Nos favoris de l’été: anisez-vous! L’histoire du pastis
Né à Marseille, le pastis doit aussi son succès aux produits dérivés imaginés par les géants de l’anisette. Piqués en terrasse ou chinés en brocante, ils nous invitent à plonger dans l’ivresse de l’été.
C’est un chiffre à vous donner le tournis, avant même de tremper les lèvres dans le premier « petit jaune » de l’été: il se sert, rien qu’en France, plus de 3,7 milliards de verres de pastis chaque année. Même s’il subit depuis quelques années la concurrence frontale du Spritz, il reste l’un des apéros préférés des vacances. En particulier dans le Sud, là où il a vu le jour il y a un peu moins de 100 ans, succédant à l’absinthe maudite. Accusée de rendre fous ceux qui la consomment, la « fée verte », qui frise alors les 72°, est interdite en 1915.
Le goût pour les boissons anisées, qu’elles portent le nom d’ouzo, de pasticchio ou de raki, est pourtant bien ancré sur le pourtour de la Méditerranée. Un jeune homme, fils de négociant en vin, décide alors, au début des années 30, d’élaborer sa recette à base de badiane, de réglisse et de plantes aromatiques de Provence. Il s’appelle Paul Ricard et lance en 1932 « le vrai pastis de Marseille » auquel il donnera son nom. Une nouvelle saveur est née… et avec elle tout un rituel, matérialisé par un broc en céramique couleur « pain grillé », dont celui qui rêvait d’intégrer les beaux-arts a lui-même dessiné les contours. Son bec verseur est pensé pour retenir les glaçons afin de ne pas brouiller les proportions – une dose de pastis pour cinq volumes d’eau – de ce premier long drink à la française. Le succès est au rendez-vous, boosté par l’avènement des congés payés en 1936.
Dans sa trilogie marseillaise, Marcel Pagnol met le pastis à la carte du célèbre Bar de la Marine tenu par César et théâtre des amours de Marius et Fanny. Mais la guerre et le nouvel ordre moral voulu par le gouvernement de Vichy qui interdit toute distillation d’alcool freinent les envies d’expansion de Paul Ricard. Lorsque les affaires peuvent reprendre, Pernod, avec son « 51 », se pose en concurrent de taille.
Souvenir couleur locale
La bataille du pastis s’engage alors sur les terrasses ensoleillées à grand renfort de produits dérivés, même si depuis 1974 les deux ennemis sont devenus alliés, formant l’un des groupes alcooliers les plus puissants du monde. A chaque époque son style… et son designer star. Aujourd’hui encore, de grands noms contribuent à populariser ce qui n’était à la base que de la vaisselle et des gadgets offerts aux cafetiers.
Ces objets signés Marc Newson, le collectif 5.5 ou récemment Mathieu Lehanneur pour Ricard ont rejoint les collections du musée des Arts Décoratifs à Paris, tout comme la carafe griffée Les Sismo et les verres du graphiste marseillais Tabas pensés pour le Pastis 51. En coulisse, le succès de ces éditions souvent limitées se mesurerait à la vitesse à laquelle les pièces « disparaissent » des tables des cafés. Quant aux versions les plus anciennes, en particulier le broc original, elles font la joie des touristes venus chiner à l’Isle-sur-la-Sorgue un souvenir couleur locale.
Aujourd’hui, l’appellation non protégée « pastis de Marseille » n’est plus qu’une recette. Seule la famille Liminana fabrique encore son pastaga crânement baptisé Un Marseillais dans la Cité Phocéenne. Face aux deux mastodontes qui ont largement industrialisé la production, une multitude de petits artisans tentent de proposer des recettes plus complexes.
La bien nommée Maison du Pastis installée à deux pas de la Canebière en dénombre pas moins de 75 variétés. Chez nous même, le pastis La Patinette, distillé à partir de bière belge, s’est vu récompensé l’an dernier d’une médaille d’or au mondial des spiritueux.
Pour séduire les plus jeunes, le petit jaune joue désormais à fond la carte du bio. Il s’est aussi teinté de bleu, façon curaçao, pour donner aux cocktails raffinés qu’il intègre des reflets de lagon. Et se noie même comme le plus branché des rosés dans des « piscines » de glaçons. Comme une invitation sacrilège à plonger dans l’ivresse anisée de l’été.
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