Bière: Le « décret de pureté » des bières allemandes, garantie d’authenticité ou archaïsme

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Orge, houblon, eau, et rien d’autre. Un « décret de pureté » régit la composition des bières allemandes, un impératif dont l’Allemagne fête cette année avec fierté les 500 ans mais que certains aimeraient assouplir pour permettre plus de créativité.

Le salon de l’Agriculture de Berlin, la « Semaine Verte » (15 au 24 janvier), marque l’ouverture des festivités, qui vont s’égrainer tout au long de l’année, culminant le 23 avril, date exacte de l’édiction du décret en 1516.

« Nous voulons qu’à partir de maintenant, dans nos villes, nos marchés et nos campagnes, à aucune bière ne soient ajoutés d’autres éléments qu’orge, houblon et eau », décrétait alors le duc Guillaume IV de Bavière à Ingolstadt. En édictant ce qui est considéré comme l’une des plus vieilles lois alimentaires au monde, il avait à coeur la santé publique, à une époque où fleurs, copeaux de bois ou encore goudron pouvaient se retrouver dans le breuvage, lui-même partie intégrante du régime alimentaire au quotidien. Avec pour conséquence au mieux des troubles digestifs, au pire des empoisonnements mortels.

Circonscrit à la Bavière, le décret s’est étendu à mesure que cet Etat a grossi, puis a été adopté par les Etats et duchés voisins. En 1907, une loi est venue généraliser le principe à toute l’Allemagne.

Entre temps la levure avait fait son entrée dans la liste des ingrédients, mais aujourd’hui encore, « contrairement aux confrères à l’étranger, les brasseurs allemands n’utilisent ni arômes artificiels, ni enzymes ni conservateurs », se félicite Hans-Georg Eils, président de la Fédération allemande des brasseurs. Les produits qui y dérogent ne peuvent pas s’appeler bière, mais « mélange à base de bière ».

Disposition protectionniste

« Le décret de pureté avait aussi une fonction protectionniste », relève Frank-Jürgen Methner, spécialiste du sujet à l’Institut alimentaire de l’Université Technique de Berlin. La disposition a en effet opportunément servi de barrière à l’entrée pour les bières étrangères – alors que la pureté des bières allemandes était, en revanche, un argument de vente à l’export.

Dans les années 1990, une plainte devant la justice européenne a forcé l’Allemagne à ouvrir son marché aux bières venues d’ailleurs. Aujourd’hui les marques étrangères revendiquent quelque 8% de la consommation annuelle du pays. Mais celle-ci est en constant déclin: elle est tombée à 107 litres par personne et par an, contre 150 dans les années 70.

« Les bières munichoises sont tellement bonnes, je crois vraiment qu’il n’y a pas mieux ». Comme Nick Zanic, croisé dans un bar en Bavière, beaucoup d’Allemands cultivent un certain chauvinisme en matière de consommation de leur breuvage national.

Le décret de pureté est une composante essentielle de ce succès, assure Lothar Ebbertz, directeur de la Fédération bavaroise des brasseurs. « Je pense que nous sommes bien avisés de nous y tenir », assène-t-il. Selon un sondage réalisé pour le compte de la fédération nationale, 85% des Allemands sont du même avis.

Sortir du carcan

Malgré tout, le décret a aussi ses détracteurs, qui considèrent que, trop restrictif, il représente un frein à la créativité. « Il y a des petites brasseries et des producteurs de bière artisanale (craft beer) qui voudraient expérimenter, se lancer dans des créations plus osées », confirme le porte-parole de la grande brasserie munichoise Hofbräu München, Stefan Hempl. « Qu’est-ce-qu’on peut objecter à un coing bio ou de la coriandre? Qu’est-ce-qui n’est pas pur dans ces ingrédients? », s’interroge Simon Rossmann, directeur technique de Giesinger Bräu, une autre brasserie munichoise,. Il voudrait donner « des goûts différents » à ses bières avec de tels ingrédients.

A ces envies de sortir des sentiers battus, les tenants de la tradition rétorquent que les ingrédients permis offrent déjà toute une palette de possibilités. Le houblon permet d’expérimenter, selon M. Ebbertz, qui assure que « de nouvelles cultures donnent à la bière des notes fruitées, qui vont vers la mangue, ou la pêche », sans avoir à ajouter de fruits.

M. Methner voit lui aussi suffisamment de déclinaisons possibles en jouant en outre sur la levure, sans toucher au décret de pureté, arguant qu' »en ces temps de forte attention portée à ce que l’on mange, la demande pour la bière fabriquée selon l’impératif de pureté augmente ».

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