Âme du sushi, le célèbre marché Tsukiji à Tokyo déménage

Marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo © iStockphoto

Kiyoshi Kimura, dont le large sourire s’étale à travers tout le Japon sur les affiches de promotion de sa chaîne de restaurants de sushis, n’a en ce moment pas le coeur à la fête.

Le célèbre marché Tsukiji de Tokyo, le plus grand marché aux poissons du monde, s’apprête à déménager, et il craint que ce transfert loin des entrailles de la capitale ne lui fasse perdre son âme.

Dans cette immense halle chaotique, entourée d’un désordre de petites poissonneries et échoppes où locaux et touristes aiment se régaler, M. Kimura, dont le bureau se trouve à deux pas, a vécu de grands moments. Il se souviendra ainsi longtemps des enchères de 2013 qui l’ont vu arracher un thon rouge pour l’extravagante somme de 155,4 millions de yens (1,2 million d’euros au cours actuel), après une âpre lutte avec un restaurant de Hong Kong.

La mise était moindre cette année – 14 millions de yens (109.000 euros) pour un poisson de 200 kg -, mais la victoire, sa dernière dans l’antre de Tsukiji, avait un goût spécial.

« C’est un peu triste que Tsukiji s’en aille », déplore le propriétaire de la chaîne Sushizanmai dans un entretien accordé à l’AFP, devant des murs recouverts de photos de célébrités et politiciens japonais. « Depuis que je suis entré dans ce secteur, je n’ai connu que Tsukiji », poursuit, empli de nostalgie, le patron de 63 ans, un ancien militaire qui a troqué il y a longtemps ses rêves de devenir pilote de chasse pour une vie dans le poisson cru.

Après des années d’atermoiements et de débats, le site actuel, né il y a 80 ans, doit fermer ses portes en novembre. Il est doté d’infrastructures vieillissantes et d’un système de réfrigération dépassé, arguent les partisans du déménagement.

Kiyoshi Kimura, lui, n’est pas convaincu. Il a pensé un temps participer à la reconversion de Tsukiji en un vaste espace de loisirs, abritant boutiques, restaurants et les plus grandes sources d’eau chaude (onsen) de Tokyo, mais il a finalement abandonné le projet.

Marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo
Marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo© Reuters

Effervescence

Le nouveau marché se trouvera à quelques kilomètres de son emplacement actuel, à Toyosu, dans la baie de la capitale, mais M. Kimura n’est pas sûr d’y ouvrir un de ses restaurants. « On ne sait pas bien encore comment s’organisera le marché extérieur », dit-il. « Un marché aux poissons doit être un lieu où les gens aiment se réunir, mais s’il n’y a pas de sentiment d’effervescence, ils ne viendront pas ».

Son métier, il le pratique avec enthousiasme. Blouse blanche, couteau à la main, on le voit tout en rondeurs rayonnant sur les photos, à côté d’énormes spécimens de thon rouge. Tous les ans en janvier, il se fait un plaisir de débourser des sommes délirantes pour s’offrir le premier poisson de l’année, même « s’il n’en tirera aucun profit ». C’est une tradition: « les ventes du Nouvel an sont un peu chères, mais ensuite les prix reviennent à leur niveau normal ».

A ceux qui y voient un coup de pub, il rétorque que son seul but est « de fournir aux clients des produits délicieux et de grande qualité ». « Les rendre heureux », tout simplement, « et je ne pense pas qu’on puisse transmettre ce sentiment en ne pensant qu’au marketing ».

Les Japonais sont de très grands consommateurs de thon rouge, qu’ils mangent essentiellement cru, sous forme de sushi ou sashimi, sans regarder à la dépense. Un seul morceau d' »otoro », la partie la plus grasse du ventre de la bête, peut valoir jusqu’à plus de 3.000 yens (23 euros) dans un restaurant haut de gamme de Tokyo.

Âme du sushi, le célèbre marché Tsukiji à Tokyo déménage
© iStockphoto

La demande augmente aussi hors de l’archipel, au grand dam des écologistes qui s’alarment de la diminution de la population de thon rouge du Pacifique.

Le maître des sushis Jiro Ono, dont le président américain Barack Obama a pu apprécier la délicatesse des mets dans son restaurant 3 étoiles Michelin du quartier huppé de Ginza, a lui-même mis en garde en 2014 contre la surpêche, un danger pour l’industrie. Mais M. Kimura est serein: pour lui, le thon règnera toujours sur l’univers des sushis. « Les stocks de « saba » (maquereau) et de « aji » (chinchard) diminuent aussi périodiquement, mais ils finissent toujours par se reconstituer », plaide-t-il.

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