’est déjà fait, Manon Schenck a tout intérêt à investir dans une vitrine à trophées. Car ces dernières années, la cheffe de La table de Manon à Granhan (Durbuy) a multiplié les distinctions. En 2021, le Michelin l’a décorée d’un Bib Gourmand, en 2022 du titre de «Young Chef of the Year» et cette année d’une première étoile. Début octobre, elle a pu ajouter le prix de «Lady Chef of 2023» à son palmarès. Un prix qui récompense «l’excellence, l’innovation et le leadership d’une femme chef sur la scène culinaire belge». Mais qui est cette Française, désormais adoptée par la Belgique et qui a su éblouir le jury de chefs et de critiques avec sa cuisine sophistiquée?
‘J’étais là, jeune fille au milieu de 25 chefs masculins. Ça forge le caractère. ‘
La jeune femme répond à nos questions depuis sa voiture. Même si chaque minute compte pour elle, elle reste cependant pleinement présente dans la conversation. Et elle semble sincèrement ravie de cette nouvelle consécration. «C’est absolument fantastique d’obtenir une telle reconnaissance pour tout le dur labeur, souvent invisible, effectué en cuisine», souligne-t-elle.
Parcours étoilé
Manon Schenck débarque dans les cuisines des restaurants à l’âge de 15 ans, comme stagiaire. «C’était un bastion masculin, se souvient-elle. J’étais là, jeune fille au milieu de 25 chefs masculins. Ça forge le caractère. C’est un milieu compliqué, et il faut se battre pour gagner sa place.» Une fois diplômée, elle travaille pour des chefs étoilés en Alsace, sa région d’origine, ainsi qu’au Luxembourg, avant de s’installer en Bretagne pendant cinq ans. C’est grâce à son associé qu’elle se retrouve dans les Ardennes belges.
Aujourd’hui, elle dirige la cuisine de son propre restaurant, La table de Manon, depuis huit ans. «J’aime décrire ma cuisine comme un triangle d’amour entre les cuisines alsacienne, bretonne et belge, explique-t-elle. De ma région natale, j’apporte mon amour des ingrédients frais: la choucroute est au menu chaque année, par exemple.» Pas sous la forme du plat d’hiver copieux que l’on connaît, mais plutôt comme une tarte délicate remplie de ce chou frais et acidulé.
«En Bretagne, je suis tombée amoureuse de la mer: ma cuisine regorge donc de saveurs iodées», poursuit-elle. Le menu «Souvenir de Bretagne» est une ode au homard bleu breton qu’elle importe vivant. Mais d’autres produits de là-bas, comme les algues, les fruits de mer et le sarrasin s’immiscent aussi souvent au menu. «Nous nous procurons également de merveilleux fromages, du beurre, du cidre et des bières auprès de producteurs ardennais locaux», se réjouit la Belge d’adoption.
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Les règles du concours Lady Chef
Le titre de Lady Chef n’est pas uniquement accordé sur CV: les cinq nommées (Manon Schenck, Marie Trignon de La Roseraie, Elien Verhulst de Vlass, Victor Avonds de Victor et Alice Pollet de Brut) ont dû cuisiner devant un jury.
«Pour le premier défi, Filip Claeys, membre du jury et chef 2-étoiles, avait préparé une boîte d’ingrédients avec lesquels nous devions improviser un plat en une heure et demie», raconte Manon Schenk. Une situation des plus palpitantes selon la cheffe. «Cela reste un concours, et le chrono tourne. Mais l’atmosphère était détendue: nous nous sommes soutenues et aidées mutuellement.»
Une convivialité qui règne également dans la cuisine de son restaurant, où une équipe exclusivement féminine est derrière les fourneaux.
«Cette tendance gagne du terrain dans les cuisines, ce qui me ravit. Le ton est moins dur, on accorde plus d’attention à l’aspect humain. C’est très différent de ce que j’ai connu à mes débuts. La pandémie y est pour beaucoup. L’horeca a été obligé de se réinventer. Pour être attirant, notre secteur doit rendre les emplois plus séduisants et proposer un meilleur équilibre entre vies professionnelle et privée grâce à des journées de travail plus courtes et à de meilleurs horaires, par exemple. L’époque où l’on pouvait bavarder sans fin au restaurant est révolue: nous aussi, nous avons besoin de pauses.»
L’argument du jury
Pour la seconde épreuve, les participantes ont dû préparer un plat emblématique. Manon Schenck a présenté une assiette surprenante d’agneau du Pays de Galles aux algues et à la salicorne marinée. «Les combinaisons terre et mer me passionnent. Au restaurant, je propose un tartare de bœuf avec des huîtres, un homard avec des ris de veau croustillants ou encore des coquilles Saint-Jacques avec des tripes.»
«Son association nous a convaincus. Au cours des épreuves, elle a réussi à captiver et à nous convaincre à chaque bouchée, explique Femke Vandevelde, présidente du jury. Dans un plat autour de l’agneau, elle a choisi une combinaison audacieuse d’une selle d’agneau farcie avec un tartare d’algues. En tant qu’artisane, elle a fait preuve de savoir-faire en transformant les restes de l’agneau en kefta. Si Manon est créative dans ses garnitures, elle garde le contrôle de sa base classique avec des cuissons maîtrisées et des sauces riches en nuances. Les saveurs de Manon vont droit au cœur.»
La place des femmes en cuisine
Nous demandons à Manon Schenck pourquoi la cuisine de haut niveau reste un domaine plutôt masculin. «Ce n’est certainement pas parce que nous ne sommes pas capables d’y arriver, répond-elle. Mais c’est un travail de tous les instants, et il est difficile de le combiner avec une vie privée. C’est en aménageant l’éthique et les horaires que l’on parviendra à attirer plus de femmes. Dans mon restaurant, j’ai décidé de fermer un jour de plus pour que le rythme reste réaliste. A partir de cette année, nous allons également prévoir davantage de périodes de vacances. J’emmène aussi mon équipe en excursion. Nous rendons visite à des agriculteurs ou mangeons chez des collègues. Cela permet de se détendre et de trouver de nouvelles idées.»
Que réserve l’avenir à la nouvelle Lady Chef? «Je vais d’abord profiter de cette reconnaissance, explique Manon Schenck. J’ai fait beaucoup de sacrifices pour en arriver là.»
Manon Schenck et le travail d’équipe
La lauréate reste néanmoins consciente que tout cela est le résultat d’un travail d’équipe: «Seule, je n’irai jamais loin en cuisine. Grâce à toute cette attention, je reçois beaucoup d’invitations intéressantes. Cela crée une nouvelle dynamique: je ne suis plus tout le temps dans ma cuisine.» Elle a ainsi récemment cuisiné au pied de la grande roue de Bruxelles pour des convives qui dînaient dans le ciel, et un peu plus tard, fait un pop-up dans un garage automobile.
«Ce genre d’événements me pousse à sortir de ma zone de confort et m’oblige à faire preuve de créativité», dit-elle. L’année prochaine, elle ouvrira des chambres d’hôtes car ses clients viennent de plus en plus loin. Pouvoir séjourner sur place sera un vrai plus. «Et bien sûr, je vais continuer à cuisiner avec le cœur, conclut-elle. Avec la musique à fond, et en chantant à tue-tête avec toute l’équipe.»
La Table de Manon, 79, rue de Givet, à 6940 Durbuy. Plus d’infos
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