Arômes, sucre et exclusivité: dans le sillage d’une acheteuse professionnelle de vin
« Un profil très tendu, vraiment sur les agrumes et les fleurs blanches, c’est ce qui plaît beaucoup »: au stand Cave de Gan-Jurançon, Liz Donnelly écoute le commercial vanter les mérites du Gros Manseng. Pendant trois jours à Paris, elle est à la recherche du vin qui correspondra à ses clients.
Goûter, recracher, goûter encore: la Britannique teste une dizaine de bouteilles à chaque rendez-vous pris sur le salon professionnel Wine Paris & Vinexpo Paris (12 au 14 février). Sur son carnet noir, elle note leur nom, leur composition, parfois la teneur en sucre ou le degré d’alcool. Et elle attribue discrètement des notes de 1 à 5. « Il ne faudrait pas que j’oublie mon carnet chez un exposant », s’amuse-t-elle.
Deuxième marché mondial
Liz Donnelly travaille depuis 27 ans pour Alliance Wine, importateur et distributeur de vins en Grande-Bretagne, et achète depuis 15 ans du vin pour les clients de l’entreprise, principalement dans la restauration et les cavistes indépendants.
Le Royaume-Uni est le deuxième marché à l’international pour les vins et spiritueux français, derrière les Etats-Unis. La France est par ailleurs redevenue en 2023 le premier producteur mondial de vin.
Liz Donnelly est depuis peu spécifiquement en charge des vins français de Gascogne, Languedoc-Roussillon et Provence, ainsi que des vins d’Amérique du Sud. Au salon, elle enchaîne six à sept rendez-vous par jour minimum, avec des exposants ou des clients. Elle a été notamment attirée par les étiquettes, colorées et design, des bouteilles du Domaine de Laxé, qui propose des Côtes de Gascogne (sud-ouest) en bio. Le graphisme de leur dernière marque, Pêcheurs d’étoile, s’inspire de l’univers du Petit Prince.
Certains vins « ne voyagent pas »
Avec Léna Desury, la responsable commerciale de ce Domaine, elle discute du taux de sucre, du prix, de la couleur pâle du vin rosé, de la couleur rosée du vin rouge, et demande entre deux dégustations: « qu’est-ce qui fait la différence? » Elle se rince parfois le palais à l’eau. « Un peu chaud », dit-elle après avoir testé un blanc qui mériterait de repasser au frigo.
Les rendez-vous avec les clients servent aussi à « discuter du marché chez eux, des références qu’ils pourraient aimer, des améliorations qu’on pourrait apporter », relève Niels Orgogozo, le commercial de Cave de Gan-Jurançon (sud-ouest). Liz Donnelly apprécie par exemple qu’il propose désormais des bouteilles de moelleux en format de 37,5 cl.
En Grande-Bretagne, « personne dans la restauration ne prend une bouteille entière d’un vin très moelleux », dit-elle. Les capsules à vis sont aussi devenues « presque obligatoires » car pour servir au verre, « pas besoin de tire-bouchons, et c’est plus facile à remettre au frigo ». Rares sont les commandes passées dans la foulée des dégustations.
« Il y a quelques années, les salons c’était surtout des rencontres au hasard, aujourd’hui ça fonctionne de plus en plus sur rendez-vous », indique Léna Desury. Les acheteurs étrangers veulent notamment savoir à l’avance si des concurrents n’ont pas une exclusivité dans leur pays.
Quand des acheteurs passent sur le stand, « il dégustent, prennent des notes, comparent. Ils posent des questions sur l’histoire du domaine, sur les millésimes, pour pouvoir éventuellement raconter à leurs propres clients », explique-t-elle. « On leur envoie les infos dans les jours qui suivent et les commandes peuvent mettre six mois, un an parfois deux à se concrétiser », raconte Léna Desury. Vu la concurrence – il y a plus de 4.000 exposant à Wine Paris par exemple -, « il faut trois ans avant que les gens vous reconnaissent vraiment sur un salon », estime-t-elle.
« Je ne recherche pas grand chose en ce moment car c’est la crise en Grande Bretagne », reconnaît Liz Donnelly. Mais elle veut continuer à prendre le pouls du marché, vérifier les meilleurs rapports qualité/prix. Quand elle est intéressée, elle demande parfois à ce que des échantillons soient envoyés à son bureau. « Il y a des vins qui ne voyagent pas », dit-elle: la sensation d’une dégustation « sous le soleil en Provence n’est pas la même qu’un mardi matin à Glasgow. »